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27/12/14 Wolf Lepenies
        L'Allemagne fait-elle partie de l’Occident ?

Oswald Spengler vit disparaître la culture occidentale lors de la Première Guerre mondiale. En 1927, le Français Henri Massis mit en garde l'Occident à propos de l’aspiration allemande à s’en détacher. Une leçon d'histoire qu’il convient de revisiter.

Après la fin de la Première Guerre mondiale, les Européens virent l'Occident menacé non pas par l'islam (1) mais par l’Allemagne. C’est ce qu’affirma le Français Henri Massis dans son essai Défense de l'Occident, paru en 1927, et traduit en allemand sous le titre de Verteidigung des Abendlandes. La défaite, le dictat du traité de paix de Versailles et l'échec de tous les efforts pour construire une paix globale en Europe conduisirent l'Allemagne à s’éloigner de l'Ouest et donc de l'Occident.

Le détachement de l’Allemagne de l’Occident se manifesta dès 1918 avec la parution du Déclin de l'Occident d'Oswald Spengler, et de Réflexions d’un Apolitique de Thomas Mann. Pour Massis ces deux auteurs étaient les témoins-clés d’une évolution de l'Allemagne de plus en plus éloignée des valeurs et des racines spirituelles de l'Occident. Pour Spengler, c’est la Première Guerre mondiale qui mit fin à la culture occidentale. (2)

De son côté, Thomas Mann pensait que le mysticisme slave serait peut-être plus important que le christianisme et les philosophes des Lumières pour l’orientation des Allemands.Même Walther Rathenau jugea essentiel que l'Allemagne fût davantage orientée à l'Est.

Massis moqua l’Allemagne de chercher son salut à travers l’anthroposophie et l'hindouisme de Rabindranath Tagore qui vénérait la liberté de la jeunesse allemande. Pour Tagore, cette dernière se fondait dans un néo-paganisme nordique teinté de mysticisme taoïste et de sagesse bouddhiste. Dostoïevski devint l’auteur préféré des Allemands, et le feuilleton de l’époque voulait que Moscou jouât un plus grand rôle que Rome et son héritage latin. En 1922, à la stupéfaction de l'opinion publique mondiale, le ministre allemand des Affaires étrangères, Rathenau, (3) et son homologue russe Tchitcherine confirmèrent les pires craintes avec la signature du traité de Rapallo (l’instauration d’une coopération militaire secrète entre les deux pays.)

La fureur avec laquelle Massis (4) défendit l'Occident contre l'Allemagne trouva un large écho en France. Un sondage demanda si l’«orientalisme,» qui semblait influencer la culture et la politique allemande, représentait une menace pour l'Europe. Une large majorité répondit par l’affirmative. Pour beaucoup de commentateurs français, cette évolution allemande n’était pas surprenante car l'Allemagne protestante ne s’était jamais identifiée avec la culture gréco-romaine, qui, avec le catholicisme, forme le socle de l'Occident.

Même après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Massis se méfiait encore des Allemands parce que leur appartenance à l'Ouest n’en faisait pas pour autant de bons Occidentaux. Pour l'Occident, avertit Massis, il y avait une priorité : empêcher par tous les moyens l'unification de l'Allemagne pour prévenir l’accroissement de sa puissance. Cela paraissait d'autant plus difficile que l'Union soviétique et les Etats-Unis avaient déclaré avoir pour objectif la restauration d’un Etat allemand unifié. Les deux super puissances étaient à la recherche d'un allié précieux. L'Allemagne était sur le chemin de devenir le «vaincu victorieux.» Que l'Europe fût une colonie américaine s’étendant jusqu’à l'Oural ou une grande république russe allant jusqu’aux rives de l'Atlantique, elle serait néanmoins une «Europe allemande.»

Le Français se souvint encore qu’à Berlin on «est enfoncé jusqu’au cou dans un sable d’origine slave». Les Allemands auraient succombé à la force d’attraction de l’Europe orientale. Massis passa sous silence que la République fédérale allemande s’était frayé un chemin dans l’Alliance atlantique, notamment en raison de la clairvoyance d'un Français, le général de Gaulle. Mais quand ce dernier exigea que les Allemands dussent être occidentaux pour faire partie de la grande famille, il ne pensait pas pour autant à l'Ouest qui incluait les Américains qu’il ne portait pas dans son cœur. Il préférait parler de l'Occident. Et pour bâtir sa «cathédrale de l'Europe,» il s’allia à un politicien allemand pour qui l’Occident chrétien était le fondement de sa politique : le catholique rhénan Konrad Adenauer.

Wolf Lepenies

Notes du traducteur

(1) Comme partout en Europe, les Allemands de souche sont confrontés aux musulmans qui imposent leur religion et leur mode de vie. Le Coran n’est pas seulement une religion mais un code civil pour ses disciples. Un mouvement s’est créé à Dresde à l’automne 2014. Il porte le nom de Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes (patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident). Des manifestations ont lieu à travers toute l’Allemagne chaque lundi soir. Pratiquement inconnu en France, c’est son acronyme PEDIGA qui commence à circuler sur la toile car les journalistes français qui sont d’indécrottables chantres du multiculturalisme n’en parlent pas, si ce n’est de la récente contre-manifestation en faveur des musulmans.

(2) Oswald Spengler postula dans son essai Le Déclin de l’Occident que toute civilisation est un super organisme avec un temps de vie limité. Deux ans après son best-seller, il publia un autre essai intitulé Prusse et Socialisme dans lequel il argua en faveur d’un Etat socialiste et autoritaire. Des nationaux-socialistes comme Joseph Goebbels virent en lui un précurseur de leur mouvement. Mais Spengler fut ostracisé en raison de son pessimisme concernant le futur de l’Allemagne, et son refus de croire à la supériorité de la race aryenne.

(3) Walther Rathenau était un ingénieur. En 1915, il devint le président de la société AEG (Allgemeine Elektrizitäts Geselschaft) à la mort de son père, Emil, qui avait fondé la société. Il joua un rôle essentiel en convaincant le ministre de la guerre d’établir un département des matières premières car l’approvisionnement de l’Allemagne était menacé par le blocus de la Royal Navy. Dans la jeune république de Weimar, il reçut le portefeuille de la reconstruction avant celui des Affaires Etrangères. Deux mois après le traité de Rapallo, il fut assassiné par des membres de l’Organisation Consul, une organisation secrète fondée par Hermann Ehrhardt, un ancien officier de la Reichsmarine, qui lui reprochait ses relations étroites avec les Bolcheviques. C’est le comble pour celui qui fut un grand capitaliste mais qui avait su habilement négocier avec les Bolcheviques un pacte secret visant à contourner l’embargo des armes du traité de Versailles. Incidemment, Rathenau légua deux œuvres posthumes à son pays. D’une part, il servit de modèle (celui de Paul Arnheim, un industriel influent) dans un chef d’œuvre de la littérature Der Mann ohne Eigenschaften (L’Homme sans qualités) de Robert Musil. D’autre part, lors de ses obsèques, fut chantée Deutschlandlied qui devint l’hymne de la nation allemande par la volonté du président de la république de Weimar Friedrich Ebert.

(4) Henri Massis (1886-1970) a complètement disparu en France, probablement en raison de sa participation à l’Action française. Sur l’instance du parti communiste français, son nom figura dans la liste des écrivains indésirables dressée par le comité national des écrivains en 1944. C’était un bel exemple d’épuration qui se poursuit de nos jours contre tous ceux qui renient la pensée unique définie par quelques satrapes. Il y a toujours des idiots utiles pour prétendre que nous vivons dans une démocratie. Saluons le professeur de sociologie de l’université de Berlin Wolf Lepenies qui reparle de Massis.


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