www.claudereichman.com


Accueil | Articles | Livres | Agenda | Le fait du jour | Programme

A la une

15/11/11 Francisco Guerrera
      Europe : la maison brûle et on refuse de faire
                             jouer l’assurance !  

Si la naissance du credit default swap (C.D.S.) est bien connue, nous pouvons avoir vu le début de la fin de cette police d'assurance contre les catastrophes financières controversées.

Tout a commencé en 1994 à Boca Raton, en Floride, avec une équipe hétéroclite de jeunes de la banque JP Morgan.

Malgré la grande rigolade et la boisson abondante (ou peut-être à cause de cela), leurs cerveaux ont trouvé une façon de réduire les risques pour les acheteurs d’obligations : un contrat bilatéral qui, moyennant des frais d’assurance, permet de tritiser le risque de défaut de paiement en le transférant à un marché de gré à gré. (1)

Depuis sa conception dans une station balnéaire de Floride, le marché des CDS est passé à plus de 15 trillions de dollars de «valeur notionnelle brute » (la valeur nominale des CDS à l'exclusion des compensations de contrats), et les fonds de pension, les banques et les hedge funds ont afflué vers ces swaps.

Dix-sept ans plus tard, un autre équipage hétéroclite, composé de politiciens et de bureaucrates européens, est entré en scène, apparemment avec l'intention de tue le marché des CDS.

Mais leurs attaques pourraient se retourner contre eux. Dans les marchés actuels, qui sont fragiles et volatiles, enlever l'assurance des C.D.S. fait fuir les investisseurs. Cela augmente les coûts d'emprunt pour les pays endettés et met la pression sur les banques européennes surexposées aux dettes souveraines.

La première salve a été la proposition du mois dernier de l'Union européenne d’interdire ce qu'on appelle le « naked credit default swap », quand l’acheteur de ces titres d’assurance ne possède pas le sous-jacent.

Considérés par les politiciens allemands comme étant de la spéculation, les swaps nus sont blâmés pour de nombreux maux qui affligent la dette souveraine en Europe. Une semaine plus tard, l'UE a élaboré un plan pour la dette grecque spécifiquement conçu pour éviter de déclencher un paiement des CDS sur les obligations de ce pays. L'astuce était simple : l'UE "a demandé" que les prêteurs acceptent de perdre la moitié de leurs investissements dans la dette grecque. Si ce plan «volontaire» est appliqué, il n’est pas considéré comme un défaut de paiement de la Grèce, et alors il n’y a pas de versement de C.D.S. aux investisseurs floués.

Quelle est la réaction du marché ?

Disons simplement que ce jeu de mots des Européens n’entrera pas dans les annales comme le plus bel exemple de sophisme grec. En dépit des assurances selon lesquelles la ruse du « volontariat des banques » ne se reproduira pas, les investisseurs ont conclu que les CDS des autres pays européens ne leur inspirent plus aucune confiance. Ainsi, lorsque les craintes ont monté sur la solvabilité de l'Italie la semaine dernière, les investisseurs floués se sont empressés de quitter le marché obligataire de la zone euro. «Beaucoup de grandes institutions financières se débarrassent de la dette souveraine européenne et des CDS correspondants parce qu'ils ne croient plus avoir une assurance adéquate», explique Mark Grant, de Southwest Securities, une société d'investissement basée au Texas.

« Si le CDS ne fonctionne pas quand il y a une « coupe de cheveux » de 50% sur la dette grecque, alors quand est-ce qu’il va fonctionner ? » Bonne question. En voici une autre : « Si les investisseurs internationaux fuient les marchés obligataires de la zone euro, qui seront les plus touchés ? » Si les CDS sont considérés comme peu fiables, les déclarations répétées des banques américaines au sujet de leur exposition «limitée» à l'Europe peuvent sembler moins rassurantes qu’elles n’en ont l’air, surtout si les investisseurs se concentrent sur leur exposition «brute» plutôt que sur leur exposition « nette » en soustrayant la valeur des CDS. Comme le disait un esprit malin de Wall Street, mercredi dernier, lorsque les valeurs bancaires américaines étaient rattrapées par le malaise italien, «tout le monde cherche le brut plutôt que le net, et le résultat est très inquiétant. » Citigroup Inc, par exemple, a une exposition brute aux PIIGS -Portugal, Italie, Irlande, Grèce et Espagne - de 20,6 milliards de dollars, soit près de trois fois sa position nette, selon les dépôts réglementaires.

Soyons clairs. L’attrait des CDS pour les investisseurs est précisément leur double identité de Dr Jekyll / Mr. Hyde. Ils peuvent être à la fois une politique d'assurance de réduction des risques et un outil de rêve pour un spéculateur tirant profit des malheurs des entreprises et des États souverains. Et il ne fait aucun doute que ce marché n'est ni réglementé et ni liquide. Mais les réformes doivent viser la levée de l’opacité sur ce coin sombre des marchés financiers grâce à une meilleure communication, et non pas en interdisant ces instruments.

Si, comme les détracteurs le concèdent, les CDS peuvent être un instrument de couverture utile, alors l’exclusion des CDS "nus" réduira l’efficacité de ce marché, en mettant les opérateurs "légitimes" dans une position désavantageuse. De même, saper la validité des CDS portant sur les dettes souveraines augmentera l’instabilité des marchés et frappera les emprunteurs, comme nous l’avons vu la semaine dernière.

Les investisseurs auront le dernier mot dans ce débat, à condition qu'ils aient le courage de s’en prendre aux autorités de l'UE. S’ils n'aimaient pas le compromis grec, ils devaient rejeter l’offre qualifiée de « volontaire» faite par les eurocrates, et exiger la sainteté de l’exécution des contrats en exigeant un défaut de paiement de la Grèce qui eût permis le paiement des CDS.

C'est la façon dont le marché est censé fonctionner. (2)

Francisco Guerrera

Notes du traducteur :

(1) Relire mes articles du 2 août 2009 et du 25 février 2010 sur mon blog droite-conservatrice.
(2) Les Européens sont illogiques. Ils ont aimé le marché obligataire pour financer leur État-providence dispendieux qu’ils ne pouvaient pas financer par une augmentation indéfinie des impôts et des taxes au risque de tuer le secteur privé sur lequel repose la création de richesse. Et quand les investisseurs quittent la zone euro alors que le défaut de paiement des cigales n’est plus écarté et que les contrats d’assurance sont reniés (CDS nus), ils s’insurgent contre les marchés. Les étrangers ont raison de quitter le marché obligataire de la zone euro. Un marché repose sur la confiance des contractants, qui n’existe plus en Europe.


Accueil | Articles | Livres | Agenda | Le fait du jour | Programme