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13/2/10 Bernard Martoïa

L’éternel retour des assignats !

« La banqueroute est un procédé légal où vous mettez l'argent dans la poche de votre pantalon et donnez votre chemise aux créanciers. » Joe Adams

Au lieu de s’attaquer au problème de la dette pour lequel elle avait été convoquée par le roi Louis XVI, la réunion des états généraux dérapa sur le droit de vote des trois ordres. Le Tiers État se déclara « Assemblée nationale » le 20 juin 1789 au Jeu de paume. Ses représentants suivirent jusqu’au bout la logique de leur position. Ils croyaient naïvement que l’éradication des ordres allait leur procurer la liberté et la richesse.

Beaucoup de commentateurs ont applaudi cette prise de pouvoir et argué que la révolution a dérapé, plus tard, avec les Montagnards emmenés par Robespierre. Burke avait une opinion différente. Par son arrogante usurpation du pouvoir, le Tiers État avait exprimé sa préférence irréfléchie pour une démocratie despotique à un gouvernement de contrôle réciproque. La suite des événements allait lui donner raison. J’ajouterai que la France ne s’est jamais remise de cette fracture historique. Elle ère depuis deux siècles. Avec dix-sept constitutions à son actif, elle détient un triste record en la matière. Il n’y a toujours pas de pouvoir judiciaire sous la Cinquième République.

L’Assemblée nationale se trouva confrontée à une crise financière plus grave que celle de la monarchie défunte. Elle s’était mise à dépenser, sans compter, pour de grands projets publics (cet amour ne se dément pas avec celui du grand Paris esquissé par le président de la République) et des subventions alimentaires. S’étant débarrassée de la « tyrannie » de la monarchie, le peuple français n’était plus enclin à repayer des impôts. Nos livres scolaires d’histoire (du moins ceux de ma génération, puisque cette matière n’est plus enseignée en raison de la population allogène) regorgeaient de haine à l’égard des taxes de l’Ancien Régime. Ce faisant, les Jacobins ne faisaient que reprendre l’état d’esprit des Anciens, sans se demander comment ce régime pourrait survivre en affichant un tel mépris des lois d’airain de l’économie.

Les révolutionnaires étaient arrivés au pouvoir en raison d’une grave crise financière. Qu’allaient-ils faire ? Ils avaient deux possibilités : répudier la dette ou l’honorer. Ils choisirent une troisième voie. N’est-ce pas tout le drame de la gauche omnipotente dans ce pays qui croit toujours au Graal ? Alors que les révolutionnaires débattaient de grands principes comme la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, la dette gonflait inexorablement en raison des intérêts. Que faire ?

L’Assemblée nationale s’était fait assez d’ennemis parmi les familles royales d’Europe pour ne point rajouter à cette longue liste les banquiers de Genève, Londres, Hambourg ou Amsterdam. De plus, elle avait cruellement besoin de leur aide. Elle avait malencontreusement laissé croire au peuple que l’on pouvait raser gratis.

Au plan intérieur, l’Assemblée nationale était dans une impasse politique. Elle ne pouvait pas lever des impôts. Il lui aurait fallu pour cela lever une armée pour tondre les paysans. Et qui aurait payé cette armée ? Emprunter davantage sur les marchés extérieurs était exclu depuis son usurpation du pouvoir. Il ne restait à sa disposition qu’une solution : plumer les ordres privilégiés.

L’histoire de France n’est qu’un éternel recommencement. C’est le sort malheureux qui attend la classe moyenne qui a placé inconsidérément son argent dans des contrats d’assurance vie. Il faut que ces Français soient bien naïfs pour ne point se demander quelle est la contrepartie de cette alléchante exonération fiscale. Ils vont le découvrir bientôt à leurs dépens. Claude Reichman n’a cessé d’avertir les épargnants du sort funeste qui les attend. Le Léviathan va tout simplement les plumer en levant une taxe prohibitive sur cette épargne captive. Un premier taux a été fixé à 12,1 % en 2009, mais il va gonfler inexorablement au cours des prochaines années pour boucler les fins de mois toujours plus difficiles du Léviathan socialiste.

En novembre 1789, l’Assemblée nationale expropria le clergé et déclara ses biens «nationaux». Burke rejeta l’idée selon laquelle ces droits d’expropriation s’appliquaient seulement à des individus (évêques). En fait, ils s’appliquaient à tout un corps (clergé), dont les titres de propriété étaient millénaires. Il déniait aussi que l’Eglise fût un corps parasite à la nation française. Elle n’était pas exemptée de taxes. Par ailleurs, elle fournissait des services sociaux irremplaçables comme les écoles primaires, les hôpitaux ou les orphelinats.

L'expropriation de l’Eglise de France ne modifia guère la contrainte financière qui pesait sur la nation. D’une part, il n’était pas envisageable de vendre tout le patrimoine immobilier, car cela aurait fait chuter les prix. D’autre part, il n’y avait pas assez de capital flottant pour absorber ces ventes. Que faire ?

En mars 1790, l’Assemblée nationale eut recours à la planche à billet. Cette idée pernicieuse fut empruntée à la révolution américaine (1). Elle autorisa l’impression d’assignats, pour un montant de 400 millions, en offrant un rendement annuel de 3 %. Ces assignats étaient recevables pour le paiement des taxes et des transactions immobilières de biens nationaux. En apparence, ils étaient semblables aux «English exchequer bills». En apparence seulement… Leurs partisans arguaient que les assignats fourniraient un moyen de paiement aux créanciers de l’État, permettraient au peuple d’acheter des terrains et des propriétés, et, suprême argument, qu’ils stimuleraient le commerce et l’industrie. Keynes n’a rien inventé.

Des esprits chagrins critiquèrent la mesure. Ils craignaient que la nouvelle monnaie se dépréciât et entraînât une nouvelle émission d’assignats qui formeraient une bulle comparable à celle du Mississippi (1717-1720), créée à l’instigation de John Law. Sans surprise, leurs objections furent écartées par la majorité de l’Assemblée. Ces enthousiastes étaient convaincus que les lois d’airain du marché ne s’appliquaient pas à la France, qu’ils avaient retenu la leçon de John Law, qu’un gouvernement démocratique pouvait mieux se prémunir de l’inflation qu’un gouvernement monarchique, et que l’immense patrimoine de la France était une solide garantie. C’est la même ritournelle avec l’impayable marquise de Bercy. Rappelez-vous ses déclarations de 2008 : «Mais le monde entier va se disputer nos emprunts !» 2010 sera une année cruelle pour la France et l'Europe.

Bien que l’émission fût modeste, les assignats se déprécièrent rapidement de 5 % par rapport au cours de l’or. A la fin de l’été 1790, le gouvernement fut à court de liquidité. Naturellement, il eut recours à un second tirage d’assignats, mais il doubla leur dose avec 800 millions. Il fit tomber leur rendement à 1 % et décréta leur convertibilité pour toute transaction financière. Quelques économistes sensés rétorquèrent que c’était de la pure démagogie. «Au moment où il était question de commerce ou de finance, de violentes invectives pouvaient être entendues contre les économistes », rappela avec dégoût Jean-Baptiste Say. Les Jacobins répliquèrent que la caution de l’État était un rempart pour la nouvelle monnaie et que les assignats rachetés par le Trésor seraient détruits. Le gouvernement promit aussi qu’il s’agissait de la dernière émission…

Des journaux français citèrent les billets émis par la Banque d’Angleterre comme source de prospérité de ce pays. C’était bien la preuve que la monnaie papier était une valeur sûre. Burke en tira une toute autre leçon que nos indécrottables Jacobins. Les billets de banque anglais étaient la contrepartie de l’épargne ; ils étaient, à tout moment, convertibles en monnaie métallique ou en or. La Banque d’Angleterre n’imprimait des billets qu’en contrepartie de l’accroissement de la masse des comptes de dépôt à vue. Les Français confondaient allègrement les causes et les conséquences. L’Angleterre devait sa richesse à son florissant commerce et à la solidité de son crédit à travers le monde. Burke dénonça le fait que la monnaie de la France était coercitive, inconvertible et sans limite de tirage. C’était tout simplement une atteinte au crédit, à la propriété et à la liberté économique.

La seconde émission d’assignats entraîna une hausse des prix, une spéculation fiévreuse, une stagnation du commerce et de l’industrie, une surconsommation des ménages et un déclin de l’épargne. Les prévisions économiques devinrent impossibles en raison du chaos. Burke prédit que l’inflation d’assignats entraînerait les fermiers à ne plus vendre leurs récoltes. C’est exactement ce qui se produisit.

Comme les néo-keynésiens, les révolutionnaires décidèrent de soigner le mal par le mal. Ils émirent de nouveaux assignats pour un montant de 600 millions en juin 1791. La promesse du gouvernement était reniée. Il émit une deuxième tranche de 300 millions en décembre. A la fin de l’année, l’assignat s’était dévalué de 66 % par rapport à l’or. En 1792 eut lieu une nouvelle émission de 600 millions. En avril de la même année, l’État confisqua les biens des émigrés qui avaient dû s’enfuir pour éviter d’être arrêtés ou massacrés. Le patrimoine de la noblesse connut le même sort funeste que celui du clergé.

Vint 1793. Le gouvernement terrorisa la population en l’obligeant à accepter les assignats au cours légal, qui n’avait plus du tout de corrélation avec celui du marché noir. En mars, le Comité de Salut Public (une autre référence infortunée à l’Amérique) décida d’exproprier et d’assassiner les traîtres à la Révolution. En mai, il fit passer le «Maximum» qui imposa un prix des céréales. Cela accrut la famine du pays. En juillet, la Convention renia le coupon de 3 % des premiers assignats qui arrivaient à échéance. En août, toute monnaie fut interdite dans le pays. En septembre, la Convention fit voter «le Maximum Général» qui étendait la fixation des prix à toute la nourriture, au bois, au charbon et à d’autres produits de première nécessité. Pour l’année 1793, la Convention émit 1200 millions d’assignats, et, l’année suivante, 3 milliards. Ce n’était pas encore la fin du déluge. En 1795, 33 milliards furent imprimés ! Sur le marché noir, un assignat de 600 francs ne valait plus qu'un franc or.

Si le Directoire succéda bien à la Terreur, ce ne fut pas pour autant la fin de l’hyperinflation. Il fit imprimer une nouvelle monnaie : le mandat. Il fixa son cours à 30 assignats. En août 1796, 2.5 milliards de mandats furent émis. La nouvelle monnaie se déprécia instantanément de 3 %. A la fin de l’année 1796, le mandat n’avait pas plus de valeur qu’un assignat.

Il fallut le courage de Bonaparte pour restaurer une monnaie crédible en France. En tant que Premier Consul en 1801, il introduisit la pièce d’or de vingt francs. Elle contenait 290 mg d'or pur. La solde de la Grande armée ne devait se faire que dans cette monnaie. L’hyperinflation avait vécu. L’instauration d’un Gold Standard par Bonaparte jeta la consternation au sein de la Banque d’Angleterre, qui avait suspendu l’usage de la monnaie métallique en circulation en 1797.

L’histoire enseignée par les Jacobins déclame que l’Europe fut conquise par leurs idées et le code civil de Bonaparte. Ils oublient de mentionner le rôle important joué par le Gold Standard de Napoléon. Est-ce qu'un jour les Français se réconcilieront avec la finance ?

Bernard Martoïa

(1) Archive du 1er mai 1997 : Euro versus Dollar


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