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12/5/10 Bernard Martoïa

La pornographie au service de la rigueur financière !

«Nous devons choisir l’illusion qui sied à notre tempérament, et l’embrasser avec passion, si nous voulons être heureux»
, disait l’influent critique littéraire anglais Cyril Vernon Connolly (1903-1974)

Puisque la tempête qui s’abat sur l’Europe est la faute des agences de notation (américaines) qui ont injustement dégradé la note des cigales européennes, il faut envisager la création d’une agence de notation européenne pour redresser ce tort considérable. Telle est la position de Michel Barnier, le commissaire européen chargé des services financiers, exprimée dans un entretien qu’il a accordé, le 30 avril 2010, au journal Les Echos. La « divine » réflexion du responsable du secteur financier européen devrait rassurer l’immense majorité des citoyens européens passablement inquiets quant à la pérennité de leur cher État-providence…

Le commissaire européen ignore qu’il existe une agence de notation européenne. Il s’agit de Fitch, une ancienne agence new-yorkaise, qui est passée sous le contrôle de la holding française Fimalac en 1997. Sa colère est identique à celle d’Olivier Pastré, professeur d’économie à l’université de Paris, qui a réclamé, sur France Culture, la nationalisation des agences de notation. Si la température ne vous plaît, cassez le thermomètre !

Le travail exemplaire d’une administration publique américaine

Alors que le commissaire européen et d’autres voix en France expriment leur nette préférence pour une agence de notation publique, qui répondrait aux critères de justice et d’impartialité que ne respectent nullement les agences privées corrompues, ils devraient s’inspirer du fonctionnement d’une agence fédérale américaine qui fait la une en Amérique.

La presse française a fait ses choux gras avec la firme Goldman Sachs. Alors que la firme maudite est accusée de double-jeu en prenant des positions à découvert sur des produits sophistiqués mais toxiques qu’elle a fourgués à une clientèle crédule, une autre affaire soulève un tollé en Amérique.

Une filature a été menée pendant cinq longues années à l’intérieur de la Security Exchange Commission (SEC). Le rôle de cette agence publique est de démasquer et de juger les criminels de Wall Street. Cette filature a révélé une étrange façon d’enquêter au sein de l’institution. Trente-trois fonctionnaires de cette noble administration publique passaient le plus clair de leur temps à regarder des films pornographiques sur la toile.

Comme à son habitude, Alan Abelson a relevé avec ironie les péchés de ses congénères de Wall Street (1) : «Il y avait une défaillance occasionnelle des supérieurs à communiquer adéquatement avec leurs subordonnés. Ainsi, les agents à qui on avait ordonné de mener une enquête approfondie sur «bare sterns» (fesses nues est un jeu de mot avec la défunte firme Bear Sterns) supposèrent que les sites pornographiques étaient la place logique pour accomplir ladite mission.»

Les inspecteurs arrêtés firent preuve d’un grand professionnalisme pour amasser des preuves. Ils téléchargeaient les films pornographiques sur des serveurs de l’agence. Quand ces derniers furent pleins de leurs cochonneries, ils les copièrent sur des CDROM. Pour ce travail de fin limier, ces fonctionnaires percevaient un salaire compris entre 99 000 et 233 000 $.

Chacun voit midi à sa porte

La presse française a reproché aux agences de notation privées de ne pas avoir fait correctement leur travail en attribuant le triple AAA aux crédits immobiliers appartenant à la catégorie subprime. Pour restaurer leur crédibilité, elles se vengeraient, aujourd’hui, en étant trop sévères à l’égard des cigales européennes. C’est un argument défendable. Notons que ces mêmes agences ont été incapables de détecter le défaut de paiement du groupe financier de Dubaï.

Est-ce qu’une agence publique ferait un meilleur travail qu’une agence privée ?
La S.E.C, qui a dix-neuf bureaux disséminés à travers les États-Unis, emploie 3800 personnes. Les cinq commissaires de sa direction collégiale sont nommés par le président des États-Unis. La S.E.C supervise le fonctionnement des marchés américains. Malgré les plaintes de nombreux courtiers, elle enquêta à plusieurs reprises sur un certain Bernard Madoff mais ne trouva aucune preuve pour l’inculper. Si Lehman Brothers n’avait pas fait faillite, il n’y aurait pas eu de panique parmi la clientèle de Madoff et l’intéressé continuerait, sans doute, à vivre des jours heureux avec les honneurs rendus par les nombreux politiciens qu’il a connus durant sa longue et brillante carrière. Il fut même président du NASDAQ qui est le second marché du monde après le NYSE. Au terme de l’enquête menée après son arrestation, il a été confirmé que ses activités criminelles remontaient à 1980. Le gendarme de Wall Street a donc laissé en liberté le plus dangereux criminel financier pendant vingt-huit ans. Que dire de plus sur la performance de cette administration publique ?

Aucun politicien français ne s’intéresse aux graves dysfonctionnements des administrations publiques car un scandale ne peut que concerner le secteur privé. Faut-il préciser qu’en France la moitié des élus appartient à la fonction publique ? Cela explique beaucoup de choses.

Laissez-nous mourir avec nos illusions !

C’est le message du programme du parti socialiste intitulé «nouveau modèle économique, social et écologique». Sous la plume sagace de Pierre-Antoine Delhommais (2), conservateurs et libéraux ont bu, pour une fois, du petit lait : «En ces temps si sombres, il convient de dire un grand merci au Parti socialiste français qui nous a fait passer un bon moment. Et bien fait rire. On a préféré en rire pour ne pas en pleurer. […] Il évoque le retour des années 1970. C'est cela. Une sorte de programme commun mais nappé de sauce verdâtre, un cocktail de dirigisme et d'écolo-boboisme, Georges Marchais revisité par Nicolas Hulot

Alors que le cadavre du système de retraite par répartition empeste l’air, la caste technocratique affirme qu’il est toujours en vie ! A entendre Martine Aubry, il suffirait de taper sur l’épargne des particuliers qui triment plus que jamais pour se constituer une petite réserve pour leurs vieux jours, alors qu’ils savent, eux, que le système est condamné depuis longtemps. Mais sans redistribution, les énarques perdraient leur raison d’être. Voilà pourquoi ils s’acharnent à persuader les Français crédules que le système est encore réformable.

Bernard Martoïa

(1) “Leap before You Look”, d’Alan Abelson, Barron’s Magazine du 1er mai 2010.

(2) « La bise des marchés et la cigale athénienne », par Pierre-Antoine Delhommais, Le Monde du 30 avril 2010.


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