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1/7/13 Charles Gave
        Quelques principes de base pour la gestion
                              d’un portefeuille !

Depuis longtemps, trop longtemps pensent certains, je pratique ce métier passionnant qui consiste à réfléchir sur la marche du monde, à essayer de comprendre ce qui se passe dans les économies et les nouvelles ou anciennes technologies, à me pencher sur des valorisations qui fluctuent sans arrêt, pour arriver en fin de parcours à un portefeuille dans lequel j’essaie de résumer tous les efforts intellectuels effectués en amont. Voilà un travail qui nécessite la collecte et le traitement en continu d’informations diverses et variées, et il a beaucoup évolué au fil des dernières années.

Il y a quarante ans, quand j’ai commencé par hasard dans ce métier, la difficulté était de trouver les informations.

Aujourd’hui, elles sont toutes disponibles instantanément sur Bloomberg ou sur Reuters, et ce qui est difficile, c’est de faire le tri entre ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Il faut donc aujourd’hui avoir une espèce de tamis intellectuel au travers duquel faire tout passer. Et je ne peux pas mettre toutes ces informations dans un ordinateur et lui laisser le privilège de prendre les décisions à ma place. L’ordinateur est un idiot qui calcule à la vitesse de la lumière, et c’est tout.

Ca ne marche pas, je le sais, j’ai essayé.

En définitive, la gestion de portefeuille tient beaucoup plus de l’artisanat que de l’industrie. On ne peut faire que dans le sur-mesure, jamais dans la confection. Et comme dans tout bon artisanat, il existe des « tours de main » que les compagnons - les anciens - essaient de passer aux apprentis. C’est ce que je vais essayer de faire dans les lignes qui suivent, passer mes « tours de main ». L’un de ceux ci, et peut être le plus important, consiste à essayer de séparer la réflexion qui doit précéder la mise en portefeuille d’un actif de celle qui doit avoir lieu une fois que cet actif est détenu.

Très curieusement par exemple, je sais que j’achète très bien, même si parfois j’achète un peu trop tôt, et que je vends plutôt mal, sans aucun doute parce que je passe beaucoup plus de temps à réfléchir à ce qu’il faut acheter qu’à ce qu’il faut vendre et quand il faut le vendre. C’est tellement vrai que dans l’une de mes sociétés, j’avais chargé l’un de mes associés de la « vente », me contentant de la fonction « achat ». C’était une bonne idée, mais les résultats ont été décevants. Il ne peut pas y avoir deux conducteurs dans une voiture.

Du coup, j’ai décidé de mettre sur papier, au bénéfice des lecteurs, un certain nombre de règles qui m’aident à considérer avec attention ce qui ne va pas dans mon portefeuille existant plutôt que de continuer à me faire plaisir intellectuellement en continuant à faire des grandes théories sur l’évolution à venir de l’univers, sans trop regarder en arrière pour contempler le résultat de mes décisions passées (mon péché mignon).

Voici donc un petit résumé de ces règles.

Les valeurs que vous avez dans votre portefeuille ne savent pas que vous vivez une grande histoire d’amour avec elles. Imaginons par exemple que vous vous soyez pris d’une passion coupable pour l’or. Il ne sait pas que vous l’aimez et ne sera pas vexé si vous lui faites une infidélité en le vendant pour acheter autre chose. Pas d’attachement sentimental, pas de fierté mal placée, de la modestie, encore de la modestie, toujours de la modestie.

Il n’y a pas de pessimiste riche, restez toujours optimiste. Comme le disait Bernanos, « le pessimiste est un idiot triste, l’optimiste un idiot heureux ». Soyez heureux. Chaque crise est une occasion nouvelle de s’enrichir.

Il n’y a pas de placement miracle qui monterait jusqu’à la fin des temps. Tout placement connaît un niveau où il faut vendre.

Si vous ne comprenez pas, ne jouez pas. Je me souviens par exemple de la folie sur les valeurs de technologie à la fin des années 90. Pendant l’été 1999, j’ai tout vendu, ne comprenant plus rien aux valorisations (j’étais trop vieux, me disait-on). Dans les mois qui suivirent, ces valeurs entrèrent dans une bulle d’anthologie et firent plus que doubler. Je me sentais complètement idiot - et très, très vieux. Deux ou trois ans après, ça allait beaucoup mieux.

Vous gérez un bilan et non un compte d’exploitation. Beaucoup de gens, quand ils gèrent un portefeuille, vendent ce qui est monté et gardent avec soin ce qui a baissé. Ce qui veut dire qu’ils vendent leurs bonnes décisions et conservent toutes leurs mauvaises. Au bout de quelque temps, il ne restera plus que des saloperies invendables dans leur portefeuille. En fait, il faut faire exactement le contraire. Vendre ce qui a baissé et garder ce qui a monté. Imaginez que les valeurs que vous avez dans vos actifs soient des employés. Vendre ce qui a monté, c’est virer les bons employés pour ne garder que les mauvais. Le résultat final d’une telle stratégie est certain: la faillite est garantie.

Si vous réussissez à éviter toutes les grandes baisses et à suivre deux grandes hausses sur trois, vous aurez des résultats mirifiques sur n’importe quelle période de 5 ans ou plus. Ce qui veut dire que vous devez être un investisseur et non un trader. Ce n’est pas parce que la bourse est ouverte tous les jours qu’il faut passer un ou plusieurs ordres tous les jours.

Ce qui m’amène au point suivant. Imaginons que vous achetiez une valeur à 100, en espérant qu’elle va aller à 150, sa « vraie » valeur d’après vos calculs ou ceux d’un analyste en qui vous avez confiance. Patatras, son cours tombe assez rapidement à 90. La solution est simple : vendez ! Ce qui tue la performance d’un portefeuille, c’est la valeur qui baisse de 50 % ou plus. Pour éviter cela, la seule solution est de vendre tout ce qui baisse de façon inexplicable à vos yeux et de fixer dans votre esprit une limite au delà de laquelle vous prendrez votre perte, quoi qu’il en soit.

Ne faites jamais de moyennes en baisse. Le cours auquel une valeur est rentrée dans votre portefeuille est une valeur comptable et non économique. La seule valeur à prendre en compte, c’est le cours aujourd’hui (voir le point précédent).

Ne gérez jamais en fonction d’objectifs fiscaux. Beaucoup de gens autour de moi se sont ruinés pour ne pas payer d’impôts. Si l’Etat accorde un avantage fiscal à un investissement, cela ne peut être que parce que la rentabilité du capital dans cet investissement est insuffisante et que l’Etat veut compenser par un traitement fiscal favorable cette insuffisance de rendement, pour vous forcer à faire des investissements que vous ne feriez pas sans cet avantage. Quand on connaît la capacité de l’Etat à sélectionner les bons investissements, la réaction normale doit être de s’enfuir en courant et non pas de se précipiter. Cela vaut pour les obligations de l’Etat français aujourd’hui par exemple.

Dans le même ordre d’idées, n’achetez jamais un investissement dont la rentabilité dépend de subventions étatiques (ou d’une réglementation nouvelle incitative). Par exemple, je connais nombre de gens qui ont été littéralement ruinés après avoir investi dans les panneaux solaires en Espagne. Lorsque les subventions cessent faute de rentrées fiscales, ces investissements perdent 90 % de leur valeur en très, très peu de temps.

N’achetez jamais sur un « tuyau » que vous aurait donné la petite amie ou le fils du président de la société. Ou bien vous vous retrouverez en prison, ou bien quelqu’un cherche à vous manipuler, ou encore cherche à vous faire croire qu’il est dans le secret des dieux, alors que ce n’est pas le cas.

Il n’y a jamais un seul cafard dans une cuisine. Imaginons qu’une société annonce qu’elle a découvert qu’un employé indélicat a perpétré quelques indélicatesses. Vendez aussi vite que vous le pouvez. D’autres cafards vont sortir dès que la lumière sera éteinte.

N’empruntez jamais pour acheter. On ne s’enrichit pas avec l’argent des autres.

Si vous avez une position dans votre portefeuille qui vous empêche de dormir ou qui vous réveille à quatre heures du matin, ou si vous commencez à avoir mal au dos (plein le dos…), vendez. Vous n’êtes plus en état de réfléchir sainement.

J’ai essayé de distiller en quelques lignes ce qu’une longue et douloureuse expérience m’a appris. Faites en bon usage, car comme je l’écrivais la semaine passée, la période financière à venir promet d’être houleuse. Hisse ho !

Charles Gave

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