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6/11/10 Guy Sorman
      Par bonheur, le G20 ne débouchera sur rien !

Le G20 n’est pas une solution économique ni un gouvernement mondial : sa principale vertu est d’exister. Il est utile que les dirigeants des économies dominantes se rencontrent et se concertent. Cette grand messe annuelle, quoique coûteuse pour les contribuables du pays d’accueil, autorise les gouvernements à saisir physiquement combien nous sommes tous interdépendants. Le fait même de se réunir contraint à parler une seule langue, celle du réalisme économique et à maîtriser le vocabulaire du marché. Il n’y a plus de place, aux sommets du G20, pour les envolées idéologiques et les utopies sociales : à Séoul, les dirigeants communistes chinois et la présidente argentine s’abstiendront des slogans marxistes et populistes réservés à leur politique intérieure.

Le G20 fait donc progresser la science économique ainsi que les effets les plus positifs de la mondialisation. Et la participation des pays dits émergents rappellera aux plus riches que crise ou pas crise, trois ou quatre milliards de nos frères humains végètent dans une misère indigne. Brésiliens, Chinois et Indiens qui siègent au G20 pourront témoigner que la mondialisation des échanges, jusqu’à plus ample informé, est la seule voie connue pour atteindre un niveau de vie décent. Les Sud-Coréens, hôtes de ce Sommet, naguère l’un des peuples les plus pauvres du globe, rappelleront l’efficacité d’une bonne éducation de masse et d’une stratégie franchement capitaliste. A Séoul, à condition de sortir de la salle de conférence, chacun pourra mesurer par lui-même comment il est possible de brûler les étapes de la croissance, de devenir modernes tout en restant ancrés dans une forte culture nationale.

Outre son existence même, le G20 possède-t-il d’autres vertus et que devrait-on en attendre ?

Depuis la crise de 2008, le G20 a réussi à se constituer en cellule de crise ou plutôt de résistance à la crise. Grâce à la prise de conscience collective des intérêts croisés, il lui revient d’avoir écarté le spectre de la Grande Dépression sans qu’aucune résolution contraignante ne fût réellement adoptée: le G20 n’est pas un gouvernement mais, par une dynamique de groupe, ses membres ont résisté à la tentation de fermer les frontières ou de se livrer à des dévaluations monétaires sauvages, ce qui, en 1930, avait conduit au désastre collectif. Mais un bilan à nuancer : lors des G20 de 2008 et 2009, le gouvernement des Etats-Unis a persuadé les autres membres que la « relance » par la dépense publique était indispensable.

Après deux ans de cette Obanomics plus idéologique que scientifique, les pays sages qui ont le moins relancé (Corée du Sud, Chine) – se contentant d’inscrire dans leur budget des sommes qu’ils n’ont pas dépensées –ont le mieux surmonté la récession. Les vrais dépensiers – Etats-Unis, Japon, France, Espagne – se retrouvent les plus endettés et les plus ralentis. Autant pour la gouvernance mondiale ! Si le G20 avait été un véritable gouvernement, apte à imposer la doctrine dite keynésienne et que l’on devrait appeler socialiste, le monde se porterait vraiment très mal. Le Talmud dit qu’une décision unanime prise par dix Sages est forcément mauvaise car on ne saurait trouver dix Sages ensemble : que dire de vingt, livrés à eux-mêmes, sans aucun contre pouvoir ?

Le G20 de Séoul sera différent, non plus confronté à une récession mondiale, mais à la menace brandie par les pays stagnants de déclencher une «guerre des monnaies ». Les gouvernements et groupes de pression industriels, aux Etats-Unis et en Europe, prétendent que la valeur relative des monnaies détermine les flux commerciaux. Le yuan bon marché serait à l’origine des bénéfices réalisés par la Chine aux Etats-Unis ; l’euro cher causerait les déboires français dans les ventes d’armes ou de technologies nucléaires. Nicolas Sarkozy estime que le changement incessant de valeur des monnaies et des matières premières serait à l’origine de la stagnation européenne. Au G20 de Séoul, les Américains exigeront donc que les Chinois s’engagent à réévaluer leur monnaie, ou à limiter volontairement leurs exportations vers les Etats-Unis. Et Nicolas Sarkozy annoncera ses vastes ambitions pour des fonds de stabilisation des monnaies et des matières premières. Les chefs d’Etat acquiesceront par politesse et, par bonheur, rien de concret ne s’en suivra. Une absence de décision qu’il faudra ne pas regretter parce que ces morceaux de bravoure sur les monnaies et les matières premières confondent les conséquences de la stagnation avec ses causes.

Considérons les mouvements du dollar américain : la Banque centrale et le gouvernement des Etats-Unis en sont seuls responsables. Le gigantisme des dettes américaines conduit à une surabondance de dollars sur le marché (récemment aggravée) qui le rend sensible à toutes les spéculations. Et les effets d’annonce contradictoires de la Banque fédérale provoquent des mouvements alternatifs de panique et d’engouement. Les Américains reprochent aux Chinois de manipuler leur monnaie ? Mais ce sont les Américains qui organisent une baisse du dollar plus spectaculaire que ne le serait une hausse du yuan.

Pourrait-on, comme le suggèrent Nicolas Sarkozy et les Chinois, se passer du dollar ? Pour le remplacer par quelle autre monnaie, gérée par qui ? Aucun Etat, ni l’Union européenne, ne renoncera à sa souveraineté monétaire pour se laisser dicter un cours mondial par on ne sait trop quelle autorité ni sur quels critères ? Et si les Chinois réévaluaient le yuan, doutons que le recul de la Chine profiterait aux industries américaines et européennes. Ce que la Chine produit, du bas de gamme en masse, les pays occidentaux ne le font plus. Une usine qui fermerait en Chine serait d’ailleurs remplacée par une autre, au Viêt-Nam ou en Inde.

Laissons donc les marchés arbitrer car, au bout du compte, la valeur des monnaies reflétera la valeur réelle des économies et la qualité ou la médiocrité des politiques économiques des nations. Il en va de même pour les matières premières : la volatilité de leurs cours peut refléter des achats spéculatifs. Mais dans le long terme, l’évolution à la hausse reflète la concurrence normale des pays émergents. Cette hausse des cours de l’énergie ou des matières premières est aussi une saine incitation à les utiliser mieux et moins, en inventant des procédés plus ingénieux et moins destructeurs de ressources rares.

Le G20 sera avant tout une fenêtre sur le monde à venir : chacun désormais ne survivra à la mondialisation qu’en cultivant son avantage compétitif. Celui de la Chine est la bonne organisation de la production de masse. L’avantage compétitif de la France, de l’Europe occidentale ou des Etats-Unis ? L’innovation, l’enseignement supérieur, la création de produits et services inédits.

Le G20 va donc se jouer sur deux tableaux, le visible et le non-dit. Le visible, le bruyant désignera des boucs émissaires : le dollar, les Chinois ! Attendons-nous à des proclamations lyriques et impraticables sur la nécessité d’organiser des fonds de compensation et d’intervention de ceci et de cela.Tandis qu’en coulisse, chacun prendra acte du changement du monde : oui, le nombre des acteurs économiques a augmenté et oui, certains pays sont mieux gérés que d’autres. Par contraste avec les G20 antérieurs, chacun s’en retournera à un libéralisme classique dont la Grande-Bretagne donne l’exemple le plus drastique : David Cameron risque de voler la vedette à Nicolas Sarkozy et Barack Obama. Le non-dit de Séoul sera aussi, pour les gouvernements occidentaux, une leçon d’humilité : accepter le fait qu’ils ne sont plus seuls au monde et travailler mieux et plus pour garder l’avantage.

Un consensus, tout de même, devrait émerger à la demande expresse de la Corée du Sud: il n’est pas de tâche plus urgente que de faire reculer la pauvreté de masse : c’est possible, de bonnes stratégies économiques le permettent, à l’exemple même de ce que la Corée du Sud a jusqu’ici accompli.

Guy Sorman


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