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5/1/11 Guy Sorman
                 Le capitalisme a digéré la crise !

Prévoir n’est pas le point fort de la science économique. Bien peu d’économistes avaient anticipé la crise financière de 2008 : c’est donc avec prudence que nous annoncerons ici une nouvelle année en croissance. La difficulté de prévoir tient à la nature même du système capitaliste mondialisé : tout événement local peut désormais provoquer un retentissement global à la manière dont les phénomènes météorologiques se propagent. De plus, étant fondé sur l’innovation, le capitalisme ne progresse jamais que de perturbation en perturbation, puisque toute innovation est risquée et qu’aucune innovation, y compris financière, n’est assurée du succès. Mais ce système complexe, impossible à enfermer dans un modèle mathématique, malgré ses pannes, s’avère de plus en plus résistant parce que mondial : un accident ici est vite compensé par un progrès là-bas. Ainsi, quand les Etats-Unis ralentissent, la Chine ou l’Inde accélèrent et l’équilibre d’ensemble se rétablit.

Le capitalisme mondialisé est en quelque sorte auto-stabilisateur. Ainsi, les prophètes les plus disqualifiés par la récente récession se trouvent être les prophètes de malheur du type Paul Krugman ou Joseph Stiglitz aux Etats-Unis. Ces Jérémie, très répandus dans les médias, du haut de leur Prix Nobel d’économie, nous avaient annoncé la crise finale du capitalisme : il n’y a pas un an, la presse française et italienne surtout, s’interrogeaient doctement sur “le retour de Karl Marx” et la validité de ses prédictions. Les plus modérés ne juraient que par Keynes (une icône aussi illisible et périmée que Marx), promettant, ou espérant que “plus rien ne serait comme avant”. Des chefs d’Etat, évidemment à l’affût de nouveaux pouvoirs, promettaient une économie mondiale dorénavant sous contrôle et suffisamment réglementée pour que toute crise en soit bannie par décret.

Eh bien, à l’aube de 2011, le nouveau capitalisme mondial ressemble étrangement à l’ancien : l’innovation, le profit et l’échange restent, pour notre temps, les seuls moteurs connus du développement. Seules les banques sont désormais soumises à quelques nouvelles règles, assez modestes, propres à renforcer la sécurité : ces banques sont surtout, spontanément, devenues plus prudentes parce que tel est leur intérêt. Les riches continuent donc à s’enrichir mais aussi, partout dans le monde, s’élèvent en masse, par dizaines et centaines de millions d’hommes, de nouvelles classes moyennes. Les véritables laissés pour compte sont les peuples incarcérés par leur gouvernement dans des économies non capitalistes et non mondialisées. Voyez Cuba ou la Syrie.

Ce capitalisme global n’a-t-il pas été sauvé du désastre par les interventions publiques ? De fait, rendons grâce aux gouvernements, en particulier aux membres du G20 pour n’avoir pas fermé les frontières comme en 1930, ni allumé une hyperinflation comme en 1975. “Ne pas nuire”, en économie comme en médecine, est la première vertu. Sans doute devrait-on pareillement se féliciter de l’action des banques centrales : au contraire de 1930, elles ont abondé le marché en liquidités. Ce geste a empêché la panique des épargnants mais sans relancer pour autant la croissance, car les banques pas plus que les gouvernements ne savent ni ne peuvent y parvenir par eux-mêmes. La “relance” ne procède jamais que des entrepreneurs, de leurs initiatives et de leurs investissements : ne pas nuire à l’économie exige de ne pas décourager ni faire fuire ailleurs les entrepreneurs.

Le regain attendu et envisageable de la croissance dans les pays développés en 2011, en particulier aux Etats-Unis et en Europe, ne devrait pas résorber pour autant le chômage. La “croissance sans l’emploi” devient une norme regrettable dans ces régions, essentiellement parce qu’une partie de la population n’est pas qualifiée pour des emplois complexes, tandis que les métiers manuels sont exportés là où les salaires sont bas. Il n’existe pas de solution à court terme, sauf à baisser les salaires, ce qui est socialement inconcevable. Alléger les contraintes propres au droit du travail, tempérer les avantages sociaux accordés aux chômeurs, aurait quelque effet positif, mais limité, et nul gouvernement n’est disposé à en payer le prix politique. Il reste donc à élever le niveau et la spécialisation de l’éducation, ce qui, à condition de commencer de suite, exigera une génération avant de produire des effets mesurables.

On devrait aussi envisager sérieusement l’hypothèse de la ré-industrialisation comme nouvelle source d’emplois en grand nombre de qualification moyenne. On en perçoit des signes aux Etats-Unis, où General Electric, par exemple, rapatrie certaines fabrications. De nouvelles techniques (nanotechnologies) rendent la ré-industrialisation viable. Une autre bonne raison militerait en faveur de la ré-industrialisation des pays occidentaux : la copie des méthodes de production par les pays de sous-traitance comme la Chine. Les entreprises occidentales sont toujours plus concurrencées par des entreprises chinoises (indiennes demain ?) qui proposent les mêmes produits que les Occidentaux dont ils ont décalqué les procédés : ce que l’on appelle “reverse engineering” et dont la ré-industrialisation dans les pays d’origine permettait, pour un temps, de se protéger.
2011, an 1 de la ré-industrialisation ?

Cette survie et adaptation du capitalisme n’est elle pas menacée par la volatilité des taux de change et l’endettement des Etats ? En fait, il convient d’inverser le raisonnement : si la croissance revient, les dettes seront soldées. Si elles ne le sont pas, les monnaies seront dévaluées, pas nécessairement par la volonté des gouvernements mais par les marchés financiers, c'est-à-dire par les épargnants. C’est déjà le cas pour l’euro : la baisse de l’euro, en favorisant les exportations européennes, résout le problème posé par ce qui était la surévaluation de l’euro. On conclura, comme pour le capitalisme, que les taux de change flottants sont le pire système monétaire à l’exception de tous les autres. Au total, c’est le travail qui fait la richesse des nations, pas les manipulations des institutions économiques : et le capitalisme transforme assez convenablement le travail en richesses.

Guy Sorman



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