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29/11/11 Austan Goolsbee
           La route de l’euro ne mène nulle part !

Les guides touristiques appellent l'itinéraire classique de l’Europe allant du sud de l'Allemagne à l'Italie «la route romantique ». Il commence à Würzburg, serpente à travers la Bavière et présente glorieusement les charmants châteaux, villes et cathédrales de l'Europe médiévale, culminant au Château de Neuschwanstein près de la frontière. Les Américains ne reconnaissent souvent pas les sites historiques le long du chemin, mais ils adorent Neuschwanstein. C'est le château que Disney a copié pour ses parcs à thème.

Mais Neuschwanstein est juste un conte de fées. Contrairement au reste de la route romantique, il n'est pas médiéval du tout. Il a été construit dans les années 1800 par Louis II, roi de Bavière avec une touche de folie et un amour de Wagner. Il a construit le château en hommage au compositeur et pour donner de la royauté une image romantique qui n'a jamais vraiment existé. Finalement le château l’a détruit. La construction s'est mal passée, conduisant à son renversement et à sa mort prématurée avant qu'il ait pu le terminer.

Je pense un peu à ce pauvre Ludwig et à son château ces jours-ci. La route vers l'Europe du Sud semble moins romantique, à présent qu’elle est accablée par des choses inimaginables qui n’existaient pas lorsqu’elle était une route commerciale florissante au Moyen-âge. Les crises financières et bancaires menacent toute la zone euro. Les Européens du Nord affirment que la crise vient du Sud où l’on dépense trop, et qu’il faut tailler dans les dépenses publiques. Ils croient que les coupes peuvent restaurer la stabilité de la zone euro, mais l'effort demandé ressemble de plus en plus à un drame « ludwigien ».

Certes, les pays du Sud de l'Europe doivent maîtriser leurs excès. À long terme, cependant, même les plus profondes coupes ne suffiront pas. Le Sud de l'Europe a besoin de croissance pour contrôler son niveau d'endettement. Mais avec la zone euro qui rend l'Europe du Sud non compétitive, les perspectives de croissance de la région restent sombres.

L’Europe du Nord a alimenté sa croissance par les exportations. Elle a engendré d'énormes déséquilibres commerciaux avec ces mêmes pays du Sud qui sont aujourd'hui en péril. La productivité a progressé de façon spectaculaire par rapport au Sud, mais la monnaie n'a pas changé.

Cela explique au moins en partie le miracle de l'exportation allemande des douze dernières années. (1) En 1999, les exportations représentaient 29% du produit intérieur brut allemand. En 2008, elles ont atteint 47%, soit une augmentation nettement plus importante que dans l'Italie, l'Espagne et la Grèce, où ces ratios ont légèrement augmenté, voire diminué. La contribution nette des exportations par rapport au PIB allemand (exportations moins importations en pourcentage de l'économie) a augmenté de presque un facteur huit. Contrairement à presque tous les autres pays développés, où la part du secteur manufacturier dans l'économie a chuté de façon significative, en Allemagne, il a en fait augmenté. Le prix des marchandises allemandes devenait de plus en plus attractif par rapport à ceux des autres pays de la zone euro. De façon significative, l’Allemagne est pour l'Europe du Sud ce que la Chine est pour les États-Unis.

Si vous ne pensez pas que cette dynamique a de profondes implications pour l'Europe du Sud, considérons le cas de l'Allemagne de l’Est. Au moment de l'unification en 1990, elle rejoint l’Allemagne de l'Ouest avec un taux de change surévalué, avec sa monnaie Ost Mark à parité avec le Deutsche Mark. D’un coup, les ouvriers des usines en Allemagne de l’Est furent payés comme ceux de l’Allemagne de l'Ouest, mais en travaillant avec des niveaux de productivité de l’Est.

Le nombre de personnes employées dans l'ancienne Allemagne de l'Est a chuté à environ cinq millions aujourd'hui. Il était d’environ 10 millions en 1990. Son taux de chômage par rapport au reste de l'Allemagne reste élevé vingt ans plus tard. Pourtant, à certains égards, les Allemands de l'Est s’en sont bien sortis. Ils ont reçu l’équivalent de plus d’un trillion de dollars de subventions. Ils parlent aussi la même langue, et un nombre considérable d'entre eux ont tout simplement fait leurs valises et sont venus s’installer à l'Ouest.

Qu'est-ce qui se serait passé sans ces vannes ? Quelque chose de terrible. Quelque chose comme ce à quoi l'Europe du Sud est aujourd'hui confrontée.

Les pays du Sud de l'Europe sont donc obligés de trouver un plan de croissance sans la possibilité d’exporter qui est la voie normale de la croissance. Leurs choix vont de la simple brutalité, comme en Grèce, à l'action lente, comme en France. Finalement, ils doivent augmenter leur productivité plus rapidement que l'Europe du Nord pour inverser le déséquilibre monétaire fondamental.

À court terme, cela consiste directement et significativement à baisser les salaires pour les rendre compétitifs, (2) une option sinistre et propre à susciter des troubles de masse. À long terme, il faudrait des réformes structurelles majeures : privatiser les grandes entreprises publiques, éliminer les obstacles réglementaires qui empêchent la concurrence dans le secteur tertiaire, accroître le niveau d'éducation et de formation de la force de travail, et en quelque sorte développer davantage la culture de l’entrepreneuriat. Au mieux, ces plans de croissance vont prendre plusieurs années. Pour les prochaines années, cela se traduira par des millions de chômeurs en plus.

Ainsi, même si l'Europe parvient à résoudre sa crise bancaire aiguë du moment, et même si elle contient, à court terme, le problème budgétaire de la Grèce et de l'Italie, sera-t-elle sortie d’affaire ? Avec le peu de croissance attendue pour les dix prochaines années, l'Europe reste sur une route romantique qui ne mène nulle part. Sans croissance, il y aura toujours une autre crise budgétaire à venir pour un autre pays incapable d'équilibrer son budget mais qui sera empêché de dévaluer pour renouer avec la croissance.

Sur ce chemin qui tourne en rond, les Européens auront toujours besoin d’être sur leurs gardes pour prévenir une autre panique financière ou fiscale, tout en essayant de construire leur château mirifique sur la colline.

Austan Goolsbee

Notes du traducteur :

(1) Il n’y a pas eu de miracle allemand mais le courage d’un chancelier, pourtant social-démocrate, pour faire avaler aux puissants syndicats de l’industrie allemande un pacte prévoyant un gel des salaires pendant dix ans. Contrairement à Jacques Chirac ou à Nicolas Sarkozy, Gerhard Schröder leur a tenu un discours de vérité : « Ou vous acceptez le gel des salaires ou nos entreprises délocalisent à l’Est ». Quant au secteur tertiaire, il n’y avait pas de problème en Allemagne où il n’existe pas de salaire minimum. Cherchez l’erreur en France, avec notre funeste S.M.I.C. qu’aucun gouvernement n’a osé abolir.

(2) En l’absence de dévaluation dans une zone monétaire, il reste une autre option économique pour résorber les énormes déséquilibres commerciaux entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud : la compétition fiscale dont ne veulent pas entendre parler Paris et Berlin, qui rêvent d’une « harmonisation » fiscale, par le haut bien évidemment. Ce système bloqué va bientôt exploser à la figure de ceux qui l’ont inventé. L’intervention du F.M.I. pour soutenir l’Italie est le dernier barrage pour sauver la zone euro. Après ce sera le déluge par la faute des « constructivistes » qui voulaient bâtir un château digne de celui de Louis II de Bavière.


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