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8/6/12 Charles Gave
        Monnaie : l’étalon or n’est pas la solution !

La monnaie n’est pas un bien comme les autres. Si nous convenons que l’argent est un bien commun, un bien public, alors le laisser à la libre disposition du secteur privé ou, pire encore, sous la direction d’une autorité étatique sans contrôle peut avoir de regrettables conséquences. Les entrepreneurs sont des navigateurs en haute mer. Leur boussole, c’est le système des prix. Si des manipulations aussi bien étatiques que d’ordre privé venaient à changer la valeur réelle de la monnaie, cela entraînerait des bouleversements importants et non justifiés dans tous les prix, tant absolus que relatifs. Les entrepreneurs perdraient de ce fait une grande partie de leurs repères et se révèleraient incapables de gérer leurs affaires. On leur demanderait de naviguer avec une boussole donnant de faux signaux, ce qui rend l’arrivée au port hasardeuse.

La question la plus centrale reste, surtout dans nos pays : pourquoi l’argent a-t il une valeur alors qu’il ne coûte rien à produire ? A cette question, certains aiment à penser, comme Philippe Simonnot et Charles Le Lien qui ont publié récemment un ouvrage intitulé « La monnaie, histoire d’une imposture », que le retour de la convertibilité en or de la monnaie permettrait de répondre aux deux problèmes majeurs à savoir :

1/ La captation de la création de monnaie par « l’Etat » ;

2/ La valeur intrinsèque de la monnaie qui serait conférée par l’or.

Pour ma part, la vraie question autour de la monnaie reste encore et toujours : au nom de quel étrange phénomène la monnaie a-t- elle une valeur ? Avec son corollaire : en cas de différend, qui va arbitrer le différend sur cette valeur et qui en est légalement responsable?

Je prends donc à nouveau le temps de revenir sur les définitions apportées par :

• Aristote, qui affirmait que la monnaie se devait d’être un bien réel que tout le monde désire et qui a un coût de production connu. Pour lui, la monnaie ne pouvait donc être que l’or et l’argent.

• Platon pour sa part affirmait que la monnaie était une simple convention qui permettait au système de fonctionner et que son fondement n’était que purement subjectif. Ce qui faisait la valeur de la monnaie, c’était que les deux parties dans l’échange l’acceptent.

• Jésus pour sa part ne se prononce pas (« Mon royaume n’est pas de ce monde »), mais nous donne une indication précieuse en affirmant que la monnaie est du ressort exclusif de l’Etat (Rendre à César ce qui est à César, sa monnaie. Sans monnaie, pas d’Etat).

A la fin d’une longue vie consacrée à la monnaie sans avoir pour autant sacrifié au veau d’or plus qu’il n’était nécessaire, je pense que je peux me permettre de donner mon avis, qui est que si Jésus et Platon ont raison, Aristote et Messieurs Simonnot et Le Lien ont tort, non pas dans leur analyse mais sur la solution à apporter. Certes, le point de vue aristotélicien est très attrayant pour un libéral en ceci qu’une monnaie fondée sur un étalon or n’a presque plus besoin d’Etat pour fonctionner. Et je reconnais tout à fait simplement qu’il est fort attrayant également de résoudre ainsi le double défi actuel qui est:
- sortir la création monétaire des mains qui l’ont captée ;
- proposer un système alternatif indépendant.

En effet, si tout le monde reconnaît la valeur de l’or et que la valeur de l’or est liée à son coût de production, alors tout le monde acceptera l’or comme monnaie, même en l’absence de gendarmes qui vous forceraient à accepter les pièces en paiement. Cette théorie est aussi l’apanage en règle générale, de l’individu à tendance libertaire ou libertarienne, qui pense que les gouvernements et les banques centrales toujours et partout échouent et que moins ces entités interviennent, mieux l’individu en général et lui-même en particulier se portent.

Retirer à l’Etat le contrôle de la monnaie, voilà une idée majeure pour quiconque veut assécher les méandres du pouvoir étatique. L’ennui de la thèse aristotélicienne (et consorts) est que les économistes autrichiens ont réussi à démontrer il y a près de cent cinquante ans que la valeur était d’origine purement subjective.

Dans un monde où toutes les valeurs seraient subjectives, nous nous retrouverions donc avec l’or qui seul aurait une valeur objective liée à son coût de production, c’est-à-dire à la valeur travail dont on sait aujourd’hui, fort de l’échec du monde communiste, qu’elle est économiquement non viable.

Oui, opposent souvent les auteurs, « mais l’or est rare ». A cela, j’oppose souvent l’Histoire qui, par le passé, a toujours démontré que l’étalon or rendait les Etats mercantilistes, puisque le succès se mesure au nombre de tonnes d’or que vous avez dans vos caves à la banque centrale. Un homme comme Rueff, bon fonctionnaire s’il en fut et qui n’a jamais souffert des dépressions que sa politique engendrait, a foutu en l’air l’économie française en 1934 comme peu de gens l’avaient fait avant lui depuis Colbert, ce qui nous a amené le Front populaire en 1936, lequel nous a laissé sans défense devant l’Allemagne en 1940.

Pourquoi l’Etat devrait-il contrôler la monnaie ? N’y a t-il pas là un non sens libéral me demanderez-vous ?

Dans un système dit de droit, l’Etat a le monopole de la violence. Il est le seul à pouvoir me mettre en prison si je refuse le paiement par la pièce qu’il a frappée, et s’il y a divergence dans l’interprétation d’un contrat, ses tribunaux ont la capacité de régler ce différend, par la violence s’il le faut.

L’Etat garantit la monnaie et l’exécution des contrats qui la prennent pour support. La monnaie apparaît ainsi comme un bien commun au même titre que la justice, la diplomatie, la défense ou la police.

Cela, bien entendu, suppose que les pouvoirs politiques des Etats n’interviennent pas pour biaiser le jeu, comme la folie technocratique européenne qui a permis de bâtir un système monétaire entre nations sans qu’aucune possibilité d’ajustement ne soit présente pour remettre en équilibre un système qui serait structurellement en train de s’en écarter.
« Le gardien du gardien de la monnaie », c’était l’or, disent alors Simonnot et Le Lien, en regrettant que désormais il n’existe plus de gardien des gardiens.

Dans chaque pays, il existe de multiples organismes chargés de surveiller les banques et les institutions financières. Toutes ces entités publiques ou parapubliques sont-elle vérifiées par les règles prudentielles édictées par la loi et trouvant leurs sources dans une pratique millénaire ?

Voyons ce qu’il en est de la plus vieille d’entre elles, l’obligation faites aux banques de ne pas prêter plus de douze fois leurs fonds propres et de disposer par conséquent d’un capital égal à 8 % de leurs prêts. Cette règle trouve sa source dans une constatation très ancienne : dans une récession sévère, 4% des emprunteurs ne pourront pas rembourser, ayant fait faillite.

Si les fonds propres représentent deux fois cette perte maximale, il est probable que la banque pourra passer sans encombre la récession. Or qu’avons nous constaté ces dernières années ?

Lehman en faillite était à 35 fois ses fonds propres.

Fortis en faillite était à 55 fois ses fonds propres,

RBS en faillite était à 60 fois ses fonds propres, HypoVereinsbank, la grande banque de Munich, était à 70 fois ses fonds propres.

Alors, je vous le demande :

• Où étaient les autorités de contrôle des banques qui existent dans chaque pays et dont le rôle est de vérifier que les banques sous leur juridiction ne font pas de bêtises ?
• Où étaient les banques centrales, dont l’un des rôles principaux est de veiller et de surveiller les banques commerciales ?
• Où étaient les services internes de mesure des risques au sein de chaque banque ?
• Où étaient les grands réviseurs comptables ?
• Où étaient les agences de notations ?
• Où étaient les agences de régulations des marchés (SEC , FSA, ACMF)

Et enfin :
• Où étaient les autorités politiques ?
Car ce sont-elles qui sont chargées par la loi de contrôler les contrôleurs.

Aucun méfait du libéralisme ici, mais encore une fois un raté de l’Etat dans son rôle de gardien incorruptible de l’intérêt général.

Mais je le répète, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. Oui, la dérive a eu lieu, et le coupable n’est pas le système monétaire mais bien la dérive des institutions de contrôle.

L’or est une solution atomique qui permettrait effectivement de sortir le contrôle de la monnaie du pouvoir de l’Etat, mais ce serait remplacer la peste par le choléra. Alors, oui, on peut choisir de faire diminuer le taux de vol à l’étalage en coupant toutes les mains des citoyens, cela fonctionne, mais j’ai quand même un doute pour la suite….

Je crois en l’individu, pas en la force brutale qu’est l’étalon or.

La réalité, c’est qu’une politique monétaire menée selon des principes sages et démocratiques permet à l’économie de se développer beaucoup plus harmonieusement que n’importe quel autre système, toute l’histoire économique des cent dernières années le prouve. Que les banquiers centraux et les monnaies soient en concurrence est ce qui assure la discipline bien mieux que n’importe quoi d’autre, que ce soit un Deus ex machina gérant un monstre ingérable comme l’euro, ou que nous soyons soumis à une discipline irrationnelle comme celle de l’étalon or.

Il suffit, pour que le côté « bien commun » soit respecté, que l’indépendance de la banque centrale soit inscrite dans la Constitution et que l’on fasse passer d’autres amendements à cette Constitution pour empêcher l’Etat et les politiques de présenter des budgets en déficit. C’est ce qui s’est déjà produit en Suède, au Canada, en Allemagne, en Suisse.

Ne laissons pas la démagogie ambiante nous aveugler sur les solutions à apporter au problème monétaire actuel. Le politique est la cause, l’individu est la solution.

Charles Gave

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