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19/4/11 Guy Sorman
     Le Printemps arabe n’a pas éclaté par hasard !

Il régnait le 16 avril, à l'Institut du Monde arabe à Paris, lieu d'ordinaire compassé, un air de mai 68, où l'arabe se mêlait au français, les légions d'honneur des ambassadeurs aux foulards du Maghreb.

Au terme d'un colloque d'une journée entière, consacré au Printemps arabe et organisé par le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé a admis que la France avait eu tort de soutenir les despotes arabes au prétexte qu'ils étaient un rempart contre l'islamisme. Les despotes avaient, en fait, encouragé la rage islamique, ce que j'ai écrit depuis une douzaine d'années. Citant, entre autres réformateurs arabes, Rifaa el Tahtawi, Juppé a conclu que les révolutions en cours étaient une étape dans la longue marche arabe vers la modernité. Et que la France ne craignait pas ces révolutions-là.

De nombreux intervenants venus de Tunisie, Libye, Maroc, Egypte, Jordanie, Syrie, Palestine n'avaient cessé, tout au long de cette réunion, de témoigner de leur combat et de leur espérance en une démocratie libérale. Emouvant, souvent. Une "militante" palestinienne, particulièrement élégante, s'étonna que ce soit la police palestinienne qui l'interpelle lorsqu'elle défile dans les rues de Ramallah pour la démocratie. Elle veut un Etat, elle semble l'avoir obtenu, police inclus: que veut-elle de plus ? On n'a pas bien compris. Une députée marocaine nous assura qu'il fallait faire confiance à la volonté de réformes qui animerait le roi Mohamed VI : l'ambassadeur de France au Maroc, légitimiste ou plus royaliste que le Roi, acquiesça. On demande à voir.

La plupart des témoins et acteurs des révolutions égyptienne et tunisienne ont opportunément rappelé que le Printenps arabe n'avait pas éclaté par hasard : depuis des années, intellectuels, avocats, syndicalistes, étudiants luttaient contre les tyrans en Egypte ou en Tunisie : vrai, et beaucoup l'ont payé de leur vie. Cette fois-ci, les démocrates ont réussi, une première étape du moins. Surtout, ils sont parvenus à persuader le monde que la démocratie était bien pour les Arabes, pour eux aussi, la "fin de l'histoire". Exactement ce que George W. Bush avait déclaré en 2004, au moment de sa seconde investiture.

Cette coïncidence entre la France de Juppé et l'Amérique selon Bush embarrassa suffisamment le politologue français Zaki Laïdi pour qu'il nous explique, sans trop convaincre, que le soutien français à la révolution démocratique arabe n'avait rien, mais vraiment rien à voir avec les néoconservateurs américains: "Ceux-ci avaient essayé d'imposer la démocratie", tandis que nous Français, surtout à gauche, "nous soutenons les efforts endogènes des démocrates arabes". Soit.

Toujours selon Laïdi, les néoconservateurs américains imposeraient des changements de régime (Irak, Afghanistan), mais pas les Français... sauf en Libye. Alain Juppé s'en justifia en rappelant que dans le cas libyen, un changement de régime est légitimé par le droit international puisque l'ONU (depuis une résolution de 2005) exige que les gouvernements protègent leur peuple, tandis que Kadhafi fait l'inverse. Bon : mais n'était-ce pas aussi le cas de Saddam Hussein? Les historiens finiront-ils par reconnaître en George W. Bush un précurseur ? Allez savoir.

Seuls les "Comités de transition" libyens, venus en nombre de Benghazi, m'ont semblé réciter un texte trop bien préparé : leur porte-parole, une femme portant foulard, guettait l'approbation d'un homme plus âgé qui la surveillait depuis la salle. Mais enfin, elle nous assura que sans l'OTAN, Benghazi aurait été rasé.

Plusieurs représentants des partis islamiques de Tunisie et d'Egypte ( Nahda et Frères musulmans) ont protesté contre leur diabolisation et se sont engagés à respecter les règles de la démocratie laïque. Mohamed Ben Salem, de retour en Tunisie après vingt ans d'exil en France, a déclaré que son parti Nahda présenterait autant de femmes que d’hommes aux élections." Nous vous étonnerons", a -t-il déclaré. Ce à quoi Juppé a répondu "Chiche!" et a demandé aux ambassadeurs de France présents de dialoguer désormais avec tous, y compris les islamistes dans les pays arabes.

Une absence remarquée : l'Algérie. Il n'en fut pas question, elle n'était représentée ni par ses dirigeants ni par ses opposants. Le cadavre dans le placard. Regrettable omerta.
Invité à ce colloque, j'ai comparé la chute du Mur de Berlin avec la chute du Mur de la peur dans les dictatures arabes : en 1989, l' Empire soviétique a disparu et en 2011, l'Orientalisme est mort, cette idéologie qui enfermait les Arabes dans le cliché de la dépendance. Bouazizi aura été le Jan Palach arabe, sacrifice fondateur de mondes nouveaux.

A ceux qui, dans la salle, s'inquiétèrent d'un afflux d'immigrés provoqué par ces révolutions, l'islamologue François Burgat a fait valoir que la démocratie et le développement qu'elle devrait engendrer dans le monde arabe pourraient, à terme, conduire un flux de retour vers le sud de la Méditerranée. Bien vu. Et en tout cas, bien espéré.

Guy Sorman


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