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18/1/13 Gérard Pince
    Mali : il s’agit avant tout d’un conflit ethnique !

La rébellion des touaregs est un phénomène récurrent depuis les indépendances, notamment au Mali. Je vivais dans ce pays au moment où furent concrétisés en 1996 les accords de paix avec le gouvernement. J’ai alors sillonné, avec une escorte militaire malienne, toutes les pistes de Tombouctou à Tessalit dans l’extrême nord, et de Gao à Menaka, pour financer des infrastructures en faveur de populations oubliées. Depuis cette époque, l’arrivée de terroristes algériens, la propagande d’Al-Qaïda, et plus récemment l’abondance d’armes provenant de Libye sont à l’origine de la reprise des hostilités.

Il ne faut pas se tromper sur le diagnostic. Il ne s’agit pas d’une guerre de religion entre des islamistes et des musulmans modérés. Les Touaregs n’ont jamais pratiqué le fanatisme en matière de culte (1). En revanche, il existe bien un antagonisme atavique entre les nomades de tradition esclavagiste du Nord (Touaregs, Maures, Arabes) et les Noirs du Sud (2), sur fond de problèmes de pâturages opposant comme partout les pasteurs aux agriculteurs. Ce conflit ancestral est d’abord ethnique (pour ne pas dire racial comme au Rwanda). L’idéologie salafiste (avec la charia et ses séquelles) correspond à la mentalité des terroristes algériens, mais ne représente pour les Touareg qu’un alibi opportuniste pour se venger des Noirs. Pour l’essentiel, nous avons donc affaire à des nationalistes (1 500 000 au Mali et au Niger) qui revendiquent leur droit de vivre en autonomie.

L’arrière-plan historique et ethnique étant délimité, quels sont les atouts et les risques de l’opération française ? Le Mali n’est pas l’Afghanistan. En dépit de l’immensité de son territoire et de frontières imaginaires avec l’Algérie, la Mauritanie et le Niger, tout le trafic de véhicules passe par un nombre réduit de grands corridors. Même les chameaux ne vont pas partout, d’autant plus qu’ils sont tributaires des points d’eau. Les massifs « montagneux » se composent surtout de pitons et de rocailles, sans aucune verdure, et où les possibilités de camouflage restent aléatoires. En revanche, à l’est de Gao, les pistes qui rejoignent le Niger traversent une région de dunes arborées propice aux embuscades (3). En principe, les forces françaises devraient donc reprendre aisément le contrôle des villes du Nord, mais il sera très difficile de pacifier leurs hinterlands (4).

Le plus grand risque encouru est d’ordre humanitaire. Comment réagirait l’opinion internationale si l’armée malienne se livrait, à l’abri des Français, à des exactions à l’égard des populations civiles ? Lors des conflits précédents, les Touaregs n’ont dû leur salut qu’à une émigration vers la Mauritanie, la Libye et l’Algérie. Souvenons-nous du Rwanda. Une guerre ethnique est toujours porteuse de massacres de masse.

Certes, on ne peut pas tolérer la création d’une zone terroriste au cœur de l’Afrique, mais puisque la menace concerne toute l’Europe et les États-Unis, il me semble inadmissible que nous nous retrouvions si seuls. Ceux qui nous félicitent seront les premiers à nous montrer du doigt en cas de grosses bavures. À mon humble avis, après avoir sécurisé Bamako et Mopti, l’armée française ne devrait plus bouger tant qu’elle n’aura pas reçu le renfort de contingents européens et américains. Nous savons bien que l’Afrique sera toujours un fardeau pour l’homme blanc, mais ce n’est pas une raison pour que les Français en supportent tout le poids.

Gérard Pince

1 Quand j’étais sur place, les excès provenaient surtout de Noirs christianisés convertis à l’islam radical grâce à la propagande wahhabite financée par l’Arabie saoudite (notamment au pays Dogon).

2 Les Touaregs possèdent aujourd’hui encore des esclaves noirs : les « Bellah ».

3 C’est sur cet axe conduisant de Gao à Ménaka, en direction de la frontière du Niger, que les combats ont été les plus violents par le passé.

4 En vérité, cette région n’a jamais été totalement sûre même au temps de la colonisation française.


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