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28/6/09 Bernard Martoïa

Quelques bons tuyaux pour vous ruiner

L'indice Dow Jones a clôturé vendredi 26 juin à 8439 points. Il a encore perdu 100 points par rapport à la semaine dernière. Il a cassé, à la baisse, sa moyenne mobile à 200 jours qui est actuellement à 8508 points. C'est un signal "bearish" envoyé par le marché.

La vulnérabilité de l'Etat français en cas d'assèchement du marché obligataire

Dans la mythologie de Wall Street, le marché se partage entre bulls (taureaux) et bears (ours) : d'un côté le clan des optimistes et de l'autre celui des pessimistes en ce qui concerne l'avenir de l'économie américaine. A l'angle de Bowling Street et de Wall Street, les touristes de passage à New York se prennent en photo devant la statue en bronze de trois tonnes du taureau prêt à charger. C'est l'œuvre de l'artiste italien Arturo Di Modica. Sa contrepartie animale n'existe pas car elle ne cadre pas avec le tempérament résolument optimiste du peuple américain, qui tranche avec la crainte viscérale du peuple français à l'égard de son propre avenir.

Cette crainte est amplement justifiée. Comment peut-on espérer percevoir une retraite dans le système actuel de répartition ? Comme le notait avec ironie le journaliste Ivan Rioufol (1), ce qui n'est qu'une vulgaire pyramide de Charles Ponzi, imitée de nos jours par Bernard Madoff, s'appelle la solidarité nationale dans notre économie soviétique. Avec un ratio de 1.4 actif par retraité, il n'est pas besoin d'être polytechnicien pour comprendre que ce système ne récompensera plus que pour quelque temps encore les plus hauts placés dans la pyramide. Curieusement, beaucoup de Français ne l'ont pas encore compris. Ils s'imaginent toujours qu'ils cotisent pour leur propre retraite alors qu'ils ne font que payer la retraite de ceux qui en bénéficient. Tout cela se terminera très mal un jour dont la date ne saurait être indéfiniment reportée.

Le recours à l'emprunt sur les marchés internationaux devient un exercice difficile. Comme le rappelle Philippe Herlin (2), la dette française est détenue à 62 % par des investisseurs étrangers. A titre de comparaison, celle des Etats-Unis est moins vulnérable que la nôtre. Seulement 28 % de celle-ci est détenue par des étrangers. D'où l'idée lancée, cette semaine, par le président de la République d'un emprunt national pour colmater les brèches béantes du Titanic...

La notion de bulle à l'épreuve du temps

La semaine dernière, j'avais évoqué le fait que la formation d'une bulle est inhérente à la nature humaine (spéculation), que Ben Bernanke, le président de la Fed, ne savait pas quand une bulle se formait, et que si cela devait se produire, il disposait de la seringue pour la dégonfler en douceur. Mais dégonfler une bulle sans qu'elle éclate est un exercice périlleux. Le maestro (Alan Greenspan) s'y est essayé sans succès. La remontée progressive du taux directeur de la Fed, entre 2003 et 2006, n'a pu prévenir l'éclatement de la bulle de l'immobilier en août 2007. D'où mon scepticisme à l'égard du rôle des banques centrales...

Pourtant, il ne faut pas être grand clerc pour déceler l'apparition d'une bulle. L'histoire fourmille d'exemples. Commençons par le début. En février 1637, au sommet de la tulipomania aux Pays-Bas, un contrat de bulbes de tulipe se vendait dix fois le salaire annuel d'un ouvrier qualifié. Selon le journaliste anglais Charles Mackay, le record fut atteint, le 3 février 1637, lorsqu'un bulbe de tulipe rare (Semper Augustus) fut offert en échange de cinq hectares de terres agricoles. Le 1er mai, le cours de ce bulbe avait perdu 95 % de sa valeur. La bulle ne s'était pas dégonflée, elle avait littéralement éclaté.

Plus près de nous dans le temps, une autre bulle s'est formée. Elle concernait le secteur nouveau de l'internet. Al Gore, le vice-président de l'époque, lui donna un joli nom : "l'autoroute de l'information". Le 10 janvier 2000, l'action Yahoo atteignit son record à 218 $. Sa capitalisation boursière représentait deux fois la bourse de Wellington. Peter Schiff, un économiste américain qui était en visite en Nouvelle Zélande, posait la question suivante à ses interlocuteurs : "Ne préféreriez-vous pas détenir ce pays plutôt que Yahoo ? Le dividende de tout le marché néozélandais vous rapporterait un milliard de dollars par an. C'est juste le dividende des actions et non pas le principal. Néanmoins, Yahoo vaut deux fois plus que tout le marché néozélandais." Comprenne qui pourra !

Un analyste joua un grand rôle dans l'accélération de cette bulle. Henry Blodget, un licencié d'arts de l'université de Yale, commença par écrire pour le compte du magazine Harper's. Puis il s'essaya à la finance, qui devait lui rapporter plus que ses piges au célèbre magazine littéraire. Tel était le pari qu'il fit. En 1994, il fut engagé par la maison de courtage Prudential Securities. Sans entrer dans les détails de sa lucrative reconversion professionnelle, qui est la preuve que tout un chacun peut tenter sa chance en Amérique, il atteignit, deux ans plus tard, le firmament de la profession en devenant un analyste du secteur des valeurs technologiques de la firme Oppenheimer & Co. A cette époque, le Nasdaq tirait tout le marché à la hausse. Blodget, qui ne manque ni de talent ni de flair, comprit qu'il pouvait tirer son épingle du jeu biaisé qui se jouait. En octobre 1998, il annonça que l'action Amazon atteindrait 400 $. Plus surprenante que sa prédiction fut la rapidité avec laquelle l'action atteignit cette cible. Un mois suffit pour y parvenir. L'action avait grimpé de 128 %. Après ce beau coup réalisé, il devint la coqueluche du marché. Comme je vivais à cette époque à New York, je me rappelle très bien les commentaires élogieux de la presse à son égard. Faire gagner beaucoup d'argent en si peu de temps vous attire immanquablement une grande estime du public américain. Quoi de plus naturel, me direz-vous, dans la ville où trône le taureau magnifié par l'artiste italien Arturo Di Modica ?

Deux mois après la prédiction de l'oracle de Wall Street, ce dernier se vit offrir le même poste par une firme concurrente. Blodget démissionna et entra chez Merril Lynch, l'une des plus grandes maisons de courtage de Wall Street, où son salaire et son bonus de fin d'année, porté à une dizaine de millions de dollars, furent nettement revalorisés. Qui pourrait résister à une offre aussi mirobolante ? L'influence de Blodget continua à croître en symbiose avec la bulle internet. L'année suivante, il devint l'analyste le mieux payé de Wall Street. Infatué par son succès et perdant aussi, par la même occasion, le sens des réalités, Blodget investit personnellement 700 000 $ dans des actions technologiques au début de l'année 2000. Mais son heure de gloire était passée. Le 10 mars 2000, l'indice Nasdaq atteignit son zénith à 5048 points. Puis il entama sa descente aux enfers. Aujourd'hui, l'indice ne vaut plus que 1838 points. Il a perdu 64 % en une décennie.

Deux poids, deux mesures

En 2002, le procureur de Wall Street n'était autre qu'Elliot Spitzer, qui défraya, plus tard, la chronique lorsqu'il fut contraint de démissionner de son poste de gouverneur de l'État de New York après s'être payé des prostituées avec l'argent du contribuable américain. Il publia des messages électroniques de Blodget dans lesquels celui-ci avouait à ses supérieurs hiérarchiques que ses recommandations étaient infondées. (C'est un peu la même histoire avec Kerviel comme nous le verrons plus loin) L'action Yahoo ne valait certainement pas le double de la bourse de Wellington. Qu'importe la vérité puisque l'oracle faisait tant gagner d'argent à sa firme ! Quand la bulle éclata, il fallut bien qu'un bouc-émissaire fût désigné à la vindicte publique après que les spéculateurs eurent perdu tant d'argent. Blodget était tout désigné.

En 2003, la Securities and Exchange Commission (S.E.C) inculpa Blodget de fraude financière. Dans un arrangement négocié avec le gendarme de Wall Street (plea bargain) Blodget ne reconnut pas sa faute mais il accepta de payer une amende de deux millions de dollars et aussi la somme de deux millions de dollars pour dégorger la procédure juridique engagée contre lui. Il fut interdit à vie de l'industrie financière. Blodget sut rebondir. Il retourna à son métier de journaliste. Comble d'ironie, il couvrit le procès de Martha Stewart, la Madonna de la cuisine américaine, qui avait commis l'imprudence d'acheter des actions sur un tuyau d’initié qui lui avait été donné par un ami. Cette femme célèbre, qui n'appartient pas au sérail de Wall Street, fut condamnée à cinq mois de prison ferme.

L'histoire d'Henry Blodget et de Martha Stewart ressemble grosso modo à celle du courtier Jérôme Kerviel et de son patron Daniel Bouton à la Société Générale. Le parquet a demandé le renvoi en correctionnelle du courtier alors que son patron n'encourt aucune sanction en dépit du fait que c'est lui qui a créé, dès sa nomination à la tête de la vénérable banque de dépôt fondée sous le Second Empire, la branche d'investissement qui est à l'origine des pertes colossales essuyées par la banque.

Sortir de la botte de l'ENA avec une nomination dans le corps des inspecteurs des finances assure à l'impétrant une impunité totale au cours de sa carrière professionnelle dans le secteur privé, qui porte le gentil nom de pantouflage pour les initiés, comme l'a fort justement relevé Nicolas Lecaussin dans un essai caustique. (3) La seule sanction qu'il encourt est sa réintégration dans son corps d'origine, une sanction fort douce pour quelqu'un qui a fait perdre des milliards d'euros aux actionnaires, ou aux contribuables lorsqu'il s'agit d'une banque publique. La faillite du Crédit Lyonnais aurait-elle été oubliée par les Français ? Le général de Gaulle avait raison de dire que les Français sont des veaux. Une évidence exploitée par cette caste intouchable qui est à l'origine de 99 % des lois votées en France.

Bernard Martoïa

(1) Ivan Rioufol : "Quel avenir pour nos retraites "Madoff" ?
(2) Philippe Herlin : "Le grand emprunt national″.
(3) Nicolas Lecaussin : "Le dossier noir de l'ENA".

 

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