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Corse : une gifle de plus pour le pouvoir

7/7/03 Claude Reichman
Moins de quinze mois après le 21 avril, la France officielle est à nouveau au tapis. La Corse a voté non, ce qui n'était pas difficile à prévoir. Et chaque fois qu'on donnera la parole au peuple, sur quelque sujet que ce soit, il en ira de même, tant qu'un pouvoir vraiment représentatif ne se sera pas établi dans notre pays. Il ne s'agit pas d'un simple revers, mais d'un grave désaveu. Les deux principales forces politiques françaises, l'UMP et le PS, avaient fait campagne pour le oui, même s'il y avait des divergences dans leurs rangs. Le gouvernement n'avait pas ménagé ses efforts, multipliant les déplacements dans l'île et les promesses sonnantes et trébuchantes, et réussissant même à arrêter l'assassin présumé du préfet Erignac l'avant-veille du scrutin. Rien n'y a fait. C'est non, et ce non est avant tout lancé à la figure des deux partis de gouvernement, c'est-à-dire finalement à l'Etat.
Un pays ne peut être durablement dirigé par des forces minoritaires. L'addition des scores de Chirac et de Jospin au premier tour de l'élection présidentielle représente à peine plus du tiers des votants. Partisans du même type de société, l'UMP et le PS n'ont plus d'autre choix que de s'allier. Et c'est bien ce à quoi on assiste en ce moment. Raffarin se vante de " réformer " le pays, mais il ne touche pas à un seul cheveu de la dictature socialiste. Les Français continuent d'être accablés par l'impôt, les charges sociales et les règlements administratifs. Quant aux socialistes, ils ont toutes les peines du monde à dissimuler leur satisfaction au spectacle d'un système conçu et organisé par la gauche et qui continue à fonctionner sans elle.
Le comble de l'impudence et du mauvais comique est atteint quand les deux factions qui dirigent le pays font semblant de se disputer. On vient de le voir à l'occasion des propos de Raffarin évoquant le purgatoire dans lequel se trouverait la France au motif qu'il y existe encore des socialistes. L'indignation de ceux-ci était si mal feinte qu'on a bien cru en voir se pincer pour ne pas rire. Quant à Raffarin, il était tout réjoui d'avoir si bien abusé le bon peuple, qui n'a pas encore compris qu'en changeant de gouvernement il y a un an, il n'a en réalité pas changé d'oppresseur.

C'est l'Etat qui est un problème en Corse et non les Corses

Mais les rangs du bon peuple s'éclaircissent dangereusement pour le pouvoir. Bientôt, il n'aura plus d'autre partisan que lui-même, et il lui faudra sérieusement songer à supprimer les élections. C'est d'ailleurs ce qu'il prépare depuis longtemps, en rendant le financement politique quasi impossible pour tout nouveau parti et en élevant les seuils nécessaires pour rester en lice au deuxième tour des élections. On se souvient de l'expression qu'avait retenue Giscard, il y a plus de vingt ans déjà, pour évoquer le nouveau mandat qu'il s'apprêtait à demander au peuple. Consigne avait été donnée à ses affidés de parler non pas de la réélection du président, mais de sa " reconduction ". Déjà, le ver était dans le fruit. Il a, depuis, poursuivi sa monstrueuse croissance, jusqu'à occuper aujourd'hui tout l'intérieur de celui-ci, à qui il ne reste plus qu'une fine pellicule de peau pour donner à croire qu'il est encore comestible.
La Corse n'est un problème que dans la mesure où le mal français y est plus accentué que sur le continent. C'est l'Etat qui est un problème en Corse, et non pas les Corses. On y trouve deux fois plus de fonctionnaires, les politiciens y font à peine mystère de leurs magouilles et l'argent public y coule à flot, suscitant comme partout où c'est le cas des détournements et des règlements de comptes. La décentralisation n'y changera rien, pas plus que sur le continent d'ailleurs, car elle ne consiste qu'à ajouter de nouvelles structures, de nouvelles dépenses et de nouveaux impôts à ceux que l'Etat central se garde bien, de son côté, de diminuer, tant il a de bouches inutiles à nourrir.
Il n'y a de solution, pour la Corse comme pour le continent, que dans la liberté rendue au peuple. Liberté d'entreprendre sans se heurter à tout moment à l'administration, liberté de conserver la plus grande partie du fruit de ses efforts, liberté de s'exprimer, par la voix de tous ceux qui le représentent, dans les médias nationaux, liberté de constituer des partis politiques en les faisant financer aussi bien par des personnes morales que physiques, ce qui réintroduit les facteurs essentiels de la vie nationale que sont les entreprises dans le jeu démocratique, liberté de se présenter aux élections sans en être écarté par des seuils attentatoires à l'expression du suffrage universel. Qu'on fasse tout cela, et l'on verra comme par miracle le malade se rétablir. Mais qu'on ne le fasse pas, et ce sera la crise, profonde, grave, violente et ô combien dangereuse pour la paix civile.
L'affaire corse a au moins le mérite de nous faire voir in vivo le spectacle de nos malheurs de demain. Ainsi que de démontrer à la face du pays que le pouvoir est illégitime. Cela ne va pas l'empêcher de continuer à parader comme si de rien n'était. Mais la blessure qu'il vient de recevoir s'ajoute à toutes celles qui lui ont été infligées au cours des dernières années et font de lui un mort en sursis. Jusqu'au coup fatal qui nous en débarrassera une fois pour toutes. Le plus tôt sera le mieux.

Claude Reichman

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