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7/2/10 Bernard Martoïa

Un sujet de méditation pour Sarkozy !

La situation financière de la France à l’aube de la Révolution

« Un peuple n’a qu’un ennemi dangereux : c’est son gouvernement » Saint-Just

A l’ouverture des états généraux à Versailles, le 5 mai 1789, Louis XVI avait entre ses mains le rapport qu’il avait commandé à Necker, le directeur général des Finances du royaume. Les charges s’élevaient à 531,444 millions de livres et les recettes à 475, 294 millions de livres. Le solde négatif de 56, 150 millions de livres représentait 10 % du budget de l’État. Necker prit la parole devant les trois ordres réunis : «Quel pays, messieurs, que celui, où sans impôts et avec de simples objets inaperçus, on peut faire disparaître un déficit qui a fait tant de bruits en Europe…» (1).

A titre de comparaison, les dépenses du budget général de la France pour l’année 2009 sont de 278, 503 milliards d’euros et les recettes de 227, 237 milliards d’euros. Le solde négatif de 52, 209 milliards d’euros représente 22 % du budget. C’est deux fois plus qu’en 1789 ! Un déficit de 10 % par rapport aux recettes (nettement inférieur à la référence actuelle au produit national brut) soulevait l’émoi à cette époque. La pensée de Lord Keynes, qui pourrait se résumer par son slogan pernicieux à l’égard des générations futures, «Dans cent ans nous serons tous morts", n’avait pas encore contaminé le vieux continent. L’Europe monarchiste du XVIIIe siècle était mieux gérée qu’à présent.

Autre rappel historique, la dette de l’État français était de 520 millions de livre sterling. Cette dette avait été contractée auprès des investisseurs étrangers pour financer notre ruineux effort de guerre en faveur des insurgés américains. Comble d’ironie, elle avait été contractée dans la monnaie de notre pire ennemi. Il faut le faire ! Au taux de change de l’époque, de 25 livres françaises pour une livre sterling, cette dette représentait 13 milliards de livres ou 27 fois les recettes annuelles du royaume… La notion de produit national brut n’existant pas à l’époque, on peut néanmoins établir une comparaison pour éclairer les esprits. La dette actuelle représente environ cinq fois les recettes annuelles ; une situation critique mais pas irrattrapable si l’on a le courage d’expliquer à la nation qu’il n’y a pas d’autre voie que la rigueur. A bon entendeur salut !

La falsification des comptes publics est une vieille habitude

Si la Grèce est le mouton noir de l’Europe (il fallait se poser la question avant et se demander pourquoi le gouvernement socialiste de Jospin soutenait sa candidature), que dire de la France de 1789 ? Jacques Necker fut nommé directeur général des finances en 1776. Il ne pouvait être contrôleur en raison de sa foi protestante… Pour financer l’effort de guerre contre l’Angleterre, il eut recours à l’emprunt sur les marchés internationaux.

En 1781, alors que la situation financière de la France était critique, il publia «Le compte rendu au roi» dans lequel il donna les premières statistiques des recettes et des dépenses de l’État. Haï par la cour, et surtout par la reine Marie- Antoinette, il voulait se disculper en prenant le public à partie. C’était une nouveauté. Les comptes publics, qui n’avaient jamais été publiés auparavant, n’intéressaient personne. Mais ses statistiques étaient fausses. Quand la critique dénonça la fraude, Necker rebondit en publiant un deuxième manifeste, «Sommaire financier pour le Roi», où il affirma que la France avait mené la guerre sans augmenter les impôts (au prix, ce qu’il se garda bien de dire à l’opinion publique, d’un accroissement sensible des taux d’intérêt de la dette souveraine), et qu’elle disposait d’une trésorerie de dix millions de livres sterling. (2) C’était archi-faux. La France croulait sous la dette extérieure. Comme le dira, plus tard, le grand expert en propagande Joseph Goebbels, «les grandes masses absorbent mieux les énormes mensonges que les petits.»

Une demi-réforme n’apporte pas une demi-solution mais complique la donne d’un problème

En raison de la polémique qui s’étala sur la place publique, le roi dut se séparer de Necker. Il fut remplacé, le 3 novembre 1783, par Calonne. En prenant ses fonctions, le nouveau directeur général des finances découvrit une ardoise de 113 millions de livre sterling. Au début, il finassa en rééchelonnant la dette et se contenta de maintenir la confiance du public : «Tout va très bien madame la marquise !» (Toute comparaison avec la politique du gouvernement actuel est mensongère).

Quand la cavalerie financière arriva à bout de souffle, il fut contraint de prendre des mesures. En octobre 1785, il réduisit la proportion du métal précieux dans les louis d’or en circulation.

Après cette dévaluation insidieuse de la monnaie mais qui s’avéra insuffisante, il proposa au roi, le 20 août 1786, la suppression des barrières douanières pour doper la croissance, et la suppression des exemptions qui profitaient à la noblesse et au clergé. (C’est le débat actuel avec le plafonnement des niches fiscales.) Le roi lui donna le feu vert. Il soumit un plan en cinq points à l’assemblée des nobles : la réduction des dépenses de l’État, l’ouverture du marché intérieur, la vente des domaines de l’église (mais pas de la noblesse), l’égalisation des taxes d’accise sur le sel et le tabac, et l’établissement d’une taxe foncière universelle. Son plan fut rejeté par la haute assemblée.

En janvier 1787, il convoqua à nouveau l’assemblée des nobles à laquelle il fit part de la situation dramatique du trésor. Il lança l’idée d’une «subvention territoriale», un impôt foncier levé sur toutes les propriétés sans distinction de rang, pour remplacer la taxe du vingtième et ses innombrables exemptions. La suppression des privilèges fut d’autant mal ressentie que Calonne continuait à mener un grand train de vie. (Toute allusion avec celui des membres du gouvernement actuel est déplacée) Le chef doit donner l’exemple, dit un proverbe. Aurait-on appris quelque chose en deux siècles ?

Devant le refus de la haute assemblée, Louis XVI se sépara de Calonne, le 8 avril 1787, et l’exila en Lorraine pour calmer les esprits. Avec le départ de «Monsieur Déficit» qui satisfit tout le monde, Louis XVI perdit tout contrôle de la situation. Très déprimé, il rappela le pamphlétaire. Necker avait été banni de Paris, par une lettre de cachet, pour ses attaques contre Calonne. La punition infligée était légère ; il avait dû rester à quarante lieues de la capitale. Il passa, à tort, pour le sauveur de la France. On fit appel à un pyromane pour éteindre l’incendie qui couvait.

Quand l’histoire s’accélère…

Une révolte éclata à Grenoble le 7 juin 1788. Des sources disent que les soldats furent appelés pour disperser des parlementaires qui voulaient ouvrir un débat sur la place publique. Des Grenoblois montèrent sur les toits et lancèrent des tuiles à la troupe royale qui dut se retirer. Le commandant de la place, qui jugea la situation alarmante, autorisa la tenue d’un débat mais en dehors de Grenoble. Il se fit à Vizille le 21 juillet. Furent présents 50 prêtres, 165 nobles et 276 représentants du Tiers État. Cette assemblée demanda la convocation d’états généraux avec un vote par tête et non plus par ordre. Les grains de la grande révolution étaient en place.

Le 5 mai 1789, Necker délivra un discours qui dura quatre heures. Le directeur général des finances assomma les représentants de la nation par des chiffres. Le roi s’endormit au milieu de son discours fleuve. Necker ne répondit pas à la question des représentants de la nation qui n’était pas d’ordre financier mais d’ordre politique : un vote par tête au lieu d’un vote par ordre. Le 11 juillet 1789, Necker fut renvoyé par le roi. Le peuple en colère réclama son retour. Trois jours plus tard, ce fut la prise de la Bastille.

Dans les livres scolaires de ma génération (qui est celle du président de la République), la crise financière à l’origine de la révolution était occultée. La révolution se résumait à une inégalité du mode de scrutin des trois ordres. Les Français tournent toujours le dos à la finance et à l'économie ; une erreur qui leur a été fatale tout au long de leur histoire chaotique et qui va bientôt se reproduire. Prochain épisode avec les assignats des révolutionnaires.

Bernard Martoïa

(1) Edmund Burke : Reflections on the Revolution in France.

(2) Adcock, Analysing the French Revolution, Cambridge University Press, 2007.

 

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