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Pour la Sécurité sociale, le gouvernement a choisi la faillite

21/5/04 Claude Reichman
La modestie du plan exposé à la télévision par M. Douste-Blazy, le ministre de la santé et de la protection sociale, ne laisse plus place au moindre doute : le gouvernement a décidé de laisser la Sécurité sociale aller à la faillite. C'est d'ailleurs l'expression que le ministre avait employée à diverses reprises pendant les semaines qui ont précédé son annonce. Si le gouvernement avait eu l'intention de sauver la Sécurité sociale, il aurait rendu public un plan d'économies massives accompagné d'une hausse de deux points au moins de la CSG. Cela aurait sans nul doute provoqué une émotion considérable dans l'opinion et entraîné de lourdes conséquences politiques, tandis que l'augmentation des charges sociales eût compromis un peu plus la déjà très poussive reprise de l'économie. Entre deux catastrophes, le gouvernement a choisi. Ayant dûment communiqué sur le thème du plan de la dernière chance, il a d'ores et déjà préparé le moment où il annoncera l'échec de celui-ci et la nécessité de repartir sur des bases nouvelles. Celles-ci ne pourront être autres que la mise en concurrence de la protection sociale, exigée depuis dix ans par les directives européennes, assortie d'un filet de sécurité, aux contours encore imprécis, pour les catégories les plus modestes de la population.

Bien entendu, l'attitude du gouvernement témoigne de sa totale absence de courage politique. Il lui aurait été facile d'annoncer la fin du monopole de la Sécurité sociale en s'appuyant sur le fait que la décision en avait été prise et les modalités ordonnées par tous les gouvernements successifs depuis 1991, ce qui implique aussi bien les socialistes que les communistes, les Verts, le RPR, l'UDF et aujourd'hui l'UMP. Mais il a eu peur qu'on le rende quand même seul responsable de l'évènement, ce qui démontre qu'ayant tout misé sur la communication, il ne fait pas la moindre confiance à celle-ci pour donner au peuple les informations auxquelles il a droit. Cela n'a d'ailleurs rien d'étonnant : pour les princes qui nous gouvernent, la communication est synonyme de mensonge !

Tout a une fin, y compris le mensonge

La décision de mettre la Sécurité sociale en faillite ne peut toutefois se comprendre qu'en l'assortissant de conditions politiques. L'effondrement financier peut être retardé de quelques mois si la reprise économique est assez forte pour amener quelques rentrées supplémentaires dans les caisses sociales. C'est l'espoir du gouvernement, même si rien ne permet de se fonder sérieusement sur une telle hypothèse. Et dans le cas contraire, il restera au président de la République l'arme de la dissolution et la certitude de pouvoir ainsi transmettre la patate chaude à la gauche qui n'en veut pas mais sera obligée de la prendre. Pendant ce temps, les entreprises, accablées de charges sociales, continueront de disparaître par dizaines de milliers chaque année et le nombre des chômeurs d'augmenter par centaines de milliers. Dans la complète indifférence des politiciens et des médias qui, depuis dix ans, se sont bien gardés d'informer les Français des droits qu'ils tiennent des dispositions européennes.

Mais tout a une fin, y compris le mensonge. D'après nos informations, plusieurs organes de presse s'apprêtent à annoncer au grand public la fin du monopole de la Sécurité sociale et la possibilité offerte à chaque citoyen de s'assurer personnellement auprès d'une société d'assurance, une mutuelle ou une institution de prévoyance pour tous les risques. Cela va bouleverser - dans le bon sens - les rapports économiques et sociaux et les mentalités dans notre pays. A la place d'une " gratuité " aussi illusoire que ruineuse, on mettra enfin en vigueur l'excellent principe qui veut que si la santé n'a pas de prix, elle a un coût, et que celui-ci dépend beaucoup plus de notre comportement individuel que de dispositions collectives. A ceci près qu'il est impossible d'avoir un comportement individuel convenable quand les règles collectives l'empêchent, ce qui est le cas avec l'organisation actuelle de la protection sociale, mais qui ne le sera plus avec les nouvelles libertés.

L'Europe est empêtrée dans l'Etat-providence. Elle avait cru se protéger ainsi des risques de la maladie, du chômage et de la vieillesse. Elle ne l'a fait qu'en se livrant en pâture aux nations plus jeunes - à l'organisation fondée sur des principes compatibles avec la concurrence internationale qui est désormais la règle mondiale, que cela plaise ou non - qui détruisent non seulement ses structures économiques mais aussi sa protection sociale, dont elle croyait pouvoir s'enorgueillir à la face de l'univers comme d'un secret découvert et mis en œuvre par elle seule, un secret " que le monde entier nous envie ", comme le disent encore ses derniers zélateurs avant que le tombeau de la Sécurité sociale ne les ensevelisse en même temps que l'objet de leur adoration qui fut aussi l'instrument de leur prospérité personnelle.

Nous entrons dans une phase radicalement nouvelle de notre histoire. Le XIXe siècle s'achève enfin, alors que commence déjà le XXIe. Les institutions nées du passage de la ruralité à l'industrie et confortées par les bouleversements de deux guerres mondiales vont céder la place à une organisation en phase avec l'ère de l'informatique dans laquelle nous sommes entrés pour longtemps. Mais que de temps elles ont mis à mourir et que de mal elles ont fait ! C'est pourquoi la faillite de la Sécu est à tous égards une bonne nouvelle !

Claude Reichman

P. S. M. Douste-Blazy vient de valider complètement notre analyse en
déclarant : "Si nous échouons, ce sera la porte ouverte à la privatisation de l'assurance maladie".
(Interview à Panorama du Médecin du 24 mai 2004).


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