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2/10/10 Thierry Desjardins
                     Sarkophobie !

Christophe Barbier, le directeur de L’Express, qu’on voit un peu partout énoncer, souvent péremptoirement, ses vérités et ses contrevérités, établit un subtil distinguo entre « la sarkophobie » et « l’antisarkozisme ».

D’après lui, les « sarkophobes » sont ceux qui s’attaquent à la personne du président de la République, à son style, à ses manières, à son vocabulaire alors que les « antisarkozistes », eux, lui reprochent ses prises de position, certains de ses discours, voire la politique qu’il mène en général.

Dans sa grande bonté, Barbier admet qu’on puisse, éventuellement, être « antisarkoziste », puisqu’on se place alors dans le combat politique, la querelle des idées. Mais il ne tolère pas qu’on soit « sarkophobe » car, en s’en prenant ad hominem au chef de l’Etat, on manque de la courtoisie la plus élémentaire (« une valeur de la République », va-t-il jusqu’à dire) et on perd toute crédibilité en sortant du domaine de la confrontation politique.

Etant considéré par certains comme un « sarkophage » impénitent, le sophisme soulevé par Barbier m’intéresse particulièrement.

En regardant les choses d’un peu près, on s’aperçoit qu’il a raison. Les Français dans leur ensemble, plus de 67% d’entre eux en tous les cas, sont frappés depuis des mois par une « sarkophobie » galopante alors que certains députés UMP sont simplement atteints, depuis quelques semaines, d’« antisarkozisme ».
Les premiers ne supportent plus physiquement le président de la République. Les seconds se disent qu’au train où çà va ils n’ont plus aucune chance de retrouver le siège de parlementaire auquel ils ont pris goût.

Aux yeux de Barbier, les premiers sont, naturellement, de vulgaires incultes versés dans le populisme et dont les propos ne dépassent pas le niveau des arrière-salles de bistrots, alors qu’il est tout à fait prêt à entamer une intéressante discussion avec les seconds, de préférence sur un plateau de télévision, et qu’il se fait fort de la remettre sur le droit chemin.

Barbier n’a rien compris.

Il faudrait, d’abord, qu’il relise la Constitution. Ce n’est pas au chef de l’Etat qu’on peut reprocher tel ou tel aspect de la politique menée. Il n’en est pas le responsable. L’article 20 de la Constitution est formel : « Le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation », alors que l’article 5 précise que « le président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat ». Le chef de l’Etat, arbitre suprême, est au dessus de la mêlée, il incarne non seulement l’Etat, dont il assure la continuité, mais, aussi et surtout, la Nation elle-même puisque, à l’instant où il a pris ses fonctions, il est devenu le président de « tous » les Français.

Naturellement, Sarkozy a totalement violé ces deux articles de la Constitution dès son arrivée au pouvoir, en prenant sans aucune pudeur tout en main et en « déterminant et conduisant la politique » du pays, sans la moindre hésitation, la moindre concertation avec qui que ce soit. Elu du peuple, sur un programme précis, il estimait avoir tous les droits si ce n’est tous les pouvoirs pour mettre en œuvre ce programme. Il faut reconnaître que ses prédécesseurs en avaient souvent fait tout autant, mais avec plus de discrétion.

On touche d’ailleurs là à une des incohérences fondamentales de notre Constitution qui prévoit que « le président préside le Conseil des ministres » (article 9), mais que « le premier ministre dirige l’action du gouvernement » (article 21), que « le président est le chef des armées » (article 15), mais que « le premier ministre est responsable de la défense nationale » (article 21), etc.
Cela dit, même si Sarkozy, en jouant sur les textes, avait plus ou moins le droit de présidentialiser à outrance notre régime et d’usurper la fonction de chef du gouvernement en traitant son premier ministre comme un simple « collaborateur », il n’en demeurait pas moins président de la République, arbitre suprême, incarnation de la Nation.

Or, incarner la France c’est évidemment un poste, une fonction, un rôle bien particuliers.

Sarkozy nous avait promis une « République irréprochable ». Les Français n’en demandaient pas tant. Ils voulaient simplement un président irréprochable, un chef d’Etat qui soit un homme d’Etat. C’est-à-dire un homme qui ait « une certaine idée de la France », une vision de l’avenir, une cohérence clairement exposée dans ses projets, mais aussi, en même temps, une certaine tenue, et une certaine retenue, une certaine dignité, un langage plus ou moins châtié.

Or, tout se tient. Car on ne peut « être la France » et se goberger avec des milliardaires, doubler son salaire, épouser un top-modèle au passé sulfureux, insulter des passants, être la risée des chefs d’Etat étrangers par son manque de savoir-vivre, se tenir comme un palefrenier aviné en désignant à la vindicte populaire les métèques et les romanichels.

Sarkozy n’a pas su, pas pu revêtir les habits présidentiels. Les Français – du moins 67% d’entre eux, ce qui est tout de même beaucoup - lui reprochent moins ses échecs sur tous les fronts, le chômage, la délinquance, l’immigration, la politique étrangère, que d’avoir l’air d’un parvenu mal élevé et arrogant installé par effraction dans le bureau du général de Gaulle.

Aussi décrié qu’il ait pu être pendant ses deux mandats, Chirac est aujourd’hui l’homme politique le plus populaire de France. Il savait se tenir à table. Les Français sont devenus « sarkophobes » parce qu’au-delà des débats politiques qu’animent les « antisarkozistes », Sarkozy n’est pas « présentable ». Ce qui ne va pas l’empêcher de se représenter…

Thierry Desjardins


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