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Le condamné de Nanterre, c'est Chirac

30/1/04 Claude Reichman
La condamnation par le tribunal correctionnel de Nanterre d'Alain Juppé et de plusieurs anciens dirigeants du RPR est avant tout celle d'un système, celui que Jacques Chirac avait mis en place à la mairie de Paris pour s'ouvrir la route de l'Elysée. C'est donc bien le président de la République que ce verdict affaiblit dangereusement, surtout quand on sait qu'il n'a lui-même échappé jusqu'à présent à la justice que grâce à l'immunité qu'une providentielle décision du Conseil constitutionnel lui a accordée tant qu'il est en fonction. Bien au delà de l'avenir personnel d'Alain Juppé, c'est celui du chef de l'Etat et du parti qui le soutient qui est désormais en cause.

Il serait évidemment facile d'affirmer que, sous la présidence de M. Mitterrand, les socialistes n'ont pas été non plus des prix de vertu en matière financière, mais cela n'exonère en rien les dirigeants de l'ex-RPR de leurs propres turpitudes. Et surtout c'est l'image de la politique que ce verdict flétrit, tout comme celle de notre pays sur la scène internationale. On en est arrivé au point où seule une grande lessive pourrait redonner vie à la démocratie en France, et cette opération de salubrité publique ne saurait se concevoir sans le départ de l'Elysée de M. Chirac. Car ne nous y trompons pas : les mois et les années qui restent à courir jusqu'au terme de son mandat seront un calvaire de tous les jours pour le président, qui sait fort bien qu'il ne peut échapper à la justice qu'en restant en fonction alors qu'autour de lui vont se manifester de plus en plus ouvertement les ambitions des prétendants à sa succession. Ce climat délétère pèsera lourdement sur la vie politique et rendra impossible quelque réforme que ce soit, alors que le système économique et social de notre pays est proche de son point de rupture. De ce point de vue, on peut donner raison aux commentateurs qui ont pour la plupart donné à l'avance au verdict de Nanterre une importance capitale, même s'ils se sont généralement bornés à évoquer ses conséquences sur l'avenir de M. Juppé et non sur celui du régime. Il est vrai que la presse n'est pas libre en France et qu'aucun journaliste de quelque média officiel ou officieux que ce soit ne se risque jamais à exprimer un jugement susceptible de déplaire vraiment au pouvoir ou de remettre en cause ses fondements.

Les politiciens et les profiteurs sont liés par un contrat de fer

Le peuple, lui, sait parfaitement ce qu'il doit penser. Privé d'expression, il rumine en silence sa colère et ne manquera pas l'occasion de la manifester lors des prochaines consultations électorales, ou de toute autre manière au gré des circonstances. On peut s'étonner que la leçon du 21 avril ait été si mal comprise par les politiciens, alors qu'ils n'ont cessé de dire depuis cette date qu'ils avaient entendu le message du pays. En réalité, ils sont prisonniers d'un système auquel on ne peut toucher sans le rompre. Il y a trop d'assistés, trop de prébendiers, trop de subventionnés, trop de parasites, trop de faux actifs, trop de paresseux, trop d'envieux, trop de faux droits attribués abusivement, trop d'engagements impossibles à tenir, trop d'atteinte à la dignité et aux biens des laborieux, trop d'enrichissement des hommes de l'Etat, trop d'appauvrissement de ceux qui font vivre le pays, bref trop de poids sur les épaules des vraies forces vives du pays pour que celui-ci puisse encore fonctionner normalement. Les politiciens et les profiteurs sont liés par un contrat de fer. Si les premiers le rompent, les seconds leur retireront le pouvoir. Alors plutôt que d'affronter ce risque en faisant les vraies réformes qu'appelle la situation, la classe politique remplace l'action par la communication, en espérant que ce subterfuge trompera le peuple pendant quelque temps encore. Elle y est fortement aidée par la connivence des journalistes, qui savent fort bien qu'ils ont partie liée avec les actuels maîtres du pouvoir. Il suffisait de voir la mine défaite des commentateurs de télévision aussitôt après l'annonce du verdict de Nanterre pour comprendre à quel point ils sont solidaires de ceux qu'ils fréquentent quotidiennement et interrogent avec complaisance. Pour un peu on eût dit que c'était ces journalistes qui venaient d'être condamnés à plusieurs mois de prison avec sursis et interdits d'antenne pendant dix ans !

S'il ne s'agissait que de l'effondrement du petit monde politico-médiatique, on pourrait en rire en se disant " bien fait ! ". Mais c'est de la France qu'il s'agit, et de ses soixante millions d'habitants. Qui, même s'ils sont souvent lâches et irresponsables, n'ont pas mérité le châtiment qu'ils subissent et vont subir un peu plus chaque jour. Ils n'ont pas vraiment choisi les mauvais dirigeants qui ont ruiné la prospérité française et rendu vains les immenses efforts du peuple pour reconstruire le pays après la guerre et le moderniser afin d'affronter la concurrence internationale. Les politiciens cupides et dépravés qui détiennent tous les leviers de commande en France, quelle que soit la faction au pouvoir, se sont emparés de celui-ci et s'y maintiennent par des procédés électoraux et médiatiques qui représentent un véritable coup d'Etat permanent. Ils se savent illégitimes et n'ont qu'une crainte : que cela soit annoncé au vu et au su de tout le peuple. C'est ce que vient de faire le jugement de Nanterre. Et c'est pour cela qu'il constitue un évènement de la plus haute importance.

Claude Reichman

 

 

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