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Retraites : une réforme pour rien

26/4/03 Claude Reichman
On pouvait s'y attendre : la montagne a accouché d'une souris. Le plan de réforme des retraites annoncé par François Fillon à la télévision est tout sauf un plan de réforme. Il maintient l'essentiel du dispositif et nous conduit tout droit à la catastrophe. Il suffit pour s'en convaincre de comparer deux chiffres. En 2020, le total des pensions à verser chaque année aux retraités sera de plus de 200 milliards d'euros (1312 milliards de francs), soit 31% de plus qu'à présent. Pour trouver ces sommes, le gouvernement compte sur l'allongement de la durée de cotisation, qu'il projette de porter à 42 ans pour tous en 2020. En réalité, cette mesure n'aura d'effet que sur le secteur privé, puisque les retraites des fonctionnaires sont payées par le budget. Le secteur privé, qui cotise actuellement 40 ans, verra donc sa durée de cotisation augmenter de deux ans, c'est-à-dire de 5 %. Comme on est dans un système de répartition, l'argent des cotisants est aussitôt distribué aux allocataires. Ainsi donc le gouvernement veut nous faire croire qu'en augmentant les cotisations de 5%, il pourra faire face à une augmentation des pensions de 31 % ! D'autant que M. Fillon a déclaré que " l'objectif du gouvernement n'est pas de faire baisser les pensions ". Autrement dit M. Fillon et M. Raffarin, qui soutient le plan de son ministre des affaires sociales, se moquent de nous. M. Bernard Thibault, le secrétaire général de la CGT, estime que " la baisse moyenne, à terme, du niveau de retraite sera de l'ordre de 30 % sur la période 1993-2020 ". Au vu des chiffres qui précèdent, on voit mal comment il pourrait en être autrement. Et ce ne sera qu'un début, puisque la crise atteindra son plein effet en 2040, quand il y aura à peine un actif pour un retraité. Encore ces prévisions ne tiennent-elles pas compte de deux facteurs essentiels. Le premier a trait au nombre des actifs. La fin du monopole de la sécurité sociale concerne évidemment aussi les régimes de retraite. Avec des perspectives aussi sombres, qui sera assez stupide pour continuer à cotiser dans le système actuel ? De plus, il est d'ores et déjà possible, à la suite d'un arrêt récent de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE), de souscrire une assurance retraite dans n'importe quel pays de l'Union et de bénéficier de la même déduction fiscale que si on l'avait contractée en France.

Un demi-siècle de folies

Autrement dit on risque fort de n'avoir plus en France que des retraités et des fonctionnaires. Et il va de soi que ni les uns ni les autres ne pourront toucher de pensions, tandis que notre pays sera économiquement exsangue. Car si le pouvoir s'avisait de prendre par l'impôt ce qu'il ne pourra plus capturer par les cotisations sociales, on assisterait à une formidable vague de délocalisation des entreprises et d'émigration des actifs, auprès de laquelle le mouvement actuel en direction des pays plus accueillants fiscalement paraîtra dérisoire. Nous avons commencé de payer un demi-siècle de folies. C'était folie de miser sur le tout répartition. C'était folie de ne pas faire de réserves, alors qu'on savait depuis des décennies à quelle date se produirait la grande crise des retraites en France. C'était folie de porter les prélèvements fiscaux et sociaux à un degré si élevé que les Français n'ont plus disposé des moyens d'atténuer par leur épargne individuelle l'effondrement prévisible du système de retraite collectif. C'était folie d'interdire tout véritable débat sur un problème de cette gravité. Car enfin, qui entend-on, qui lit-on sur le sujet ? Toujours les mêmes, qui sont tous de farouches partisans du système par répartition et qui traitent d'hérétiques les idées qui en dénoncent la malfaisance. Du coup, les Français sont partagés entre l'incrédulité et la résignation. On a même l'impression que le sujet ne les intéresse pas. Tandis que 15, 8 % des téléspectateurs regardaient M. Fillon sur France 2, 42, 5 % d'entre eux suivaient la série policière " Julie Lescaut " sur TF1. Il en ira bien différemment quand nos compatriotes commenceront d'être vraiment touchés personnellement par le drame des retraites et la crise économique qui en résultera. Leur colère éclatera alors avec une violence que leur placidité, pour ne pas dire leur avachissement actuel ne laisse pas soupçonner. Mais cette colère sera vaine, même si elle provoque la chute du régime politique. Aucune manifestation aucune émeute, aucune révolution n'a jamais rempli miraculeusement les caisses publiques. Il y faut un gouvernement digne de ce nom, du temps et une détermination sans faille. Autant de conditions que ne remplissent pas ceux qui ont la charge de l'Etat aujourd'hui et qui ne diffèrent en rien de ceux qui les ont précédés. La solution du problème des retraites passe par quelques mesures décisives. Il faut arrêter la répartition, laisser les moins de 50 ans se constituer une retraite personnelle par capitalisation et assurer par l'impôt le paiement des pensions actuelles jusqu'à extinction des bénéficiaires. A cet effet, il faut diminuer de moitié le nombre des fonctionnaires en ne remplaçant pas ceux qui partent à la retraite. Cela nous ramènerait au taux moyen de fonctionnaires dans les pays du G7, alors qu'il est actuellement du double chez nous. Ces mesures peuvent paraître rudes. Elles le sont en effet. Mais elles seront moins dures à supporter que la ruine qui guette le pays. Il y a au moins un point sur lequel je serai d'accord avec M. Fillon. " Nous n'avons plus le temps ", a-t-il déclaré au cours de son émission. C'est exact. Et c'est bien pour cela qu'il faut cesser de tromper les Français.

Claude Reichman

 

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