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11/2/12 Frank Shostak
        La dévaluation de l’euro ne résoudrait pas
                               nos problèmes !  

Nouriel Roubini, le professeur d'économie de l’université de New York, a déclaré à Davos que la politique de rigueur aggrave la récession dans la zone euro. Selon lui, ce dont l'Europe a besoin c'est de moins d’austérité et de plus de croissance. En particulier, le professeur est préoccupé par la profonde récession dans les pays périphériques de la zone euro : l'Espagne, le Portugal et la Grèce, qui subissent un strict régime d'austérité. Par exemple, en Espagne, le taux annuel de croissance des dépenses publiques était de - 12,4 % en novembre contre - 15,7 % le mois précédent. Au Portugal, le taux annuel de croissance était de - 3,6 % en décembre contre - 2,5 % en novembre. En Grèce, le taux annuel de croissance est tombé à 2,9 % en décembre contre 6,2 % le mois précédent. (1)

Un resserrement visible est également observé dans les deux principales économies européennes. Les dépenses publiques ont reculé en Allemagne à - 1,6 % en novembre par rapport à - 1,7 % en octobre. En France, le taux annuel de croissance était de - 12,4 % en novembre contre - 12,3 % au cours du mois précédent.

Selon Roubini, un resserrement de la politique budgétaire sape une activité économique déjà déprimée. Le taux annuel de croissance du P.I.B. réel de la zone euro est tombé à 1,3 % au troisième trimestre 2011. De plus, le rythme de croissance de la production industrielle a été stoppé. Il est tombé à - 0,3 % en novembre contre + 1% au cours du mois précédent.

Roubini affirme que l'austérité ne permettra pas aux pays de la zone euro de se sortir de leur crise budgétaire. Ce dont ils auraient besoin maintenant serait une dévaluation de 30 % de l’euro. Notez que la parité de l'euro par rapport au dollar américain est passée de 1,48 en avril à 1,29 en décembre 2011. Malgré cette dépréciation de 12,8% de l'euro, le taux annuel de croissance de la production industrielle a chuté de + 5,4 % en avril à - 0,3 % en novembre. Pourquoi donc une dépréciation de 30 % suggérée par Roubini devrait-elle relancer l'économie de la zone euro ?

Selon la pensée populaire (2), la clé de la croissance économique est la demande de biens et de services. Il est estimé que les augmentations ou les diminutions de la demande de biens et de services sont à l'origine des hausses ou des baisses de l'économie. Par conséquent, afin de maintenir l'activité économique, les politiques économiques doivent être très attentives à la demande globale. Une façon de renforcer la compétitivité serait donc de déprécier l'euro face au dollar américain. Supposons qu’en réponse à une politique quantitative de la Banque centrale européenne (B.C.E.), le taux de change de l’euro tombe à 0,5 dollar. La demande globale de biens produits en Europe sera susceptible d'augmenter. Cela permettra un rééquilibrage de la balance des paiements et une croissance économique plus forte.

Prenons pour exemple que les Européens offrent deux sacs de pommes de terre au lieu d’un aux Américains. Cela signifie que le prix du sac de pommes de terre américaines vendu en Europe est maintenant deux fois supérieur à celui qu’il était avant la dépréciation de l'euro. Cela abaisse la consommation par les Européens de pommes de terre américaines. En bref, ce que nous avons ici dans la mesure où l'Europe est concernée, c’est plus d'exportations et moins d’importations, ce qui, selon la pensée dominante, serait une excellente nouvelle pour la croissance économique.

Pourquoi un coup de pouce aux exportations à travers une dépréciation de l’euro porte-t-il dommage à la création de richesse ?

Quand une banque centrale annonce un assouplissement de sa politique monétaire, cela conduit à une réponse rapide des acteurs du marché des changes consistant à se délester de cette monnaie au profit d’autres. Ce qui conduit à la dépréciation de cette monnaie sur le marché des changes. En réponse à cela, les producteurs peuvent exporter davantage. Afin de financer l'augmentation de leur production, les producteurs approchent les banques commerciales, qui, en raison du pompage de la banque centrale, sont heureuses d'accorder un crédit à un taux d'intérêt plus faible.

Par le biais de ce nouveau crédit, les producteurs peuvent accroître leur production de biens en vue de répondre à la demande à l'étranger. En d'autres termes, par l'intermédiaire de ce crédit nouvellement créé, les producteurs détournent le pool d’épargne disponible qui allait à d’autres activités économiques. Tant que les prix intérieurs restent fixes, les exportateurs enregistrent une augmentation des profits. Mais la compétitivité améliorée artificiellement par la dépréciation de la monnaie revient en fait à un appauvrissement généralisé. L’amélioration de la compétitivité signifie que les citoyens d'un pays sont contraints d’abaisser leur consommation de produits étrangers. Alors que le pays s'enrichit en termes de monnaie étrangère, il devient plus pauvre en termes de richesse réelle, c'est à dire en termes de biens et de services nécessaires au maintien du niveau de vie. Comme le temps passe, les effets de la dévaluation s’estompent à travers un large éventail de prix de biens et de services qui augmentent, érodant ainsi les exportations. Une hausse généralisée des prix met un terme à la tentative illusoire de créer la prospérité économique à partir de rien. (3)

Ecoutons ce que disait Ludwig von Mises (4) : « Les avantages de la dévaluation sur le rétablissement de la balance commerciale sont entièrement dus au fait que l'ajustement des prix intérieurs et des salaires exige un certain temps. Tant que ce processus d'ajustement n'est pas terminé, l'exportation est encouragée et l'importation est découragée. Toutefois, cela signifie simplement que, dans cet intervalle, les citoyens du pays reçoivent moins pour ce qu'ils vendent à l'étranger et payent plus cher pour ce qu'ils achètent à l'étranger. De façon concomitante, ils doivent restreindre leur consommation. »

Comparons la politique de dépréciation de la monnaie avec une politique conservatrice. Dans cette dernière, lorsque la richesse réelle se développe, le pouvoir d'achat suit. Cela conduit, toutes choses étant égales par ailleurs, à l'appréciation de la monnaie. Avec l'expansion de la production de biens et de services, les coûts de production baissent et les producteurs locaux peuvent améliorer leur rentabilité et leur compétitivité sur les marchés tandis que la monnaie s’apprécie. (5) Notez que dans le cadre de la politique monétaire accommodante, les gains temporaires sont à la charge d'autres activités rentables de l'économie (6), alors que dans le cadre d'une politique monétaire conservatrice, les gains ne s’effectuent au détriment de personne mais sont simplement le résultat de l'accroissement global de la richesse.

Il doit être apprécié que, contrairement à la croyance populaire, les deux politiques de rigueur budgétaire et monétaire fournissent un appui aux créateurs de richesse tout en sapant les investissements non rentables. Roubini qui plaide pour le relâchement des politiques de rigueur, demande en fait de renforcer les activités destructrices de richesses (7) et donc recommande un marasme prolongé au sein de la zone euro.

Résumé et conclusion

Selon certains experts, ce qui est nécessaire pour réparer la zone euro n'est pas un resserrement des politiques budgétaires, mais une dévaluation de 30% de l'euro. Entre avril et décembre 2011, l'euro s'est affaibli par rapport au dollar de près de 13 %, mais l'activité économique a continué à glisser. Pourquoi donc une dépréciation de 30 % relancerait-elle l’économie ? (8) Nous pensons que la recommandation de dévaluer l’euro repose sur un cadre de pensée erronée. Une telle politique ne peut qu’empirer les choses dans la zone euro.

Frank Shostak

Notes du traducteur :

(1) Notez qu’il ne s’agit que d’une décélération très souhaitable des dépenses publiques et non pas du P.I.B. en Espagne et au Portugal, alors qu’en Grèce les dépenses publiques augmentent encore !

(2) Le paradigme erroné de Keynes est l’alma mater des énarques omniscients qui nous gouvernent. Les politiques ne sont que des marionnettes entre les mains de ces experts.

(3) La création monétaire ne donne qu’un sentiment de richesse illusoire. La vraie richesse s’appuie sur un capital constitué au préalable. En France on incite les entreprises à s’endetter et on taxe fortement celles qui font des profits. Pour nos dirigeants socialistes, le profit est soit stérile (thésaurisation), soit injuste car les bénéfices doivent être redistribués aux salariés et non pas aux actionnaires qui prennent des risques. En conclusion, les pertes sont individualisées et les bénéfices socialisés à travers une forte taxation. C’est une très forte incitation à ne pas investir dans ce pays.

(4) Ludwig von Mises (1881-1973) est le parrain de l’école autrichienne d’économie.

(5) La Suisse est un bon exemple de ce cercle vertueux. Malgré un franc suisse élevé, les producteurs suisses demeurent toujours compétitifs. On devrait inviter les Suisses et non pas les Allemands sur les plateaux de télévision pour nous expliquer le succès de leur modèle économique.

(6) C’est l’effet d’éviction. La manipulation incessante des taux d’intérêt par la banque centrale détourne l’épargne au profit de mauvais investissements qui sont à l’origine de presque toutes les bulles depuis 1913. La B.C.E. est indirectement responsable de la bulle immobilière espagnole.

(7) Les mauvais investissements sont induits par la politique laxiste de la banque centrale.

(8) Une dévaluation de la monnaie ne sert à rien sans une réforme concomitante des structures de production pour rétablir l’équilibre de la balance commerciale. Dans le cas de la France, il faut supprimer le salaire minimum, le monopole de la sécurité sociale, le code du travail et abaisser fortement les taxes qui pèsent sur l’épargne. Sans un pool d’épargne abondante et liquide à travers une hausse naturelle des taux d’intérêt qui suppose la disparition de la banque centrale et le retour au système de l’étalon or, les P.M.E. françaises ne pourront pas investir et se développer.


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