www.claudereichman.com


Accueil | Articles | Livres | Agenda | Le fait du jour | Programme

A la une

18/6/14 Simon Nixon
        Public ou privé : qui va gagner en Europe ?

Au cœur de la crise de l'euro se déroule une guerre de culture au sein des Etats européens. Cette guerre a atteint une phase décisive. Dans quelques mois, le résultat sera clair et les conséquences d'une grande portée.

La culture du secteur privé estime que la croissance dépend des exportations et des investissements. Elle met l'accent sur une politique de l’offre et une main-d'œuvre flexible. (1) La culture du secteur public s’appuie sur un secteur public et une culture syndicale qui estime que la croissance dépend du pouvoir d’achat des ménages. Elle favorise ainsi la politique keynésienne de la demande en augmentant les dépenses publiques, en encourageant l'emprunt, en protégeant les emplois et en augmentant les salaires.
Les deux cultures coexistent dans tous les pays européens. Mais il est frappant de constater que c’est dans les pays où la culture du secteur privé est dominante que la croissance est la plus forte.

La France et Italie plombent la croissance européenne

L'Irlande connaît une reprise remarquable. Son économie devrait croître de 1,7% cette année et de 3% l'an prochain. Les prêts bancaires et les prix immobiliers sont révisés à la hausse. De même, le Royaume-Uni est susceptible d’enregistrer une croissance de 3% cette année et le taux de chômage devrait tomber à 6% de la population active. La performance impressionnante de l'Allemagne reflète les réformes difficiles qui ont été accomplies au cours de la décennie précédente avec la réduction des dépenses publiques et la flexibilité du marché du travail. (2) Les Etats baltes devraient connaître encore un bon taux de croissance de leur PIB en 2014 : 3% pour la Lituanie, 3,5% pour la Lettonie et 1,2% seulement pour l’Estonie.

En revanche, la croissance est la plus faible dans les pays où la culture du secteur public est dominante. La France a des entreprises de classe mondiale, une base industrielle forte et une productivité élevée. Mais les gouvernements successifs ont été incapables de stopper la perte de compétitivité causée par une taxation excessive, des dépenses publiques galopantes, un marché du travail rigide, et des salaires relativement élevés.

L’Italie souffre de problèmes similaires avec le fardeau supplémentaire d'une administration publique dysfonctionnelle, d’un système judiciaire en perdition, d’une corruption et d’une évasion fiscale élevée. Ces deux pays, qui représentent près de la moitié du produit intérieur brut de la zone euro, devraient enregistrer respectivement une croissance de 1% et de 0,6% pour cette année. Leur faible croissance aura un impact négatif sur l'ensemble de la zone euro.

Le bout du tunnel

Néanmoins, la crise a contraint les gouvernements européens à entreprendre des réformes qui favorisent la politique de l'offre, même pour ceux dont la culture du secteur public est traditionnellement dominante. C'est parce qu'il n’existe pas vraiment d'alternative en faveur d’une politique de la demande. La plupart de ces pays sont trop endettés pour poursuivre une politique budgétaire expansionniste. (3) En outre, ils ne sont pas en mesure de contraindre la Banque centrale européenne (BCE) à mener une politique monétaire expansionniste.

Les pays qui ont entrepris des réformes sérieuses commencent à voir le bout du tunnel. En Espagne, au Portugal et en Grèce où le marché du travail est devenu plus flexible, la croissance pourrait atteindre respectivement 1,1%, 1,2% et 0,6% en 2014. La flexibilité des salaires a stimulé les exportations par une baisse des coûts de production. Cette reprise apaise les craintes quant à la soutenabilité de la dette et la survie de l'euro. Elle entraîne une baisse spectaculaire des rendements des obligations d'État et elle renforce la confiance des marchés. Un cercle vertueux s’est enclenché. Même la France et l'Italie se sont dotées de nouveaux gouvernements qui se sont engagés à entreprendre des réformes.

Signes de fatigue

Mais il est encore trop tôt pour déclarer la victoire des théoriciens de l'offre. Il y a des signes de fatigue dans de nombreux pays et les événements récents montrent que la culture du secteur public se défend avec acharnement.

Prenez l’exemple du Portugal où la Cour constitutionnelle s’est rangée du côté de l'opposition pour contrecarrer les efforts du gouvernement de réduire le coût de l'administration publique. Elle a suggéré que les impôts devraient être augmentés plutôt que de baisser les dépenses publiques. La Commission européenne craint une impasse alors que le Portugal s’apprête à sortir de son programme de sauvetage.

Ou prenez l’exemple de la Grèce où le gouvernement a congédié le directeur de l'administration fiscale. Athènes insiste en disant que sa décision est motivée par l’incompétence de l’intéressé. Mais la Commission européenne soupçonne une ingérence politique car l’ancien directeur a été trop zélé dans une enquête sur les retraites. Il a eu aussi le malheur de bloquer des allégements fiscaux en faveur de la police pendant la campagne électorale. C'est inquiétant parce que la crédibilité des institutions grecques est vitale pour attirer les investissements étrangers.

Même l'engagement de l'Espagne est remis en question. Elle a failli dans la refonte de son administration qui est un fardeau pour les finances publiques. Avec la perspective des élections en 2015, les chefs d'entreprise espagnols craignent que la fenêtre des réformes soit en train de se refermer.

Les programmes de réforme français et italiens sont plus rhétoriques que réels

Le Fonds monétaire international a critiqué la France pour son manque de précision dans les réductions de dépenses. Hormis un gel des salaires dans la fonction publique, le gouvernement n’ose pas tailler à la hache dans les dépenses publiques. En Italie, la réforme du Premier ministre Matteo Renzi semble avoir disparu dans les sables mouvants. Sa réforme très médiatisée du marché du travail a été édulcorée. Il reste à voir si le succès de son parti aux élections européennes va revitaliser les efforts de M. Renzi.
Cela est important parce que si l'élan de la réforme s’essouffle et que la reprise économique faiblit, la pression pour une politique de la demande va croître à nouveau. Pourtant, la zone euro est mal équipée pour fournir une telle réponse sans un changement profond dans ses règles d'engagement. Ces tensions sont au cœur de deux grands débats.

La bataille à propos de la présidence de la Commission européenne, l’organe exécutif de l'UE, oppose ceux qui pensent que l'UE devrait être une association d'États-nations autonomes contre ceux qui pensent que l'UE devrait évoluer vers un système fédéral avec une politique budgétaire très expansionniste. La France et l'Italie ont déclaré qu'elles vont mener une campagne pour assouplir les règles budgétaires de l'UE.
De même, le débat fait rage autour de la politique monétaire restrictive imposée par la BCE, avec d’un côté ceux qui croient qu’elle devrait s'engager à faire tourner la planche à billets, et de l’autre ceux qui croient que la BCE ne devrait pas assumer les dettes des Etats membres. (4)

La semaine dernière, la BCE a annoncé un ensemble de mesures qui sonnent fort. Mais en réalité, elles sont conçues pour gagner du temps, dans l'espoir que les réformes du marché du travail et de la réduction des dépenses publiques finiront par générer une croissance suffisante pour la soulager de la charge de prendre parti.

La façon dont ces situations vont se dénouer déterminera quelle culture sortira victorieuse en Europe.

Simon Nixon

Notes du traducteur

(1) Après le désastre du parti socialiste aux élections municipales, le président de la République tente un virage à 180% de sa politique économique, sans expliquer aux électeurs socialistes bernés la nécessité d’un tel changement après deux années de matraquage fiscal qui ont saigné à blanc notre économie.

(2) Le président a reçu, en catimini, à l’Elysée Peter Hartz. L’ancien directeur des ressources humaines de la société Volkswagen fut le conseiller économique de l’ancien chancelier social-démocrate Gerhard Schröder. C’est à lui que l’Allemagne doit son renouveau économique. Pourquoi ne l’a-t-il pas pris comme conseiller à la place de la falote Laurence Boone ?

(3) Après le krach boursier du 15 septembre 2008 à Wall Street, l’ancien président Nicolas Sarkozy, sur le conseil des énarques omnipotents, lança l’idée folle d’une relance keynésienne à l’échelle européenne. Menée pratiquement seule, celle-ci ne fit qu’aggraver notre dette alors que la prudente Allemagne de la chancelière Angela Merkel réduisait, de son côté, ses dépenses et ses investissements publics. Pratiquement tous nos économistes, du moins ceux qui peuvent s’exprimer sur les plateaux de télévision, prédisaient que l’Allemagne égoïste allait aggraver la crise de la zone euro. C’est tout le contraire qui s’est produit !

(4) Le même Nicolas Sarkozy a passé son quinquennat à réclamer une politique monétaire laxiste de la BCE et la création d’euro-bons qui aurait certainement ruiné la zone euro. Sommes-nous condamnés à être gouvernés par des nuls ?


Accueil | Articles | Livres | Agenda | Le fait du jour | Programme