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27/3/10 Christian Makarian

Le plan de la Turquie pour entrer dans l’Europe par effraction !

Alors que Chypre s'apprête à fêter, le 1er octobre, le 50e anniversaire de son indépendance, l'entêtement d'Ankara à défendre le fait accompli fige l'île dans un statu quo lamentable. Avec un rare aplomb, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a récemment accusé l'Union européenne de porter "une grande responsabilité dans le blocage actuel en acceptant la partie Sud de l'île dans l'Union". Le chef du gouvernement turc dit souhaiter l'entrée de la Turquie dans l'UE alors qu'il ne reconnaît pas tous ses membres ni ses frontières.

Erdogan verse des larmes sur le plan Annan - rejeté par les Chypriotes grecs en 2004 - qui ne prévoyait ni plus ni moins qu'une partition de l'île en deux entités ethniques distinctes (projet inlassablement promu par les Turcs). Il passe ainsi sous silence les nombreuses victimes grecques de l'offensive militaire turque de 1974, les spoliations, les destructions et l'exil forcé de 185 000 Chypriotes grecs vers le Sud. Dans la partie du Nord occupée sous l'effet d'une colonisation diligentée par Ankara, on compte désormais 185 000 colons (venus d'Anatolie) contre 89 000 Chypriotes turcs (qui, de fait, forment une double minorité, à la fois en proportion de la population totale de l'île et par rapport aux Turcs "importés").

Face au mécontentement croissant de l'UE, les "autorités" de la partie occupée se sont fendues d'une nouvelle série de propositions dont L'Express a pu prendre connaissance en exclusivité. Dans un document daté du 4 janvier destiné au secrétaire général de l'ONU, le leader des Chypriotes turcs, Mehmet Ali Talat, fait une offre de "partage des pouvoirs" dont la lecture fait ressortir une implacable volonté de créer une confédération de deux Etats souverains, autant dire une vraie partition déguisée en unité.

Imposer la partition dans le temps

La supercherie consiste à promouvoir l'idée d'un Etat bicéphale pleinement intégré à l'Union européenne. Sa partie turque - d'une autonomie purement factice - permettrait à Ankara de disposer d'un volant d'action au sein des institutions européennes. Du grand art diplomatique, dans lequel les héritiers de la Sublime Porte sont passés maîtres mais qui ne doit tromper personne. Car la ficelle est un peu grosse. Au titre des principes fondamentaux, il est dit que "la République fédérale aura une souveraineté indivisible qui émanera de manière égale des communautés chypriote grecque et chypriote turque". Comment cette "égalité" pourrait-elle être acceptée par l'écrasante majorité grecque ?

Concernant le pouvoir exécutif imaginé commun aux deux parties, le texte prévoit que les postes de président et de vice-président devront être alternativement occupés par un Grec, pour trois ans, puis par un Turc pour deux ans. De même, le Conseil des ministres devrait être composé de Grecs et de Turcs selon un ratio de 7 pour 5. Ce serait faire la part franchement belle aux Chypriotes turcs, lesquels ne représentent que 18 % de la population globale.

Quant au pouvoir législatif, il est envisagé que les votes de la Chambre des représentants (députés) soient adoptés à la majorité simple à condition qu'ils aient recueilli au moins un quart des voix des représentants de chaque communauté (baptisée "Etat constituant"). Ce qui donne automatiquement un droit de veto exorbitant aux représentants turcs.

Le pire relève des relations extérieures. Chaque "Etat constituant" aurait le droit de signer des traités internationaux, en toute souveraineté, avec tout Etat étranger ou organisation internationale de son choix, à moins que l'Etat étranger ainsi concerné "ne soit pas reconnu par Chypre unie". Ce qui reviendrait à donner aux Chypriotes turcs le droit de bloquer tout accord signé par Nicosie qui n'irait pas dans le sens voulu par Ankara. D'autres détails, afférents à l'organisation de la police ou des services publics, vont dans la même direction et s'avèrent tout aussi inacceptables en droit international.

La réunification de Chypre n'a jamais paru si lointaine. Ce qui est, évidemment, une manière turque d'imposer la partition dans le temps.

Christian Makarian

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