L'Etat providence s'effondre par pans entiers. Et ce n'est qu'un début.
Les intermittents du spectacle ont pris place dans la file de plus en plus longue de ceux
qui n'envisagent pas de vivre autrement qu'aux dépens des autres. Ce qu'on a coutume
d'appeler " l'exception française " n'est en fait qu'une gigantesque
escroquerie collective. Il y a un siècle et demi, Frédéric Bastiat, dans une formule
lumineuse, avait défini l'Etat comme " la grande fiction à travers laquelle tout le
monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde ". Ce n'est évidemment pas un
hasard si Bastiat est reconnu dans le monde entier comme un des plus grands économistes
de l'histoire et qu'on ignore son uvre en France. Le mettre à la place qu'il
mérite serait condamner sans appel l'organisation de la société dans notre pays. Il
n'empêche que Bastiat avait complètement raison et que les faits sont en train de le
démontrer.
Un criminologue avisé a coutume de dire que " les malfaiteurs ne s'arrêtent que
quand on les arrête ". Il en va de même pour tous les pratiquants de la
malhonnêteté, que celle-ci soit le fait des hommes de l'Etat ou de ceux qu'ils
subventionnent. Par malhonnêteté il ne faut pas entendre seulement les détournements
d'argent auxquels certains personnages au pouvoir ou proches de lui procèdent à leur
profit personnel. Si condamnables soient-ils, de tels comportements ne concernent qu'une
goutte d'eau dans l'océan des sommes dérobées à ceux qui travaillent et font vivre la
nation. S'il n'est pas consenti démocratiquement et équitablement réparti, l'impôt
n'est rien d'autre qu'un vol pratiqué au moyen du monopole de la violence dont dispose
l'Etat. Les groupes sociaux qui veulent s'emparer des sommes ainsi dérobées dans une
proportion plus importante que celle qui devrait normalement leur revenir sont eux aussi
des voleurs en réunion. La vie publique en France n'est plus qu'une immense querelle de
voleurs, à laquelle assistent impuissants les volés.
Tous receleurs C'est à cette aune qu'il faut juger des prétentions
des différents voleurs et les justifications qu'ils en donnent. Quand les employés de la
SNCF ou de la RATP bloquent les transports pour protéger leurs retraites scandaleusement
avantageuses, ils ne font rien d'autre que de racketter la société. Quand les
intermittents du spectacle empêchent la tenue des festivals de l'été pour continuer à
jouir d'indemnités de chômage qui leur permettent de vivre pendant un an après
seulement trois mois de travail, ils ne font rien d'autre que de rançonner les salariés
du secteur privé qui alimentent l'Unedic par leurs cotisations.
Et les uns et les autres, quand ils travaillent, sont payés beaucoup plus par les
subventions publiques que par leurs clients. Le déficit de la SNCF coûte chaque année
10,6 milliards d'euros (70 milliards de francs) à la collectivité. Dans un festival
comme celui d'Avignon, la billetterie ne représente que 30 % du coût des spectacles. Et
l'on pourrait multiplier les exemples à l'infini.
Bien entendu, ce n'est pas le langage que tiennent les intéressés. Il n'est question
pour les uns que de " défense du service public " et de " préservations
des acquis sociaux ", tandis que les autres se présentent comme de valeureux soldats
luttant pour la sauvegarde des " spectacles populaires " et de l' "
exception culturelle française ". Ben voyons !
Et pourtant les politiciens et les médias marchent comme un seul homme. Il est vrai que
s'ils se mettaient à dire la vérité, qu'ils connaissent parfaitement, on leur enverrait
à la figure leurs propres privilèges, qui ne sont pas moins scandaleux que ceux dont on
vient de parler. Et c'est ainsi que la France glisse de plus en plus rapidement à
l'abîme. Notre pays est profondément corrompu. Non seulement par les nombreuses
malhonnêtetés dont se rendent coupables beaucoup de ceux qui détiennent le pouvoir ou
une parcelle de celui-ci, mais aussi et surtout par son système fiscal et social, qui
fait de chaque Français un receleur. Car chacun de nous touche à un moment ou à un
autre de son existence une part de l'argent qui a été dérobé aux autres, y compris à
nous-mêmes. Mais nous ne savons jamais si ce qui nous est attribué est légitime. Nous
aimons à le penser, ou nous nous forçons à le croire, mais l'immense majorité d'entre
nous vit entre le malaise de détenir de l'argent qui ne lui appartient pas et
l'indignation d'avoir été spoliés du sien. Comment veut-on, dans ces conditions, qu'une
nation se tienne droite ?
" Les malfaiteurs ne s'arrêtent que quand on les arrête ". Jusqu'à présent,
nous n'avons pas su arrêter les malfaiteurs de l'Etat. Et année après année, ils
poursuivent et aggravent leurs forfaits. L'actuelle majorité est évidemment incapable de
briser ce terrifiant engrenage. Pour une raison fort simple, que j'ai dévoilée dans mon
dernier livre, " Le secret de la droite ", et qui tient au fait qu'elle trouve
non seulement son intérêt mais aussi et surtout sa raison d'être dans le maintien du
système spoliateur qui assassine notre pays. Dès lors comment ne pas comprendre qu'il
faut à tout prix la chasser du pouvoir, en même temps que la gauche dont elle poursuit
si bien l'uvre délétère ? Le vaste désordre actuel, qui voit tous les porteurs
de privilèges envahir les rues et perturber la vie des autres avec une incroyable
impudence, a un grand avantage : les Français commencent à mieux comprendre la
situation. C'est exactement comme cela que commencent les révolutions.
Claude Reichman |