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23/11/09 Marc Mennessier

AZF : Incroyable, des juges refusent de condamner sans preuve !

Pas de preuves, pas de coupables, pas de condamnation. En prononçant ce jeudi la relaxe « au bénéfice du doute » de Serge Biechlin, l’ancien directeur de l’usine AZF et de son propriétaire, la société Grande Paroisse, filiale de Total, les juges du tribunal correctionnel de Toulouse, présidé par M. Thierry Le Monnyer, ont rendu une décision courageuse, d’une logique implacable, qui vient nous rappeler que la France reste, en dépit de tout, un Etat de droit.

Faisant fi de l’énorme pression médiatique et vraisemblablement politique, qui pesait sur leurs épaules, les magistrats toulousains ont appliqué le droit, rien que le droit, au grand dam des coupeurs de têtes et apprentis Saint-Just qui, dès le lendemain de l’explosion, réclamaient déjà la mise à mort expiatoire de l’industriel honni. Et qui s’indignent aujourd’hui de ce qu’ils considèrent être un déni de justice. Vous rendez-vous compte : le tribunal a refusé de condamner sans preuve Grande Paroisse et Serge Biechlin ! « Incroyable », « scandaleux ! » protestent ces nostalgiques de Robespierre pour qui les accusés, tels les aristocrates de 1793, étaient coupables, forcément coupables avant même d’être jugés, simplement parce qu’ils portaient la marque d’infamie de Total, le grand Satan capitaliste et pollueur. Dans les Etats-Unis d’avant Martin Luther King, il suffisait d’être Noir pour être pendu à un arbre, dans la France de Victor Hugo d’être « misérable » pour être condamné aux travaux forcés, sous la dictature de Staline d’être contre-révolutionnaire pour mourir au Goulag… Ne faut-il pas plutôt se réjouir de vivre dans un pays où la justice juge encore les gens non pas pour ce qu’ils sont mais pour ce qu’ils ont réellement fait ? Au risque de sombrer dans l’arbitraire, cette règle d’or, qui est l’apanage des démocraties, ne peut souffrir d’aucune exception.

Pour beaucoup de victimes, cette décision « incompréhensible », « honteuse » a été évidemment ressentie « comme une deuxième onde de choc ». A l’énoncé du jugement, des plaies mal cicatrisées ont été instantanément remises à vif. « Des preuves, c’est parce qu’"ils" ne donnent pas les preuves que vous les relaxez ? » hurlait une voix de femme trouant le silence pesant qui s’était abattu sur la salle Jean Mermoz après quelques applaudissements inopportuns émanant des bancs occupés par les anciens salariés de l’usine. Des gens qui, il convient de le rappeler, ont ressenti, à l’inverse, un authentique soulagement, après des gardes à vue et douze mises en examen infâmantes et injustes…

On comprend que des citoyens ordinaires, peu férus de droit, puissent s’indigner qu’en l’absence de « lien de causalité certain » entre les « défaillances organisationnelles» de l’industriel et les dommages qu’ils ont subis, pour reprendre les termes employés par les magistrats dans les motivations de leur jugement qui courent sur 270 pages, ces derniers ne puissent décider autre chose qu’une relaxe générale. En matière correctionnelle, où ils sont tenus de motiver leur décision, les juges ne peuvent, comme les jurys d’assises, se fonder sur leur intime conviction pour condamner ou innocenter. « Sur le plan pénal, comme l’a rappelé de manière très pédagogique M. Le Monnyer, le juge répressif requiert pour se prononcer positivement la preuve de la présence de DCCNa dans la benne (déversée un quart d’heure avant l’explosion dans le sas du hangar 221, NDLR) et considère que l’on ne peut déduire cette présence de la réussite des expérimentations menées par M. Bergues (l’un des experts judiciaires) ni du faisceau d’indices mis à jour par le dossier. » On ne saurait être plus clair.

Du coup ces victimes, aujourd’hui doublement meurtries, doivent-elles s’en prendre à des juges qui n’ont fait que leur métier en appliquant strictement le code pénal, ou aux piètres avocats, journalistes et batteurs d’estrade qui, depuis des années, les manipulent en leur promettant le grand soir judiciaire ? Et qui aujourd’hui, sans doute pour tenter de faire oublier la bérézina dont ils sont responsables, ne craignent pas d’accuser Grande Paroisse et sa commission d’enquête interne (CEI) d’avoir sciemment dissimulé les preuves de sa culpabilité. Encore des propos mensongèrement tendancieux.

Si le tribunal a effectivement accusé la défense de l’industriel d’avoir tenté, à plusieurs reprises au cours du procès, de « tromper » sa vigilance, il n’a relevé aucun délit d’entrave à l’enquête judiciaire. Les juges regrettent en revanche l’absence de coordination entre les différentes enquêtes (judiciaire, CEI, inspection générale de l’environnement, inspection du travail), laquelle « aurait pu permettre de retrouver, le cas échéant, des éléments de preuve indiscutable et, sans nul doute, éviter que des polémiques ne surgissent sur les résultats de certaines investigations menées par la CEI (…) et, de fait, de clarifier le débat».

Comme je le prédisais l’an dernier dans mon livre AZF, un silence d’Etat (Seuil), en page 271, les victimes et leurs familles sont en train de découvrir qu’elles ont été odieusement trompées. Que toutes ces personnes soient assurées que loin de me réjouir d’avoir vu juste, je compatis sincèrement à leur douleur. D’autant que l’appel interjeté ce vendredi par le parquet de Toulouse ne changera probablement rien à ce naufrage médiatico-judiciaire entamé dès les premiers jours avec les propos « extravagants » et « inconsidérés » (dixit le tribunal) du procureur de l’époque, Michel Bréard, qui avait privilégié, sans le moindre élément tangible, la piste accidentelle "à 99 %" et rejeté l’attentat de manière tout aussi formelle. On voit mal, en effet, comment les magistrats de la cour d’appel pourraient rendre sur la base des mêmes éléments (le dossier d’instruction, l’ordonnance de renvoi, les audiences du procès) une décision différente de celle de la juridiction de première instance. La charge de la preuve leur incombe tout autant.

En outre, la confirmation de la relaxe de Grande Paroisse et Serge Biechlin paraît d’autant plus probable que le président Le Monnyer et ses assesseurs ont accordé beaucoup de crédit au fameux scénario du mélange de nitrate d’ammonium et de DCCNa, deux produits incompatibles fabriqués dans l’usine, qu’ils suspectent fortement d’avoir entraîné la catastrophe.

Or il n’est pas sûr que la cour d’appel partage leur analyse surtout si l’on se réfère à l’arrêt de la chambre de l’instruction de décembre 2005 confirmant le non-lieu de Georges Paillas, le contremaître responsable du hangar 221, au motif qu’« il ne ressort pas du dossier communiqué que les circonstances de l’explosion aient été élucidées ». Certes, l’expert du centre de Gramat, Didier Bergues, à qui le tribunal rend un hommage appuyé, n’avait pas encore réussi son fameux tir 24 censé reproduire la « chaîne pyrotechnique » qui aurait engendré la catastrophe.

Mais les quatre mois d’audience n’ont pas permis, pour autant, de gommer les éléments rédhibitoires qui empêchent d'appliquer ce tir 24 à la situation du hangar 221, le 21 septembre 2001 au matin. L’humidité était insuffisante (il en faut 10 %) pour obtenir la quantité nécessaire de trichlorure d’azote, le produit détonant issu de la réaction chimique entre le DCCNa et le nitrate ; le délai de 14 secondes nécessaire à l’imprégnation des deux réactifs après le déchargement de la benne est irréaliste, sauf à imaginer que le nitrate d’ammonium soit doué de pouvoirs de lévitation lui permettant de défier les lois de la gravitation universelle ; la disposition des différents tas de nitrate dans le box du hangar nécessaire au bon déroulement de la chaîne pyrotechnique ne correspond pas à la description faite par les salariés qui les ont déposés ce matin là ; l’analyse des scellés prélevés dans le bâtiment 335 d’où provenait la benne a montré qu’ils ne contenaient pas de DCCNa.... Sans parler de la mystérieuse apparition, dans le même bâtiment, du fameux sac de DCCNa, une dizaine de jours après la catastrophe, dont tout laisse penser qu’il a été apporté là de manière intentionnelle. Mais par qui ?

Curieusement le président Le Monnyer et ses deux assesseurs n’ont pas exclu formellement la piste « intentionnelle » même s’ils jugent cette probabilité « faible » par rapport à l’accident chimique considéré par eux comme « vraisemblable » mais non prouvé. Même le juge d’instruction Thierry Perriquet n’était pas allé aussi loin dans son ordonnance de renvoi. Reste que les magistrats n’ont tenu aucun compte des auditions des policiers du SRPJ (MM Cohen et Elbez) délibérément empêchés par leur hiérarchie d’enquêter sur la piste criminelle, préférant reprendre à leur compte les dénégations maladroites de leurs supérieurs hiérarchiques qui n’ont pas craint de se parjurer à la barre. En particulier, Marcel Dumas, le patron du SRPJ qui, quoiqu'il en dise aujourd'hui, a bel et bien affirmé le soir du 21 septembre après une réunion à la préfecture de Toulouse : « A Paris, ils veulent un accident. Eh bien ils l’auront !». Comme je l’ai écrit dans mon livre, la piste terroriste a bel et bien été interdite d’investigation très vite, suite à des ordres venus de très haut. Les juges n’ont manifestement pas pris le risque, et c’était patent lors des audiences, de s’aventurer sur ce terrain glissant, préférant voir dans le conflit entre policiers une simple querelle d’ordre relationnel. Ils semblent également avoir "oublié" en route le témoignage du camionneur Karim Ben Driss, qui avait eu maille à partir le matin de l’explosion avec un manutentionnaire dont l’identité n’a jamais pu être établie, en écrivant dans leur jugement qu’« aucune entrée suspecte n’a signalée ».

Là aussi, qu’il s’agisse d’attentat ou d’accident, les preuves manquent pour accuser qui que ce soit. Des indices forts sont pourtant apparus dès les premières heures. Encore aurait-il fallu que les policiers qui les ont récoltés aient pu avoir les mains libres pour les exploiter en temps et heure. Et trouver, peut-être, la vérité sur ce drame que cinq ans d’instruction et quatre mois de procès ont été incapables de révéler.

Marc Mennessier
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