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Référendum sur l'Europe : la machine infernale est en marche

11/9/04 Claude Reichman
En choisissant le référendum plutôt que la voie parlementaire pour faire approuver le projet de Constitution européenne, Jacques Chirac a déclenché un mécanisme infernal qui va ravager la classe politique, redistribuer toutes les cartes et - peut-être - redonner vie à la démocratie en France. Bien entendu, telle n'était pas l'intention du président de la République. Politicien professionnel depuis environ quarante ans, il n'a en tête que des préoccupations de postes et d'appareil. Tout à sa rivalité avec Nicolas Sarkozy, il a voulu piéger celui-ci en le forçant à faire campagne pour le oui, c'est-à-dire à s'aligner sur lui. Accessoirement, il comptait bien diviser la gauche, ce qui est en train de se produire. Mais ce faisant, il donnait les meilleurs chances au non de l'emporter. Or si cela se produit, non seulement une certaine Europe aura vécu, mais encore les deux partis qui, en France, se sont partagé le pouvoir depuis le début de la Ve République seront en ruine. Car si les socialistes choisissent de voter non, ils se désavoueront eux-mêmes, tant ils ont approuvé et soutenu la construction européenne. Ne parlons pas de l'UMP, qui est déjà une morte en sursis. Le champ politique ainsi déblayé, place sera faite aux tentatives de reconstruction d'une vie politique digne d'un pays moderne.

C'est la raison pour laquelle un vote négatif s'impose à ce référendum. On nous objectera bien sûr qu'il risque de détruire l'Europe. C'est complètement faux. Si le non l'emporte dans un seul pays, le projet de Constitution, qui de toute façon ne devait pas s'appliquer avant la fin de 2009, sera rejeté et l'Union continuera de fonctionner sous la règle du Traité de Nice. Celui-ci n'est certes pas un bon texte, mais comme il devait rester en vigueur pendant encore cinq ans, cela ne changera rien dans l'immédiat et l'on aura tout le temps de remettre un nouveau projet constitutionnel en chantier. Et surtout on aura donné un coup d'arrêt à la fuite en avant qui, depuis quelques années, a transformé, selon le mot même d'un de ses partisans convaincus, l'Europe en train fou. La raison de ce dévoiement de la construction communautaire est qu'elle s'est faite sans la participation et l'accord des peuples. Le référendum va permettre au peuple français de prendre enfin la parole et d'exprimer son véritable sentiment.

Triple enjeu

Le problème de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne sera naturellement au cœur de la consultation référendaire. Certes, la question ne sera pas officiellement posée, mais on peut être certain que si le oui l'emporte, plus rien ne s'opposera à ce que les actuels dirigeants de l'Union, qui sont tous favorables à cette entrée, ne l'entérinent sans demander l'avis du peuple européen. Or l'adhésion de la Turquie défie le bon sens. Elle ferait entrer 70 millions de musulmans supplémentaires dans une Europe qui ne parvient pas à intégrer ceux qui s'y trouvent déjà et qui peut éprouver les plus grandes craintes pour sa sécurité en raison du vivier terroriste qui s'est ainsi constitué. N'oublions pas que l'Europe, c'est la liberté de circulation et d'établissement dans un espace sans frontières intérieures. Qui ne voit le terrible danger que ferait courir aux équilibres européens l'entrée d'un pays et d'un peuple qui n'ont rien en commun avec les vingt-cinq nations composant l'Union.
Aucun Européen digne de ce nom ne devrait être favorable à l'entrée de la Turquie. Comment peut-on prendre le risque de faire exploser la construction communautaire quand on s'y prétend attaché ?
Rien n'interdit à l'Union européenne d'avoir des liens amicaux et de conclure des accords de coopération avec la Turquie. Mais elle ne doit en aucun cas lui ouvrir les portes d'un ensemble qui s'est construit autour de l'ambition de réunir les nations européennes et elles seules.

L'enjeu du référendum sera donc triple. Il s'agira de dire non au déficit démocratique de la construction européenne, à son extension indéfinie et déraisonnable et à une classe politique française qui a conduit notre pays dans la situation dramatique où il se trouve. Ces politiciens de petite envergure mais de grande prétention n'ont pas vu ou voulu voir qu'on ne pouvait ouvrir largement le pays à la concurrence internationale et maintenir en place un système social qui le condamne à l'échec dans un tel contexte. Aujourd'hui, les entreprises françaises s'effondrent les unes après les autres ou se délocalisent, les déficits sociaux s'accumulent et font l'objet de pseudo-réformes qui ne sont même pas financées, les perspectives de nos régimes de retraites sont catastrophiques, l'insécurité ne cesse d'augmenter en dépit des rodomontades des ministres de l'intérieur successifs et de leurs statistiques truquées. Et c'est à tout cela qu'il faudrait dire oui ? Eh bien, non.

Nous sommes plus conscients que quiconque de ce que l'Europe a apporté à la France et à toutes les nations qui la composent. La bataille contre le monopole de la Sécurité sociale que nous avons menée et gagnée, et qui représente la plus grande réforme que la France ait connue depuis un demi-siècle, n'a pu l'être que grâce aux dispositions européennes. La libre circulation des personnes, des biens et des services dans l'espace communautaire a eu des effets très heureux dans tous les pays de l'Union, et surtout dans ceux qui ont su s'adapter à la nouvelle donne et faire les réformes indispensables. Voter non au référendum ne sera pas un non à l'Europe mais aux politiciens français qui ont gâché les chances de notre pays au sein de l'Union.
Désavoués, il ne leur restera plus qu'à disparaître. Et il nous appartiendra de faire revivre la France et, bien entendu, l'Europe.

Claude Reichman

 

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