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8/3/09 Claude Reichman

Le jour où Sarkozy a perdu le pouvoir

Il était élu depuis quatre jours et n’avait pas encore pris ses fonctions. Mais ce qui s’est passé le 10 mai 2007 aura été déterminant pour la présidence de Nicolas Sarkozy.

Ce jour-là, Jacques Chirac, président de la République pour quelques jours encore, inaugurait au jardin du Luxembourg à Paris, à l’occasion de la deuxième journée nationale du souvenir de l’esclavage, une sculpture commémorant son abolition. Rien d’étonnant en ce qui concernait Chirac. Revenu à ses idées de jeunesse, qui l’avaient conduit à vendre L’Humanité à la criée, il s’était converti sur le tard à l’antiracisme militant et était devenu l’un des plus pieux zélateur de la pensée unique. Quant à Nicolas Sarkozy, il venait de faire campagne sur le thème de la rupture – notamment avec la politique de Jacques Chirac – et avait stigmatisé « la mode exécrable de la repentance ». Or voilà qu’à peine élu il apparaît radieux aux côtés de son prédécesseur dans une solennelle cérémonie … de repentance. Plus inconséquent, tu meurs !

Inconséquent vraiment ? En réalité, la politique n’est pour Sarkozy, au sens strict de ces termes, qu’un jeu de mots. Il en a prononcé pour se faire élire, mais aucun de ces mots ne l’engage car il a toujours manqué à sa personnalité le lien charnel qui unit l’être et sa parole. C’est cet aspect de son personnage qui lui a donné son incroyable culot et qui aussi va le perdre. En moins de deux ans, Sarkozy va voir sa crédibilité chuter vertigineusement auprès d’une majorité de Français. Aujourd’hui, c’est un président plus qu’affaibli – on peut même dire en sursis – qui affronte avec la révolte antillaise, une épreuve à laquelle il ne comprend rien, qui ne l’intéresse pas, et qui pourtant représente pour son pouvoir un danger mortel.

Car enfin ce à quoi l’on a assisté en Guadeloupe, c’est bien à la défaite de l’Etat face à une émeute, autrement dit à une révolution. Derrière la revendication économique et sociale, il y avait une très forte composante identitaire, qu’ont très clairement illustrée les déclarations d’Elie Domota, le leader du LKP, accusant par exemple l’Etat et ses gendarmes de vouloir « casser du nègre ».

Or qui incarne l’Etat, sinon le président de la République, Nicolas Sarkozy, qui s’est repenti avec son prédécesseur et toute la bienpensance officielle du crime contre l’humanité – tel que le définit la loi Taubira – qu’a constitué l’esclavage ? Domota a parfaitement compris que Sarkozy était une cible vulnérable à partir du moment où il avait fait repentance, s’interdisant de balayer l’accusation de racisme d’un revers de main et de renvoyer à une plus saine appréciation de l’histoire passée et contemporaine ceux qui hurlent au racisme dès qu’on s’oppose à leurs réclamations. Le mouvement LKP avait les meilleures chances de vaincre l’Etat et son chef dès lors qu’il mettait habilement l’accent sur l’arrière-plan colonial de la situation antillaise.

Qui peut aujourd’hui sérieusement penser qu’en 2009 le président de la République française a quoi que ce soit à voir avec l’esclavage ? Qui peut en rendre responsables les Français du 21e siècle ? A ce compte-là, remontons à Jeanne d’Arc et déclarons la guerre à l’Angleterre ! Mais en politique les mots et les symboles sont l’essentiel. En s’affichant avec Jacques Chirac à une cérémonie de repentance, Nicolas Sarkozy a ouvert les vannes de toutes les revendications antiracistes, des plus légitimes aux moins défendables. Il est impensable d’accepter la moindre manifestation de racisme dans la vie et les lois d’un pays moderne et démocratique. Mais il est inacceptable de laisser utiliser l’antiracisme comme une arme dans des conflits où le racisme n’a que faire, sauf quand il se manifeste précisément chez ceux qui se donnent les gants de le combattre, comme lorsque le LKP réclame « une préférence guadeloupéenne » ou le départ des chefs d’entreprises qui refusent de se plier à un accord qu’ils n’ont pas signé, ajoutant pour que les choses soient claires : « Nous ne laisserons pas une bande de békés rétablir l’esclavage. »

Nicolas Sarkozy ne peut plus s’échapper du piège antillais. La droite le presse de faire régner la loi dans ces terres qui sont des départements français. Les manifestants locaux n’entendent pas se laisser priver du pouvoir qu’ils ont conquis et qui en fait les véritables maîtres de ces îles. Si Sarkozy choisit l’épreuve de force, il verra se dresser massivement la population contre les forces de l’ordre et sera obligé de reculer. S’il renonce à faire appliquer la loi, il perdra tout crédit dans son propre électorat. Autrement dit, Nicolas Sarkozy a perdu le pouvoir. Mais son destin avait été scellé le 10 mai 2007, lors de cette cérémonie de repentance. Les évènements liés à son attitude allaient inévitablement se produire, tant il est vrai que si l’histoire bégaye parfois, elle n’en a pas moins une terrible logique qui s’est toujours traduite par cette formule qui a scellé tant de destins : « Malheur aux faibles ».

Claude Reichman
Porte-parole de la Révolution bleue.

 

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