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15/11/08 Bernard Martoïa

Le grand plongeon des banques

Après avoir évoqué l'origine de la crise des subprime (11 août 2007) et la responsabilité particulière de Fannie Mae et Freddie Mac (30 août 2008), ce troisième épisode évoque, à l'ouverture de la réunion du groupe des vingt (G20) sous l'égide du Fonds Monétaire International (FMI) à Washington, la suppression néfaste du Glass-Steagall Act en 1999.

On ne peut comprendre la crise actuelle sans évoquer celle de 1929. Le krach éclata le 24 octobre 1929, lors du célèbre jeudi noir, et culmina, la semaine suivante, lors des sessions des 28 et 29 octobre 1929 quand la panique gagna les petits porteurs. Le Dow Jones clôtura à 230 points. Le Dow Jones Industrial Index Average (DJIA) est le composite des trente plus grandes sociétés industrielles. Il fut inventé en 1884 par Charles Dow qui était l'associé d'Edward Jones. Le marché rebondit après le krach. Dans le jargon de Wall Street, il s'agit du rebond technique du chat mort (dead cat bounce). Un animal blessé à mort trouve la ressource de rebondir une dernière fois. Le Dow & Jones culmina à 294 points en avril 1930, puis le marché capitula et l'indice entama sa longue dégringolade. L'abysse ne fut atteint que le 8 juillet 1932 lorsque le secteur bancaire fut décimé. L'index vedette tomba ce jour là à 43 points, soit une perte colossale de 89% par rapport au pic de 381 points qui avait été atteint le 3 septembre 1929. Le secteur bancaire américain n'avait succombé que trois ans et demi après le krach de Wall Street. Le Dow & Jones ne regagna son niveau d'avant le krach de 1929 qu'à la fin de l'année 1954. Il s'était écoulé un quart de siècle entre temps...

Le sénat américain demanda, en 1931, à la commission bancaire présidée par Ferdinand Pecora d'étudier les causes du krach. Le congrès ne parvint à un accord que deux ans plus tard lorsque fut voté le Glass-Steagall Act, le 16 juillet 1933, sous la nouvelle administration de Franklin Delano Roosevelt. Par cette loi fut instaurée une séparation des activités des banques dites commerciales, gérant les dépôts et crédits consentis aux particuliers, de celles des banques d'investissement qui offrent leurs services pour les fusions et acquisitions d'entreprises en émettant des actions ou des obligations sur le marché boursier. En août 1929, les courtiers consentaient un prêt bancaire qui représentait les deux tiers de la somme investie par les petits porteurs alléchés par la flambée des cours à Wall Street. C'est pour mettre fin à cette confusion néfaste des genres que le législateur américain est intervenu.

De l'avis des experts, le krach boursier, qui était dû à la cupidité des courtiers et à l'ignorance du grand public, se transforma en dépression économique lorsque les politiciens votèrent le Smooth-Howley Tariff Act le 17 juin 1930. C'est la rumeur selon laquelle le président Herbert Hoover n'émettrait pas son veto à la loi en question qui provoqua l'effondrement du marché le 29 octobre 1929. La loi en question était une usine à gaz digne de nos énarques. Elle dressa la liste de 20 000 produits importés qui furent soumis à des droits de douane élevés pour protéger l'économie américaine exsangue. Le gouvernement américain reçut 34 plaintes officielles d'États à travers le monde pour sa politique protectionniste. Il ne céda pas et les représailles s'ensuivirent. Le commerce mondial s'effondra de 50% en 1932 ! On connaît la suite avec l'élection du chancelier Adolf  Hitler par le peuple allemand le 30 janvier 1933...

Avec le souvenir estompé de la grande dépression économique, le législateur américain fit sauter le fusible du Glass-Steagall Act à la fin du siècle dernier. La décennie des années quatre-vingt dix fut en tout point comparable à celle des roaring twenties : une atmosphère de liesse avec la fin de la guerre froide, une cupidité et une arrogance démentielle des chefs d'entreprises qui firent la couverture des magazines. Cela se traduisit par un écart de un à cinq cents des salaires au sein de l'entreprise alors qu'il n'était que de un à vingt pendant la guerre froide et par une déconnection de la sphère financière de la réalité du monde économique. Cette "exubérance irrationnelle" du marché a été relevée en 1997 par Alan Greenspan, l'ex président de la Banque fédérale, alors qu'il est le grand responsable de la débâcle des subprime...

Présenté conjointement par le sénateur républicain du Texas, Phil Gramm, qui a été le conseiller économique de McCain durant sa campagne présidentielle, et par James Leach, le Représentant républicain de l'Iowa, le texte de loi qui fit sauter le fusible, fut voté le 12 novembre 1999. Ce texte fut approuvé au Sénat, qui est surnommé le club des millionnaires, par 90 voix contre 8 non et 1 abstention, et à la chambre des Représentants par 362 voix, 57 non et 12 abstentions. Le président Bill Clinton, content de l'unanimité recueillie par ce texte, le signa alors qu'il avait la possibilité, selon la constitution américaine, d'émettre son veto pour faire reculer son adoption.

Quatre raisons furent invoquées par le législateur américain pour l'abrogation du Glass-Steagall Act de 1933.
1) Les banques commerciales doivent travailler dans un environnement dérégulé où la distinction entre les prêts, les dépôts et la tritisation est floue. Elles perdent des parts de marché par rapport aux banques d'investissement, qui ne sont pas strictement régulées, et aux institutions financières internationales.
2) Les conflits d'intérêt peuvent être prévenus en créant des filiales étanches au sein de ces firmes financières...
3) les activités de courtage recherchées par les banques commerciales présentent des "risques très faibles" par leur nature, de plus elles réduiraient le risque global de ces organisations par leur diversification (sic).
4) Dans le reste du monde, les banques de dépôt prospèrent dans le marché boursier. Les leçons de leur expérience réussie peuvent être appliquées à nos structures et à notre régulation.

C'est pour faire face à la concurrence internationale que le Glass-Steagall Act a été abrogé aux États-Unis. Dans cette compétition biaisée entre banques commerciales et banques d'investissement, l'avantage a tourné aux premières qui bénéficient des fonds propres de leurs déposants. Les banques d'investissement comme Bear Stearns, Lehman Brothers et Merryl Lynch ont accru le levier et pris de gros risques. Pour un dollar de fonds propres, elles avaient plus de trente dollars investis dans des opérations à haut risque. Il ne reste plus aujourd'hui qu'une seule banque d'investissement dans le monde : Nomura au Japon.

S'il fallait que le G20 prenne une mesure pour restaurer la confiance du marché, ce serait de restaurer le Glass-Steagall Act, mais à l'échelle mondiale puisque les frontières entre États sont abolies.

Bernard Martoïa


 

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