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25/3/12 Alberto Mingardi
         Les Européens sont malades du socialisme

Le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a déclaré au Wall Street Journal le mois dernier que le «modèle social européen a déjà disparu.» Si ses concitoyens européens avaient lu Friedrich Hayek, ils comprendraient pourquoi.

Friedrich Hayek, qui est décédé il y a vingt ans cette semaine, a été l'un des plus grands penseurs du siècle dernier. Lauréat du prix Nobel d'économie, Hayek est souvent associé à sa critique des systèmes socialistes. Il y a, dans la société, un «problème de la connaissance» : la vie économique nécessite la coordination de la planification individuelle. Les connaissances pertinentes pour la planification économique sont dispersées plutôt que concentrées dans la société. Si cela rend la coordination assez difficile dans un système de marché, il la rend impossible dans une planification centrale. Le planificateur ne peut jamais garantir de traiter toutes les informations nécessaires pour fournir des indications détaillées à tout développement dans une société donnée.

Même si cet argument a été utilisé contre le socialisme pur et dur, il fonctionne encore contre sa version douce largement adoptée par les démocraties européennes. Les systèmes de protection sociale centralisés sont nécessairement gérés par une direction bureaucratique. (1) La supposée supériorité technocratique d'une telle organisation ne l’est tout simplement pas assez pour maîtriser toutes les nuances d'une société complexe.

Quelles que soient ses intentions, le gouvernement centralisé alloue mal les ressources à sa disposition. La nature même de la centralisation rend impossible le recueil et le calcul de toutes les informations qui sont nécessaires. Cela est aussi vrai pour tout projet de planification industrielle (2) que pour les systèmes de protection sociale qui caractérisent le «modèle social» européen.

Hayek n'était pas sourd aux besoins des pauvres ou des malades, et il a même préconisé une certaine forme de filet de sécurité. Mais il était bien conscient que les démocraties occidentales couraient le risque de développer, comme il l'écrivit en 1960, un Etat "dans lequel un pouvoir paternaliste contrôle la majeure partie des revenus de la communauté et les redistribue à des personnes dans les formes et les quantités dont il pense qu’ils ont besoin ou qu'ils méritent. » (3) Quelles que soient les intentions de ces technocrates, un tel système devait produire inefficacité et gaspillage. Ces carences et ces gaspillages, bien sûr, deviennent des mannes pour ceux qui en vivent et retournent la faveur en votant pour ceux qui les ont créées.

Les États qui contrôlent la plus grande partie des revenus de la communauté et les redistribuent en fonction des souhaits de la bureaucratie sont maintenant au bord de la faillite. Cependant, la solution d’Hayek, un pouvoir limité du gouvernement qui permet à l'économie de marché de s'épanouir, n'est pas populaire en Europe. Une des raisons à cela est que beaucoup de gens croient que le marché est foncièrement injuste, alors que le modèle social européen tente de combiner la création de richesse avec une large redistribution au profit apparent de personnes dans le besoin, pour garantir une "justice sociale". (4)

Hayek lui-même n'a pas prétendu que la libre concurrence serait toujours capable de récompenser le mérite. Nous ne coopérons pas, écrit-il, parce que nous sentons la nécessité de récompenser convenablement les mérites d'autrui. Au contraire, «aussi longtemps que nous pensons en termes de nos relations avec les particuliers, nous sommes généralement très conscients du fait que la marque de l'homme libre, c'est d’être dépendant pour sa subsistance non pas des opinions des autres à propos de son mérite, mais uniquement de ce qu'il a à leur offrir.» Les récompenses de la société dépendent du jeu de l'offre et de la demande et, en définitive, des besoins et des désirs des consommateurs.

Hayek a souligné que les théories centrées sur la notion de "justice sociale" essayent de ressembler, au niveau d’une grande société, à la nature de plus petits groupes. Dans les petits groupes où les êtres humains ont vécu pendant la plus grande partie de notre histoire, les gens ont avancé dans la société en raison d’une vision partagée du mérite et de la dignité. Cela arrive aussi dans les grandes sociétés. Il existe des organisations - comme l’armée ou l'église - dans lesquelles les gens sont récompensés parce qu'ils obtiennent de bons résultats dans une métrique particulière.

Le système de marché ne récompense pas à juste titre le meilleur ou le plus sage. Le point de vue de Hayek est différent. Les petits agrégats auto-organisés d’êtres humains doivent être libres de poursuivre leur idée de «mérite» telle qu'ils la souhaitent à condition qu'ils assument l'entière responsabilité de leurs efforts. Cependant, une grande société - basée sur la coopération avec des étrangers sur une grande échelle comme un Etat - ne doit pas tenter de jouer le jeu de la «juste» répartition parce qu'elle n’en est pas capable.

Le modèle social européen que les syndicats et les partis politiques défendent encore avec une telle passion était mal conçu dès le départ. Un système de marché ne peut pas fonctionner correctement si une société a pour but de distribuer des récompenses et des punitions comme un enseignant dans une classe. (5) Les institutions du marché sont anonymes et aveugles. Leur imposer tout régime prédestiné du mérite et de la récompense va juste rendre plus difficile la coordination entre les individus et, par conséquent, la création de richesse disparaît.

Le modèle social européen a maintenant atteint son point de rupture. Friedrich Hayek offre toujours l'explication la plus convaincante des raisons pour lesquelles cela est inévitable.

Alberto Mingardi

Notes du traducteur :

(1) Les hôpitaux en France sont gérés à présent par des technocrates avec le succès que l’on connaît.

(2) Le candidat du parti socialiste, lui-même technocrate, ne désespère pas de faire renaître une politique industrielle avec une banque idoine pour les petites entreprises. Comme tous ses anciens collègues de l’ENA, il n’a certainement jamais lu Hayek.

(3) Le candidat républicain Barry Goldwater, lors de l’élection présidentielle de 1964, disait à propos de la «grande société » prônée par son adversaire Lyndon Johnson : « Un Etat qui peut tout vous donner peut aussi tout vous prendre. » Les riches en savent quelque chose aujourd’hui en France, et les classes moyennes vont le découvrir très bientôt après les élections, lorsque la rigueur va s’abattre sur tout le pays.

(4) Il est hallucinant que 14% de Français s’apprêtent à voter pour un tribun communiste à l’image d’Hugo Chavez au Venezuela. Cela prouve que l’Education nationale est une fabrique de crétins et qu’il faut supprimer le plus vite possible son monopole en instaurant un chèque-éducation. Jean-Marie le Pen fut le seul candidat de la Ve République à le réclamer. Aujourd’hui, tous les candidats sont socialistes, y compris sa fille.

(5) Le président français a passé le plus clair du temps de son mandat à admonester les banquiers, les entrepreneurs et le marché en général en se drapant dans les oripeaux d’un justicier social, plutôt qu’à créer les conditions favorables d’un système de marché libre qui aurait permis une croissance soutenue en France. Guy Millière a dressé un tableau sans complaisance de son bilan dans Les Quatre Vérités.
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