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18/5/08 Bernard Martoïa

Un homme qui a faim n’est pas un homme libre

Lors de sa visite privée, vendredi 16 mai 2008, au ranch du roi Abdallah d’Arabie Saoudite, le président Bush en a profité pour réitérer une demande formulée il y a cinq mois. Que ce roi soit courtisé en dit long sur le désarroi des citoyens de la plus grande démocratie ! Le président très chrétien de la plus grande puissance militaire et économique de la planète s’est donc rendu à Canossa pour implorer la clémence du bourreau sunnite. Magnanime, ce dernier l’a gracié devant ses électeurs en lui promettant d’accroître sa production de pétrole de 300 000 barils par jour.

Ce geste suffira-t-il à calmer les automobilistes américains affolés par le prix affiché à la pompe à essence ? Le gallon flirte avec la barre des 4 $. Un gallon américain est égal à 3.78 litres. Le timing du président est impeccable. C’est en effet avec le long weekend de Memorial Day que démarre chaque année la driving season. La saison automobile aux États-Unis commence à Memorial Day (le dernier lundi de mai est férié pour honorer la mémoire des anciens combattants) et s’achève à Labor Day (le premier lundi de septembre est la fête du travail)

Le président Bush a donc effectué la démarche prescrite par ses concitoyens et le roi Abdallah, bon prince, s’est incliné. Cette visite peu banale ne résoudra pourtant pas le problème des automobilistes américains. Si l’Arabie Saoudite parvient à accroître sa production, le prix à la pompe ne baissera pratiquement pas. Les jours heureux où le gallon était à un dollar sont révolus. En moins d’une décennie, le prix du baril est passé de 10 $ (10 décembre 1998) à 126 $ ce vendredi à la clôture à Wall Street.

Pour casser le moral des ménages américains, Arjun Murti, un analyste de Goldman Sachs, vient de prédire, le 6 mai dernier, un cours du baril à 200 $ l’année prochaine ! Certains n’accordent plus de crédit à ces vénérables maisons qui sont les victimes collatérales de la débâcle du marché des subprimes. Ces gens ont tort. Le gourou de Goldman Sachs mérite d’être pris au sérieux quand on sait que sa maison est la seule qui a su tirer son épingle du jeu dans la crise actuelle. Elle avait parié sur une baisse de l’immobilier en recourant à la vente à découvert. Elle a été amplement récompensée en empochant un bénéfice de 2.85 milliards de dollars au troisième trimestre 2007 (en hausse de 79% par rapport à celui du troisième trimestre 2006) alors que ses pairs ont affiché des pertes colossales. Ces pertes vont d’ailleurs se poursuivre pendant encore quelques trimestres car ces banques d’affaires ne peuvent pas se débarrasser de leurs mauvaises créances qui sont principalement sous la forme de C.D.O (collateralized debt obligations) C’est une titrisation des emprunts de mauvaise qualité noyés dans la masse des prêts hypothécaires.

Le gourou de Goldman Sachs n’en est pas à son premier essai. Le 30 mars 2005, il avait prédit un cours de 105 $ en 2009. Sa prédiction a été réalisée une année plutôt. Murti est apparu sanguin dans sa dernière prestation télévisée. Quelle en est la raison ? Ce n’est certainement pas la gourmandise notoire des automobilistes américains qui est responsable de la hausse brutale du pétrole mais un ensemble de facteurs qu’il convient d’énumérer : le facteur géopolitique avec l’insécurité au Nigéria et les tensions dans le Golfe Persique, la baisse de production passée inaperçue de gros producteurs comme le Mexique et la Russie en raison d’une politique de renationalisation, et enfin l’appétit insatiable de la nouvelle classe moyenne en Inde et en Chine.

La gloire dont jouit le gourou de Goldman Sachs est éphémère. Sa contribution à la science est très modeste par rapport à celle de Marion King Hubbert. En 1956, ce géophysicien américain publia une étude dans laquelle il prédit un pic de la production de pétrole à un horizon de cinquante ans. La découverte de nouveaux gisements ne suffirait plus à pourvoir la demande. Comme tant de visionnaires qui sont trop en avance sur leur temps, Marion fut vivement contesté par ses pairs. Il disparut en 1989 alors que le pétrole était redevenu bon marché.

N’en déplaise aux énarques, aux socialistes, aux radicaux, aux archéo-gaullistes, aux communistes, aux néo-anarchistes invités de nos jours sur les plateaux de télévision, aux écologistes et à tant d’autres Français qui se trompent encore, le marché a toujours raison ! Il ne fait plus guère de doute qu’un plateau de la production de pétrole a été atteint en 2006 selon l’oracle de San Saba au Texas. Certes, on trouvera encore quelques grands gisements au fond des mers mais ils ne suffiront jamais à étancher la soif de la nouvelle classe moyenne de l’Inde et de la Chine. Celle-ci serait déjà aussi grande que celle de l’Europe et de l’Amérique réunies (800 millions) selon l’article publié, vendredi 9 mai, par Gérard Pince sur son blog qui est l’un des plus instructifs de la blogosphère.

La maison de l’oracle de San Saba est à une heure de route seulement du ranch du président à Crawford au Texas. Cette visite aurait évité une autre plus pénible dans un lointain pays de la péninsule arabique. Pathétique fin de règne pour l’actuel locataire de la Maison Blanche qui promettait, dans son discours de l’Union en janvier 2003, de corriger les diablotins de la planète et qui en est réduit, aujourd’hui, à se comporter comme un obèse geignard à la table d’un roi.

« Un homme qui a faim n’est pas un homme libre » disait Adlai Stevenson, le candidat démocrate, qui perdit les élections présidentielles de 1952 et 1956 contre le général Dwight Eisenhower.

Bernard Martoïa

 

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