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31/10/11 Edward Lazear
     Les Européens devraient apprendre à faire du
                  pop-corn pour juguler la crise !

Prévenir un défaut grec ne fera pas repartir la croissance atone qui frappe les autres pays vulnérables depuis de nombreuses années.

Il semble que chacun s’inquiète que les problèmes en Europe fassent dérailler notre fragile reprise. Pour cette raison, les marchés ont poussé un soupir de soulagement quand les Européens sont arrivés avec un plan pour fournir encore un autre sursis à la Grèce. Le principal souci était qu'un défaut grec fût étendu à des pays comme l'Italie, l'Espagne et le Portugal.

Bien qu'il existe des inquiétudes légitimes quant à la contagion, le problème fondamental auquel fait face l'Europe est que la taille de ses dépenses publiques est devenue beaucoup trop grande par rapport à la sphère économie privée. A moins que l'Europe ne résolve ses problèmes fondamentaux avec des réformes structurelles significatives, une restructuration temporaire de la dette ne parviendra pas à redresser le navire. Les mêmes questions qui taraudent l'Europe pourraient bientôt devenir des préoccupations immédiates aux Etats-Unis.

Pour comprendre pourquoi, considérons deux théories de la destruction économique qui peuvent être étiquetées sous le nom de théorie des dominos et de théorie du pop-corn. Tout le monde connaît la théorie des dominos, c'est l'analogie qui est communément utilisée pour désigner la contagion. Si un domino tombe, il va faire tomber les autres, et inversement, si le premier domino reste debout, les autres ne tombent pas. C'est cette logique qui sous-tend la plupart des stratégies de renflouement.

La théorie du pop-corn souligne un mécanisme différent. Lorsque le pop-corn (maïs) est fait à l'ancienne, l’huile et le pop-corn sont placés dans la poêle, la chaleur qui leur est appliquée fait sauter le pop-corn. Même si le premier pop-corn avait été retiré de la casserole, il n'y aurait pas eu de différence notable. Les autres pop-corn sauteraient, de toute façon, à cause de la chaleur. La cause fondamentale est la chaleur, et non pas le fait qu'un pop-corn ait sauté, entraînant les autres à suivre son mouvement.

Beaucoup de gens qui croient que le sauvetage de la Grèce va résoudre les problèmes de l'Europe citent le 15 septembre 2008 avec la faillite de Lehman Brothers comme la preuve d’un effet domino. C'est une lecture erronée de l’histoire. Notre crise financière a été essentiellement un phénomène de pop-corn. Au risque de paraître défensif (j'ai été dans le gouvernement de l'époque), je crois que la chute de Lehman Brothers a été davantage le résultat de facteurs qui ont affaibli la structure de notre économie que la cause de la crise. (1)

Considérons les événements de 2007-2008 qui l’ont précédée et qui n’ont rien à voir avec Lehman Brothers. La liquidité mondiale a montré des signes importants de resserrement au début d'août 2007. La récession a commencé en décembre 2007. Bear Stearns a été sauvé au début de 2008. Quand le marché des titres hypothécaires s’est grippé dans la première moitié de 2008, les assureurs ont rencontré de grandes difficultés, et, s’il n’y avait pas eu de tripatouillage dans les coulisses, le marché des prêts aux étudiants aurait été condamné au cours de l’été. Le Dow Jones Industrial Average avait perdu environ 3000 points entre octobre 2007 et août 2008.

Dans le mois qui précéda la faillite de Lehman Brothers, Fannie Mae et Freddie Mac, qui étaient au bord de la faillite, furent placées sous tutelle. Dans le week-end où le sort de Lehman Brothers fut scellé, Merrill Lynch, également au bord du gouffre, fut sauvé par Bank of America. Dans le même week-end, AIG montrait des signes tangibles de faillite, comme Washington Mutual et Wachovia. Bien que GM et Chrysler aient fait faillite après Lehman Brothers, elles étaient sous perfusion par un prêt du gouvernement. Leur problème provenait de la baisse des ventes d'automobiles, conjuguée à des coûts non compétitifs. La somme de ces événements a été plus que suffisante pour être appelée une crise financière et aggraver la récession qui était déjà en cours depuis décembre 2007.

L’effondrement de Lehman Brothers n’a été qu’un facteur qui a aggravé la crise financière. Plus directement, le Reserve Primary Fund, un fonds monétaire, qui détenait 785 millions de dollars en titres émis par Lehman Brothers, ne pouvait pas répondre aux demandes des investisseurs pour des rachats à leur valeur nominale. C'est ce qui a probablement déclenché une ruée sur les marchés monétaires. D'autres marchés ont pu être affectés par la disparition de Lehman Brothers. On n'a pas besoin de nier le rôle de contagion pour croire que Lehman Brothers n'était pas le domino qui a renversé les autres.

Mais notre crise financière a été causée par des facteurs qui ont affecté l'ensemble du système, comme tous les pop-corn quand ils sont chauffés par la même flamme. Cette leçon est importante parce que l'interprétation de notre crise, considérée avant tout comme un événement de contagion, conduit à des stratégies mauvaises pour faire face aux catastrophes potentielles. Après Lehman Brothers, les Européens ont été tellement angoissés par le risque de contagion qu'ils ne parviennent toujours pas à comprendre quels sont les remèdes qui ont une chance de les guérir. Dans leur cas, et dans le nôtre, la solution est d'abord une réduction de la taille gigantesque de l’État-providence, incapable d’assurer les promesses faites aux électeurs.

Surtout en Italie, au Portugal en Grèce, la taille du gouvernement a augmenté beaucoup plus rapidement que celle de l'économie privée. Cela s’est traduit par un emprunt public insoutenable. Prévenir un défaut grec ne fera pas repartir une croissance atone qui grippe les autres pays vulnérables depuis de nombreuses années. En ce qui concerne les États-Unis, notre économie sera plus forte si la santé de l'Europe s'améliore, mais nous devons aussi répondre à nos propres problèmes structurels qui vont se traduire par un doublement de la dette entre 2008 et 2012. Aucun plan de sauvetage ne rétablira notre santé financière ou celle de l'Europe.

Le cas de l'Estonie et de la Turquie atteste l'efficacité d’une réforme structurelle. Après une contraction économique significative en 2001, la Turquie s'est lancée dans une nouvelle voie avec une consolidation budgétaire rapide. À la fin de 2002, la croissance a été de 6% et en 2004 de 9%. La contraction des dépenses publiques a été associée à une croissance forte et quasi- immédiate. Plus récemment l'Estonie, qui a connu une forte contraction de 20% de son P.I.B. en 2009, a institué des réformes fiscales. Parmi celles-ci, figurent une réduction de 10% des dépenses de fonctionnement du gouvernement et un gel des retraites. En 2010, la croissance a été de 3% et devrait atteindre 6% en 2011.

Ces deux exemples, et celui de nos propres crises financières, suggèrent que les problèmes fondamentaux doivent être abordés tôt et énergiquement. Tant en Europe qu’aux États-Unis, l'excès de dépenses publiques se traduit par une croissance atone. Il est plus important de s’attaquer aux politiques qui ont créé le problème en premier lieu que de s’acharner à prévenir le risque de contagion.

Edward Lazear

(1) Cela nous ramène invariablement à Carl Menger, le père de l’économie autrichienne, qui disait qu’il ne faut pas confondre les causes et les conséquences. C’est l’erreur commise par toute la classe politique française (NDT).


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