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4/11/11 Frank Shostak
         Seule une purge du système peut ramener
                                 la croissance !

Le 27 octobre, les dirigeants européens ont conclu un accord avec les banques de la zone euro pour qu’elles enregistrent une perte de 50 % sur la valeur nominale de leurs prêts à la Grèce. Les dirigeants ont également mis en place un plan pour forcer les banques à lever de nouveaux capitaux pour les préparer à un éventuel défaut de dette souveraine. Les banques devront avoir un ratio Tier 1 (fonds propres par rapport à leurs bilans) de 9% d'ici le 30 juin 2012. Le besoin de recapitalisation des banques est estimé à 106 milliards d'euros.

Les décideurs de la zone euro ont également convenu de porter le fonds européen de stabilité financière (F.E.S.F.) à 1000 milliards d’euros ; ce qui suggère que ce fonds vise à garantir les obligations émises par des pays comme l'Espagne ou l'Italie. Mais ce nouveau plan est-il une base pour une croissance économique saine dans la zone euro ? Nous pensons que l'élévation du capital dans l'économie globale, et pas seulement dans le secteur bancaire, est nécessaire pour parvenir à une croissance économique saine. La principale source de l’augmentation de capital dans l'économie est une expansion de l'épargne réelle disponible.

Même s'il n'est pas possible de quantifier cette épargne, on peut déterminer les facteurs qui la minent. Nous estimons qu’un facteur important de la crise économique de la zone euro a été une politique monétaire laxiste. La croissance des engagements (dette) de la B.C.E, qui était de 7 % en juillet 2007, a bondi à 53 % en janvier 2009. En réponse à cette accélération, le taux d'intérêt directeur de la BCE a été abaissé de 4,25 % en septembre 2008 à 1 % en mai 2009.

Nous estimons que cette politique monétaire accommodante a contribué à une mauvaise allocation de l'épargne réelle dans un environnement déjà fortement dégradé. Au lieu d'être employée à générer de la richesse réelle et donc à former un capital solide, l’épargne a été gaspillée dans des bulles diverses en raison d’une politique monétaire laxiste.

De fortes dépenses publiques et une augmentation de la dette en pourcentage du PIB sont un autre facteur expliquant les dommages infligés au pool d'épargne réelle (l’effet d’éviction). Ainsi, en Allemagne, la dette publique en pourcentage du PIB se situait à 83 % en 2010 contre 74 % en 2009. En France, ce ratio s'élevait à 82 % l'année dernière contre 79 % en 2009. Ce ratio explose en Grèce : 160 % en 2011 comparativement à 130 % en 2009. En Italie, il atteint le seuil critique de 120 % cette année contre 116 % en 2009.

Entre temps, la B.C.E. a annoncé, le 6 octobre dernier, que le resserrement du crédit par les banques de la zone euro a augmenté de façon significative au cours du troisième trimestre. 16% des banques disent qu'elles ont resserré les conditions de prêt, comparativement à 2 % d’entre elles au second trimestre. Selon un sondage de Bloomberg, les banques de la zone euro ont annoncé qu'elles allaient couper 775 milliards d'euros dans leurs bilans au cours des deux prochaines années pour atteindre un ratio Tier 1 de 9%. Certains experts prédisent que le désendettement bancaire pourrait atteindre 5 trillions d'euros au cours des cinq prochaines années !

Les décideurs politiques et les économistes keynésiens préfèreraient que la recapitalisation des banques se fasse sans un processus de désendettement qu'ils considèrent mauvais pour l'économie.

Pourquoi la pensée dominante keynésienne s'oppose au désendettement ?

La pression sur les banques européennes pour renforcer leurs bilans les force à tailler à la hache dans leurs actifs. Cependant, en refusant leurs prêts à des clients surendettés, les banques les obligent à vendre des actifs pour éviter l'insolvabilité. Cela entraîne une déflation du prix des actifs qui, à son tour, réduit la garantie des emprunteurs (collatéral) et conduit les banques à réduire davantage leurs prêts aux autres dans un cercle vicieux.

Il s'ensuit que si toutes les institutions financières font la même chose, elles entraînent une baisse du prix des actifs ; ce qui, pour une dette donnée, va diminuer leurs actifs nets et accroître leur endettement et les rendre moins solvables. C'est le « paradoxe du désendettement ». Si ce processus n'est pas arrêté à temps, cela peut conduire à une crise de liquidité et sérieusement endommager l'économie réelle.

Cela signifie que tous les effets secondaires du désendettement, comme le resserrement du crédit et la récession économique qui s’ensuit, doivent être contrés agressivement par le biais d’une politique monétaire expansionniste.

Le désendettement est-il mauvais pour l'économie ?

Est-il vrai que si toutes les banques essaient d’améliorer leur bilan, le résultat collectif sera désastreux pour l'économie réelle ? Au contraire ! En ajustant leurs bilans afin de refléter les conditions réelles du marché (mark- to-market accounting ou valeur actualisée), les banques jettent les bases d'une reprise économique saine. Après tout, en rognant leurs prêts, les banques sont également susceptibles de freiner l'expansion du crédit "à partir de rien" (la création monétaire). C'est ce type de crédit qui affaiblit la création de richesse et conduit à l'appauvrissement économique.

Contrairement aux tenants du «paradoxe du désendettement», nous pensons que si toutes les banques cherchent à fixer leur bilan, et dans le processus freinent l'expansion du crédit à partir de rien (planche à billet), cela jettera les bases d'une saine reprise économique. (1)

Nous pensons que la contraction du crédit au sein de la zone euro n’est pas le résultat d’un désendettement en tant que tel, mais la conséquence des dommages infligés au processus de formation du capital par des politiques monétaires et budgétaires laxistes.

Le désendettement est juste une conséquence de la diminution de la capacité de l'économie à générer du capital. Ainsi toute tentative pour freiner ce désendettement va seulement faire empirer les choses. (Notez que le désendettement est une bonne nouvelle pour le processus de formation de capital car il réduit l’inflation et la création monétaire.)

Dans l'intervalle, une baisse du taux annuel de croissance de la masse monétaire qui était de 15,8 % en août 2008 à moins de 0,3 % en mai de cette année porte une sérieuse atteinte aux diverses bulles qui se sont accumulées. Nous pensons que c'est une bonne nouvelle pour le processus de formation du capital et la création de richesse.

Les dernières données montrent que l'indice d’activité manufacturière dans la zone euro s'est affaibli davantage en octobre. L'indice a chuté à 47,3 % contre 48,5 % en septembre. En octobre de l'année dernière, cet indice était à 54,6 %. Nos analystes prévoient que l’indice va encore baisser. En outre, l’indice d’activité du secteur tertiaire s'est affaibli en octobre. L'indice est tombé à 47,2 contre 48,8 en Septembre.

Nous soupçonnons qu’en raison d'une nouvelle baisse de l'activité économique, c'est-à-dire l’éclatement des bulles liées aux mauvais investissements, les décideurs politiques pourraient avoir recours à différents stratagèmes. Par exemple, l'utilisation du F.E.S.F va freiner la décélération de la croissance de la masse monétaire. L’épargne va être détournée au profit d’investissements non rentables qui sont à l’origine de ces bulles.

Par ailleurs, en réponse à un affaiblissement de l'activité économique dont nous avons vu que c’est une bonne nouvelle pour la création de richesse, la B.C.E. est susceptible d’augmenter son pompage monétaire. Nous anticipons que cela va retarder la reprise économique en Europe. En fait, la B.C.E. a déjà augmenté le rythme de pompage monétaire. Le taux de croissance des engagements de la B.C.E. est passé à un rythme annuel de 23 % en octobre contre 9,5 % en juin.

Si la décélération de la croissance de la masse monétaire est un facteur positif pour le processus de formation du capital, l'intervention de la B.C.E. pour empêcher l’éclatement des bulles va empirer les choses dans la mesure où le processus de formation du capital sera directement touché. (2)

Encore une fois, nous maintenons que la crise actuelle est due au laxisme des politiques monétaires et budgétaires. Nous estimons également qu’en raison de la gravité de la crise, le pool de l'épargne réelle est gravement endommagé en Europe. Cela signifie que pour résoudre le problème de la zone euro, il est nécessaire d’adresser d'abord les facteurs qui minent ce pool.

Ainsi, toute politique qui s’appuie sur une plus stricte discipline monétaire et budgétaire permettra de jeter les bases nécessaires à une accumulation de capital et qui, à son tour, mettra en branle une solide expansion économique. Evidemment, un resserrement de la politique monétaire va faire disparaître des activités non rentables qui ont été encouragées par une politique monétaire laxiste. Plus le pourcentage de ces activités non rentables est élevé, plus la purge sera importante. L’éclatement de la bulle est cependant une bonne chose car il offre plus de possibilités pour les générateurs de richesse de faire avancer les choses.

Cependant, nous doutons que les décideurs politiques de la zone euro laisseront la purge se réaliser. Ils ont affirmé que le désendettement des banques doit être combattu. Nous avons vu que le désendettement est bon pour la création de richesse et donc nous pensons que le dernier plan de la zone euro ne produira pas des résultats significatifs.

Conclusion

Nous suggérons que ce qui est nécessaire pour fixer le problème de la zone euro n'est pas seulement le renforcement des fonds propres des banques, mais le renforcement du capital de base de la zone euro dans son ensemble. Les décideurs politiques insistent pour que la recapitalisation des banques ait lieu sans un processus de désendettement, qu'ils considèrent mauvais pour l'économie. Cela signifie que les autorités agiront de manière agressive pour contrer les effets secondaires de désendettement, comme le resserrement du crédit ou la récession économique. Nous pensons le contraire. Le désendettement est nécessaire pour purger le système et jeter les bases d'une expansion économique solide. En fait, toute politique visant à contrer le processus de désendettement ne fait qu’empirer les choses. (3)

Frank Shostak

(1) Le Japon est un bon exemple de ce qu’il convient de ne pas faire. Au lieu de laisser l’aléa moral jouer son rôle en laissant choir les banques insolvables quand la bulle a éclaté en 1990, la banque centrale et les gouvernements japonais qui se sont rapidement succédé ont tout fait pour maintenir artificiellement en vie ces «zombies ». Vingt après, malgré d’innombrables plans de relance keynésienne, la croissance de ce pays est atone et son ratio d’endettement est de 210% par rapport au P.I.B. (NDT)

(2) La B.C.E. vient d’abaisser son taux directeur à 1,5 %. (NDT)

(3) Hormis quelques personnalités hors du commun comme le général de Gaulle en France, Winston Churchill ou Margaret Thatcher au Royaume-Uni, ou plus près de nous dans le temps avec le chancelier Gerhard Schröder en Allemagne, les médiocres politiques choisiront toujours un expédient à la place d’une politique de rigueur qui obère leur chance d’être réélus. (NDT)




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