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26/9/09 F. F. DeArmond

Comment est née la machine à fabriquer des crétins

« L’arrogance, la pédanterie et le dogmatisme sont les maux professionnels de ceux qui passent leur temps à orienter l’esprit des jeunes. » Henry S. Canby

En ces temps de rentrée scolaire, il convient de se repencher sur le désastre que constitue notre éducation nationale. Longtemps j’ai cru que mai 1968 a été le début de la fin. Il n’en est rien comme le révèle ce texte de Frederick Francis DeArmond (1893-1983) publié en 1953 aux Etats-Unis. Cela prouve, s’il en est besoin, que nous ne copions que ce qui est mauvais de ce pays. Voici la traduction intégrale de ce texte par votre serviteur.
Bernard Martoïa
                                                         
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L’éducation progressive n’est pas une idée nouvelle. Jean-Jacques Rousseau l’expérimenta au dix-huitième siècle, mais sa surprenante succession d’enfants illégitimes était un trop grand handicap pour que ses idées fussent acceptées. Au dix-neuvième siècle, Johann Heinrich, un prédicateur suisse, déclara : «Nous ne devons rien lire, nous devons tout découvrir », et il expérimenta sa théorie en créant une école. Un docteur italien, Maria Montessori, la reprit à son compte et développa, à Rome, un système éducatif qui est maintenant mondialement connu sous le nom de méthode Montessori.

Dans chaque cas, l’objectif était le même : donner à l’enfant la liberté et l’opportunité d’apprendre «spontanément». C’était une réaction à la règle en bois, au système d’apprentissage par cœur qui faisait de l’école un calvaire.

On est revenu de loin si l’on en juge par l’expérience vécue, en Californie, par une mère en qui a visité récemment son fils à l’école. Elle a trouvé dans la classe quarante gamins en train de hurler, de crier et de courir comme des elfes diablotins. «Nous disputons un concours d’épellation, l’informa l’instituteur. C’est une course de relais : chaque équipe transporte des lettres.»

Une autre mère inquiète a rendu visite à l’instituteur parce que sa fille, après quatre années d’école, ne pouvait pas réaliser la plus simple addition. « Il n’y a rien de mauvais à cela, lui a-t-on dit pour la rassurer. Attendez que les enfants éprouvent le besoin d’apprendre. » Mais cette assurance gratuite n’a pas suffi à calmer l'inquiétude de la mère.

Le mouvement d’éducation progressive commença en Amérique avec le philosophe John Dewey. Dewey et ses disciples étaient convaincus que l’éducation devait ressembler au monde des adultes, et que chaque classe d’école devait être le plus proche possible d’une société en miniature. Ils prétendaient que les impulsions naturelles des enfants devaient être encouragées : « Un enfant se développe mieux, affirmaient-ils, s’il goûte à beaucoup de victoires et à très peu de défaites. »

Un petit groupe de gens, appelés « les penseurs de la frontière », développa à l’université de Columbia la doctrine de Dewey. Les noms éminents de ce groupe étaient William Heard Kilpatrick, Georges S. Counts, Goodwin Watson, Jesse Newlon, Harold Rugg et George W. Hartmann. Ils étaient de fervents disciples de ces réformes, et leur influence fut profonde.

Les réformes qu’ils préconisaient furent accueillies comme des idées grisantes par des instituteurs inaptes ou inexpérimentés, et entre les mains de proviseurs elles pouvaient facilement aboutir à des débordements extrêmement pervers. C’est ce qui se passa. C’est un malheur que la profession d’enseignant ait trop bien suivi les innovations de John Dewey.

Le sevrage de sucettes

Les Deweyens prêchent que l’éducation doit être un plaisant divertissement pour les écoliers au lieu d’une tâche rébarbative. Un public effaré a appris de ces pédagogues la valeur émotionnelle de choses telles que le crachat. « Les enfants souffrent du sevrage intellectuel de sucettes. » Comme un enseignant dissident l’a avoué : « Il y a un trop grand enthousiasme pour la méthode. Certains d’entre nous ne sont plus que des baby-sitters. »

Cette emphase, éloignée des outils essentiels de l’apprentissage (lire, écrire et compter), a permis à de jeunes esprits de grandir dans une jungle de mauvaises herbes. Des instituteurs de la vielle école avaient insisté sur la valeur de la discipline, à la fois mentale et morale. Quand la discipline, qui est la clé de voûte de l’éducation, fut abandonnée, le travail le fut aussi. Mais il advint que sans le travail l’écolier moyen n’apprenait plus ni à lire, ni à écrire, ni à épeler, ni à compter avec facilité.

Contrairement à la promesse des réformateurs, ces accomplissements ne se produisent ni spontanément ni facilement. Maria Montessori avait dit qu’à l’âge de quatre ans un enfant apprendrait sans effort à lire, à cinq ans à jouer avec les chiffres, et à six ans à extraire la racine carrée d'un nombre. Cela ne s’est pas réalisé. En fait, si l’erreur n’est pas corrigée, les trois outils devront être enseignés au collège. Sans ces outils basiques d’apprentissage, une éducation supérieure est contrecarrée.

D’un point de vue moral, les résultats sont également désastreux. La vieille école était une sorte de réplique de la vie, avec l’instituteur personnifiant la loi et l’autorité que tous les citoyens doivent reconnaître. Avec l’avènement de ce que les réformateurs appellent la « démocratie » de la classe, les élèves ont grandi avec une impression complètement fausse de la vie. Après des années à faire ce qui lui plaît, un jeune homme cherche un travail ou est enrôlé dans l’armée, et, pour la première fois de sa vie, entre en contact avec la discipline et l’autorité. C’est un choc pour lui.

Nicholas Murray Butler (1), le président de l’université de Columbia où le mouvement est né, réagit fortement. Il lui était difficile de comprendre qu'une «doctrine grotesque» pouvait avoir un tel écho. Voici ce qu’il déclara.

« Le plan d’action ou plutôt de non-action va, dans sa forme extrême, priver l’enfant de son héritage spirituel, social et intellectuel, et le renvoyer au jardin d’Eve où il aura tout à reconstruire de la vie d’un homme civilisé. Il ne doit pas lui être demandé de faire ce qu’il n’aime pas. Il ne doit pas être soumis à la discipline des bonnes manières et d’une morale décente. »

Le docteur Robert Hutchins, quand il était président de l’université de Chicago, attaqua également les tenants de l’éducation progressive, en particulier, sa tendance «démocratique» à servir le même menu débile à ceux qui ont des capacités faibles, moyennes ou supérieures. La révolte grandit dans de telles proportions que mademoiselle Isabelle Buckley de Los Angeles attira l’attention nationale avec son école privée baptisée «no nonsense» (pas de balivernes!), lorsqu’elle retourna aux fondamentaux et demanda à ses élèves de travailler.

Quand le pouvoir politique s'immisce dans l’éducation

Mais il y avait un aspect plus dangereux du mouvement d’éducation progressive. Les «penseurs de la frontière» avaient couplé les méthodes révolutionnaires d’enseignement au socialisme et aux idées collectivistes.

Lors d’une réunion tenue en 1933 à l’université de Columbia (dont Harold Rugg était le président), le collège des instituteurs dissémina la politique dans l’enseignement. Il fut affirmé que le profit était une excroissance du corps politique, comme John Dewey l’a longtemps cru. A cette réunion, l’association d’éducation progressive fut érigée en instrument de propagande pour attaquer le système capitaliste avec l’objectif d’introduire un nouvel ordre social aux Etats-Unis.

Le groupe noyauta l’association conservatrice d’éducation nationale existante, qui, plus tard, annonça officiellement que le « moribond « laisser-faire » doit être complètement détruit». L’association d’éducation progressive devint un modèle pour le socialiste anglais radical Harold Laski qui félicita l’organisation pour sa contribution à l’élaboration d’une Amérique socialiste. «Elle peut prospérer seulement, déclara-t-il, dans une société où le socialisme est accepté comme un mode de vie par sa critique directe des idées qui ont établi une Amérique capitaliste. »

Le nivellement par l’ignorance

Nous ne savons pas encore jusqu’où peut aller cet endoctrinement politique mais nous avons les moyens d'évaluer les conséquences de l’éducation progressive sur la nation.

Les sondages de l’institut Gallup indiquent que 40 % des adultes américains ne savent pas ce qu’est un tarif douanier, un Américain sur quatre n’a pas la moindre idée de l’inflation, le terme de « filibuster » (procédure pour retarder l’adoption d’un texte de loi par l’opposition) serait d’origine grecque pour la moitié des votants, pour deux tiers d’entre eux « une grève juridictionnelle » n’a pas d’importance, et seulement un votant sur quatre connaît le principe du collège électoral. Plus surprenante encore, au regard de la mode de voyager, est l’ignorance des collégiens envers la géographie de leur pays.

Moins de la moitié des étudiants interrogés par un reporter du New York Times ont une idée approximative de la population des Etats-Unis. Seulement 17 % sont capables de donner le nom des États traversés en prenant la route la plus directe de Minneapolis à Seattle.

Le bilan de l’éducation progressive, c'est qu’elle a produit une génération qui n’est plus capable du moindre discernement et qui est une proie facile pour les démagogues. Il n’existe plus de corrélation entre le degré de culture d’un citoyen et sa résistance à la propagande. Il est aussi facile de vendre une loi de circonstance à un homme diplômé qu’à un travailleur illettré employé dans les champs de coton.

John Dewey pensait avoir trouvé un raccourci vers un système qui devait entraîner les étudiants à penser. Cela n’a pas marché. Canon Bernard Iddings a dit : « Les produits de nos écoles, pour la plupart d’entre eux, sont incapables de penser et d’agir intelligemment, honnêtement et bravement dans une situation difficile. » Aucune mise en accusation aussi radicale de l’éducation progressive ne saurait être mieux formulée.

Frederick Francis DeArmond

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Ce texte, vieux de 56 ans, convient parfaitement à la France d’aujourd’hui, manipulée par des démagogues qui n’ont rien à craindre d’une opinion publique abrutie par l’éducation nationale et par une télévision débile. La seule façon de remonter la pente est de supprimer le monopole de l’éducation nationale et de donner un chèque-éducation aux parents qui souhaitent offrir un autre avenir à leurs enfants.
B. M.

(1) Nicholas Murray Buttler (1862-1947) était le président de l'université de Columbia où se développa la doctrine de l'éducation progressive. Fermement opposé à la réforme, ce conservateur lucide ne put rien contre la propagande des socialistes. Il apparaît au tome III, « La présidence impériale », de l’ouvrage que j’ai consacré au président Théodore Roosevelt. Invité à la cour d’Allemagne, l’empereur Guillaume II lui demanda qui était en charge de l’économie dans son pays, et Butler de lui répondre sans détour : «Dieu.» Cette réponse lapidaire montre que l’on peut faire l’économie d’un ministère de ce nom en France. L’économie n’a pas besoin de tuteur.

 

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