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19/6/11 Jean-Jacques Rosa
             L’euro : autopsie d’une catastrophe !

Non seulement la zone euro n'est pas une zone monétaire optimale, non seulement elle n'est pas une zone monétaire non optimale qui pourrait être rendue « praticable » par la création d'un Etat fédéral organisant des transferts compensateurs pour divergences de conjonctures, non seulement ne lui est-il pas permis d'espérer en construire un puis qu’elle n'est pas une « zone étatique optimale », mais au surplus la divergence des inflations nationales dans le cadre d'une monnaie unique engendre des incitations perverses qui exacerbent les déséquilibres de conjoncture dans tous les cas de figure. La Banque centrale de Francfort fixe en effet un taux d'intérêt unique pour tous les pays membres. Dans les pays peu inflationnistes où l'activité n'est vraisemblablement pas la plus intense, l'inflation est modérée et, comparée au taux nominal de la BCE, détermine un taux d'intérêt réel (inflation déduite) positif. D'autant plus positif en fait que son inflation est faible. Ainsi une économie en récession sera confrontée à des taux d'intérêt réels d'autant plus pénalisants qu'elle est plus profondément en récession. Si elle va jusqu'à la déflation, le taux de la BCE va freiner encore davantage la reprise de son activité.

A l'inverse, une économie en plein boom aura une inflation plus élevée qui réduira d'autant ses taux d'intérêt réels, poussant encore plus l'activité vers la surchauffe. L'inflation augmente alors un peu plus, abaissant encore les taux d'intérêt réels et favorisant toutes sortes de spéculations sur les actifs dont l'offre est peu élastique, par exemple les actifs fonciers et immobiliers. Il s'ensuit des « bulles » spéculatives qui sont destinées à éclater lors du moindre retournement de la conjoncture, et donc des taux d'inflation, ou lors d'une majoration des taux d'intérêt.

La politique monétaire unique freine ainsi les économies en récession et stimule les économies en surchauffe. Elle est par nécessité profondément déséquilibrante, tout au contraire de la prétention initiale à constituer un « bouclier » contre les crises économiques et financières.

Les banques de la zone euro ont, par suite, été confrontées à des tentations considérables : développer massivement des prêts de plus en plus douteux et à rendement majoré par la bulle dans l'immobilier, en se refinançant à bon compte grâce à l'euro ; les investisseurs voulaient emprunter davantage en raison de la chute des taux réels (du fait de la hausse des prix) et les banques voulaient prêter davantage parce que leur taux réel de refinancement chutait lui aussi pour la même raison, la BCE les refinançant à un taux nominal constant. Ce mécanisme nourrissait à son tour l'envolée des prix dans l'immobilier, comme en Irlande et en Espagne, réduisant en retour le coût réel de ces opérations financières.

Et c'est ainsi que les Etats membres de la zone, qui se sont trouvés confrontés à une grande récession à laquelle ils ne pouvaient pas réagir par le change (au contraire, l'euro se réévaluait massivement contre le dollar et les économies liées au dollar), ont vu leurs économies plonger. Que pouvaient faire dans ces conditions des gouvernements privés d'une politique monétaire adéquate ? Il ne leur restait plus que l'arme des déficits budgétaires. D'autant plus tentante que le coût de l'argent est abaissé, à la fois par la garantie de la valeur que fournit l'euro fort et par les taux réels réduits par l'inflation. Les gouvernements des économies les plus vulnérables (comme celle de la Grèce, dépendante du tourisme et à la gestion fiscale laxiste) ou comme en Irlande et en Espagne du fait de l'éclatement des bulles immobilières) ont dû se retourner vers le seul instrument de stabilisation dont ils disposaient encore : les déficits publics. Jusqu'au seuil de l'insolvabilité. Une monnaie indépendante aurait vu sa valeur plonger, limitant la capacité d'emprunt à l'étranger et donc l'accumulation de ses dettes. Mais l'euro fort permettait d'aller beaucoup plus loin dans l'endettement souverain. C'en était fait de sa vertu présumée à assainir les finances publiques.

Il est ainsi évident que le dossier économique de l'euro était très défavorable, voire désastreux, avant même sa mise en œuvre, ce qui a été confirmé en tous points, et même au-delà, par la suite des événements. Pourtant les économistes qui ont développé ces arguments n'ont pas été entendus. Ils ont même été écartés du débat public au profit de la majorité des représentants de la profession qui a emboîté le pas aux dirigeants politiques, administratifs et patronaux, dans l'éloge des avantages miraculeux que la monnaie unique était censée apporter à nos économies.

Jean-Jacques Rosa

Extrait de « L’euro : comment s’en débarrasser » (Grasset)


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