Pour
ceux qui nous gouvernent, la liberté est
toujours coupable !
Un de mes lecteurs m’a posé une question, il y a quelques jours, qui m’a
beaucoup troublé : peut-on être libéral et conservateur à la fois ?
Et du coup, je me suis mis à réfléchir…
Or, pour qu’une réflexion soit fructueuse, il faut bien sûr la mettre par
écrit.
Ce que je fais ci-dessous.
Libéral, je crois savoir ce que cela veut dire car j’ai beaucoup réfléchi et
beaucoup lu sur le sujet.
En revanche, j’ai assez peu réfléchi à la notion de conservatisme et je ne
me sens pas très l’aise pour parler d’un sujet que je connais mal. Certes,
j’ai lu Burke ou Tocqueville qui m’ont beaucoup influencé, mais je n’ai peut
être pas lu autant dans ce domaine que je l’aurais dû.
Il n’en reste pas moins que la meilleure définition que je connaisse du
conservatisme a été donné par Lord Salisbury, alors premier ministre de la
reine Victoria. Cette dernière lui avait fait part de son souhait qu’un
certains nombre de changements soient apportés à la gestion du royaume. A
quoi Lord Salisbury avait répondu : « Changer, votre Majesté, changer…Vous
ne trouvez pas que les choses vont déjà assez mal comme ça ?»
On retrouve, dans cette simple boutade, l’essentiel de la philosophie de
Thomas Sowell et de Hayek.
Je m’explique.
Pour Hayek, dont nul ne peut nier qu’il fut un penseur libéral de la plus
haute importance, il y avait deux sortes de changements.
Il ya d’abord ceux qui arrivent lentement mais sûrement des profondeurs du
corps social et qui, en parvenant à sa surface, sont acceptés comme
parfaitement raisonnables par tout le monde. Raymond Boudon citait comme
exemple de ce genre de processus l’abolition de la peine de mort dans la
plupart des démocraties. On pourrait citer aussi la disparition du crime de
blasphème dans tout l’Occident depuis le début du XIXème siècle. Ce genre de
changement d’habitude fait en général l’objet d’un vaste consensus social,
et lorsque le temps en est venu, l’adaptation du droit à ce qui est devenu
la nouvelle norme sociale se fait sans aucune difficulté. Ce n’était
certainement pas à ce genre de changement que s’opposait Salisbury.
Et puis il y a les changements qui arrivent portés par ceux que Thomas
Sowell appelle les Oints du Seigneur. Et là, il s’agit d’une toute autre
affaire. Le but n’est pas de reconnaître qu’un changement a eu lieu et de
l’entériner dans le droit, mais de changer le droit pour forcer à un
changement, parfois brutal, du corps social. Et donc on assiste souvent à
une tentative de changer la nature humaine pour faire naître un « homme
nouveau », ce qui n’est pas du tout la même chose. Nous avons affaire, de
fait, à un viol.
Dans la réalité, le processus que suivent les Oints du Seigneur pour
capturer une part plus importante du pouvoir politique et de la rente que
cette capture permet est toujours le même. Il a été décrit avec une
précision merveilleuse par Thomas Sowell, intellectuel noir, issu du Sud
profond où il est né dans une cabane sans électricité, ancien « marine »
américain et plus tard professeur d’économie dans les plus prestigieuses
universités des États-Unis.
Tout commence par la recherche d’une position leur donnant une espèce de
supériorité «morale» sur les autres intervenants dans le débat public.
Prenons l’exemple de l’écologie, qui semble être très à la mode à Paris en
ce moment, ce qui va empêcher tout un chacun de circuler dans la capitale
pendant 15 jours au moins. Nos écologistes, qui ne représentent qu’une part
minuscule de l’électorat, essaient de nous faire croire depuis des années
qu’ils sont les seuls à se préoccuper du futur de la planète, menacée par
les plus gaves dangers.
Ce point étant acquis avec la complicité des médias, vient l’étape suivante.
Et elle est toujours la même. Il est urgent de mettre en œuvre des solutions
qui toutes limiteront notre liberté individuelle en s’appuyant sur un
pouvoir accru qui leur sera délégué par l’État.
Les solutions qu’ils proposent ayant été acceptées, vient le temps des
résultats. Et surprise, surprise, elles ne marchent pas du tout ou
aboutissent au résultat inverse de celui recherché. On en a eu un exemple
merveilleux avec Mme Merkel fermant toutes les centrales nucléaires
allemandes pour rouvrir les gisements de charbon infiniment plus polluants.
Mais, heureusement, les Oints du Seigneur ont (à nouveau) une solution au
problème qu’ils ont créé et qui souvent n’existait pas avant eux. Ils ont
une (nouvelle) solution au (nouveau) problème, qui bien entendu suppose de
leur donner à nouveau plus de pouvoir à eux et donc d’augmenter le pouvoir
de l’État pour mieux fausser le marché libre. Dans leur monde, la liberté
est toujours coupable.
Et ainsi de suite, jusqu’au moment où les citoyens ruinés et exaspérés
décident de les virer à grands coups de pompes.
Chacun aura reconnu le processus intellectuel religieux qui sous-tend
toujours leurs démarches.
Le citoyen de base a commis de gros péchés.
Ces péchés vont sans nul doute entraîner sa damnation.
Heureusement, une classe cléricale qui est en contact avec la Divinité (Gaïa
dans notre exemple) peut servir d’intermédiaire pour atténuer la colère du
Tout Puissant. Cela implique de les payer grassement
et peut être d’égorger quelques boucs émissaires comme au temps jadis (merci
René Girard), mais hélas tout cela est nécessaire. Et
si les solutions ne marchent pas, eh bien cela veut dire que le Dieu est
encore plus fâché qu’on ne le pensait et qu’il faut revenir au début du
raisonnement et sacrifier quelques vierges de plus.
Ces individus font donc disparaître la différence essentielle qu’Abélard
avait introduite dans l’Occident chrétien, je veux dire la différence entre
le péché et le crime. Pécher relève du rapport que chacun entretient avec
Dieu, et la justice civile n’a rien à dire quand un péché est commis par un
individu.
Par contre, enfreindre volontairement la loi existante est un crime.
C’est reconnaître dans l’ordre civil la différence qui existe entre Dieu et
César. Et c’est sur cette reconnaissance - que la
religion musulmane n’a jamais intégrée - que toutes nos sociétés laïques se
sont construites depuis le XIIème siècle.
Et ce que font les Oints du Seigneur, c’est bien sûr de gommer cette
différence essentielle pour qu’on leur donne à eux le pouvoir de condamner
et d’excommunier qui a été retiré aux Eglises établies depuis bien
longtemps. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder ce qu’a fait France
Télévision, qui vient de virer son spécialiste météorologique pour blasphème
contre les adorateurs de Gaïa. Voilà qui me paraît aussi grave que les
massacres à Charlie Hebdo mais qui n’a pas encore amené des millions de
personnes dans les rues, à ma connaissance. Nos Oints du Seigneur n’ont en
fait que peu, très peu de considération pour la liberté d’expression, comme
le prouvent à l’évidence toutes les lois mémorielles.
Hayek appelait le processus mental qui mène à cette autre forme de
changement « la présomption fatale », et c’est elle qui a toujours mené à
tous les génocides et à tous les crimes contre l’humanité.
Ces points étant acquis, revenons à notre antinomie libéral-conservateur.
Il me semble tout à fait évident que le premier devoir de cet individu
rarissime que serait un libéral conservateur est sans doute de lutter sans
cesse pour que chacun puisse s’exprimer, y compris bien sûr les Oints du
Seigneur.
Par contre, toute tentative de museler des opinions, qu’elles soient ou non
les miennes, en s’appuyant sur la capture de l’État et sur le monopole de la
violence légitime dont il dispose, est inacceptable et l’on doit y résister
au besoin par la force. Après tout, le premier amendement à la constitution
américaine précise que « le Congrès des États-Unis ne fera pas de lois pour
limiter la liberté d’expression», ce qui est extrêmement clair.
De plus, il me semble tout à fait évident également que mon
libéral-conservateur, après avoir combattu pour une liberté d’expression
totale, doit suivre avec beaucoup de sympathie la montée des changements qui
viennent des entrailles de la collectivité.
Ayant eu un frère homosexuel, toute mesure qui cherche à faire reculer
l’opprobre dont ces pauvres gens souffraient me paraît une bonne chose. Et
ce, bien que je sois catholique.
Ayant deux filles et cinq petites filles, je me vois mal protester avec
vigueur contre les changements dont les femmes ont bénéficié depuis cent
ans, tant cela me paraîtrait stupide et surtout injuste.
Je veux dire par là que tout bon libéral - conservateur doit accepter avec
bonheur tout changement qui réduit les injustices ici sans les accroître
ailleurs.
Mais quand j’arrive aux changements préconisés par mes Oints du Seigneur de
nos jours, alors là, je vois rouge plus souvent qu’à mon tour.
Prenons un exemple, la GPA
Il ne peut pas y avoir de droit à l’enfant, puisque personne ne peut
avoir de droits sur une autre personne.
De même, soutenir qu’une femme peut louer son ventre (alors que les mêmes
veulent interdire la prostitution) n’est qu’une forme moderne d’esclavage,
et l’esclavage est une abomination qui hélas n’a disparu pour l’instant que
dans les sociétés chrétiennes (voir le sort des petites filles au Népal ou
des travailleurs immigrés dans le Golfe persique, par exemple)
Je prends un exemple concret.
En Thaïlande récemment, un couple d’Australiens avait «loué» les services
d’une jeune femme censée leur faire un enfant. A la naissance, le bébé se
révéla être mongolien (syndrome de Down). Les « parents » australiens
disparurent précipitamment, et le petit être fut autorisé à mourir dans un
orphelinat. Je voudrais bien savoir ce que ce drame a à voir avec la liberté
individuelle et comment quiconque peut justifier une telle abomination. Et
si quelqu’un me propose un raisonnement qui justifierait cela, je le
refuserai avec horreur. Écouter les idées folles des autres ne veut pas dire
les accepter et le relativisme est une abomination.
Et donc pour moi, être un libéral-conservateur, c’est être quelqu’un qui
résistera autant qu’il le pourra à toutes les idées tordues émises par les
Oints du Seigneur, mais qui acceptera avec bonne humeur les changements de
société pour peu qu’ils fassent diminuer la somme des injustices.
On peut donc être libéral et conservateur à la fois.
Et c’est sans doute ce que je suis.
Charles Gave
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