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7/9/10 Guy Sorman
Seuls les entrepreneurs peuvent nous
                 sortir de la crise

L’économie, science cruelle, ne pardonne pas les erreurs. Parce que la crise financière de 2008 a été mal analysée par les gouvernements occidentaux, puis mal gérée, elle s’éternise. Pour l’Europe et les Etats-Unis, en moyenne, la croissance ramenée au nombre d’habitant sera cette année à peu près nulle : elle devrait être négative en Espagne pour la deuxième année consécutive. A la rentrée de septembre, plusieurs millions d’Européens et d’Américains n’auront pas retrouvé leur entreprise. Ceux qui vivent de leur capital investi en bourse seront plus pauvres à la fin de cette année qu’au début. Au bout du tunnel, celles et ceux qui croyaient apercevoir une magnifique lumière ont rêvé. Certains en concluront à la chute, plus ou moins finale, du capitalisme et en la nécessité de nouvelles interventions des Etats : en réalité, cette interprétation idéologique est la cause première de la stagnation prolongée. Pour comprendre comment on en est arrivé là, une ère glaciaire de la croissance, remontons le fil de l’histoire.

Quand, en 2008, les banques menacèrent de s’effondrer, Barack Obama, en campagne électorale, accusa les spéculateurs d’avoir provoqué la crise : le message démagogique plut et fut repris par tous les gouvernements occidentaux. Les banques, voilà l’ennemi : ce qui gèlera le crédit. Cette première erreur d’interprétation a conduit à une seconde fausse manœuvre : puisque les entreprises privées stagnaient, ne fallait-il pas que les Etats prennent le relais ? Cette “relance” était parée des mêmes vertus que la dénonciation des spéculateurs : elle a donné aux gouvernements l’illusion d’agir. Ce “volontarisme” devint la pensée unique du G 20 : les bureaucraties et les socialistes du monde entier prenaient ainsi leur revanche contre le libéralisme des années 1980.

Hélas ! L’économie n’obéit pas aux ordres. Aux Etats-Unis, où l’on quantifie plus précisément qu’en Europe les effets de la “relance”, il est avéré que celle-ci n’a pas créé un emploi supplémentaire : tout emploi public créé a été compensé par la perte d’un emploi privé auquel il s’est substitué. Autre exemple classique : les primes à l’achat d’automobiles ont, partout, accéléré les achats mais n’en ont pas créé de nouveaux. Jusqu’au moment où les Etats ne peuvent plus doper la demande parce que les caisses sont vides : appelons cela la preuve par la Grèce. La tragédie grecque nous a rappelé que les Etats ne vivent jamais que des sommes qu’on leur donne (impôt) ou qu’on leur prête (bons du Trésor). Mais ce sont les entreprises seules qui créent des richesses supplémentaires.

On suppose que les gouvernants savent tout cela, qui s’enseigne dès la première année aux étudiants en sciences économiques : pourquoi n’en tiennent-ils pas compte ? Sans doute est-il électoralement plus payant de faire semblant d’agir.

Maintenant, le roi est nu : la “relance” a clairement échoué. Il reste à réécrire l’histoire de la crise et à renouer avec le bon sens économique. La crise n’a pas commencé en 2008 par la faute des spéculateurs mais dès 2007, comme conséquence d’une forte hausse des prix du pétrole et des matières premières. Hausse provoquée par l’arrivée sur le marché mondial de nouveaux acheteurs comme la Chine, l’Inde, le Brésil : ces acteurs ne disparaîtront plus. Ils ne sont pas pour autant devenus des moteurs de substitution pour l’économie mondiale. Parmi les erreurs courantes, on entend que la Chine va nous tirer hors de la crise parce que son taux de croissance gravite autour de 10% par an. Mais la croissance chinoise est due pour l’essentiel à la consommation occidentale : si nous arrêtons de consommer, la Chine ralentit. Les pays émergents restent, pour l’essentiel, des ateliers de main-d’œuvre …et de contre façon

L’Occident n’étant plus seul au monde, notre prospérité à venir dépendra de la capacité de nos entreprises - les entreprise existantes et plus encore les entreprises à créer - à s’adapter à la nouvelle donne : elles devront se recentrer sur des activités qui incorporeront plus d’innovations et moins de matière. Il est significatif que les pays d’Europe qui surnagent actuellement sont l’Allemagne et la Suisse parce que leurs entreprises offrent des spécialités et des services de niveau mondial, sans équivalent. La France ou l’Italie sont moins bien lotis car beaucoup de ce qui s’y fait peut être produit ailleurs, moins cher. Pour l’Espagne ou le Portugal, il est difficile d’y repérer, en dehors du tourisme, des activités qui n’auraient guère d’équivalent ailleurs : leur marge de compétition est quasi nulle.

L’Europe et les Etats Unis ne sortiront donc de cette crise structurelle que par une réflexion de fonds sur leur avantage comparatif sur un marché mondial bouleversé par l’émergence des nouveaux acteurs. La clé de cette réflexion sera la capacité d’innovation du monde occidental : là, nous gardons encore quelque avance sur le reste du monde, grâce à nos universités en particulier .L’éducation, désormais, conditionnera directement la croissance : le véritable ministère de l’Economie est celui de l’Education. Et qui innovera sinon « l’entrepreneur » ? Ce terme créé en France, il y a deux siècles, par Jean-Baptiste Say, reste mal compris en Europe : en clair, selon “la Loi de Say”, la croissance, dans toutes les sociétés, est fonction du statut de l’entrepreneur parce que c’est lui seul qui combine les percées scientifiques, le travail et le capital. Les seules politiques économiques efficaces sont donc celles qui libèrent- durablement - l’entrepreneur : la fiscalité, le crédit, le droit du travail lui sont-ils favorable ou non ? Le reste est sans effet économique réel.

On n’appelle pas ici à la disparition de l’Etat, arbitre de dernier ressort: ce qui importe est la direction des affaires publiques, dans la longue durée. Aussi longtemps que les gouvernements entonneront la rengaine de la relance, de la dénonciation (sus aux spéculateurs ou aux Chinois !) ou de l’illusion (la lumière au bout du tunnel), et passeront sans cesse de l’une à l’autre, nous resterons enlisés. La sortie de crise exige de renouer avec ce que l’on appelle l’économie de l’offre : cette politique favorable à l’entrepreneur (au futur entrepreneur plus encore qu’à l’entrepreneur existant)s’esquisse en Grande-Bretagne avec David Cameron qui promet d’être plus thatchérien que Margaret Thatcher. Elle pourrait s’affirmer aux Etats-Unis en novembre, si Barack Obama était mis en échec aux élections parlementaires par des Républicains pro-capitalistes. On ne saurait trop insister sur la lourde responsabilité du gouvernement Obama qui aura entraîné le monde à sa suite dans une impasse idéologique .

Guy Sorman


 

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