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11/11/15 Charles Gave
     

      Pour ceux qui nous gouvernent, la liberté est                             toujours coupable !

Un de mes lecteurs m’a posé une question, il y a quelques jours, qui m’a beaucoup troublé : peut-on être libéral et conservateur à la fois ?

Et du coup, je me suis mis à réfléchir…

Or, pour qu’une réflexion soit fructueuse, il faut bien sûr la mettre par écrit.

Ce que je fais ci-dessous.

Libéral, je crois savoir ce que cela veut dire car j’ai beaucoup réfléchi et beaucoup lu sur le sujet.

En revanche, j’ai assez peu réfléchi à la notion de conservatisme et je ne me sens pas très l’aise pour parler d’un sujet que je connais mal. Certes, j’ai lu Burke ou Tocqueville qui m’ont beaucoup influencé, mais je n’ai peut être pas lu autant dans ce domaine que je l’aurais dû.

Il n’en reste pas moins que la meilleure définition que je connaisse du conservatisme a été donné par Lord Salisbury, alors premier ministre de la reine Victoria. Cette dernière lui avait fait part de son souhait qu’un certains nombre de changements soient apportés à la gestion du royaume. A quoi Lord Salisbury avait répondu : « Changer, votre Majesté, changer…Vous ne trouvez pas que les choses vont déjà assez mal comme ça ?»

On retrouve, dans cette simple boutade, l’essentiel de la philosophie de Thomas Sowell et de Hayek.

Je m’explique.

Pour Hayek, dont nul ne peut nier qu’il fut un penseur libéral de la plus haute importance, il y avait deux sortes de changements.

Il ya d’abord ceux qui arrivent lentement mais sûrement des profondeurs du corps social et qui, en parvenant à sa surface, sont acceptés comme parfaitement raisonnables par tout le monde. Raymond Boudon citait comme exemple de ce genre de processus l’abolition de la peine de mort dans la plupart des démocraties. On pourrait citer aussi la disparition du crime de blasphème dans tout l’Occident depuis le début du XIXème siècle. Ce genre de changement d’habitude fait en général l’objet d’un vaste consensus social, et lorsque le temps en est venu, l’adaptation du droit à ce qui est devenu la nouvelle norme sociale se fait sans aucune difficulté. Ce n’était certainement pas à ce genre de changement que s’opposait Salisbury.

Et puis il y a les changements qui arrivent portés par ceux que Thomas Sowell appelle les Oints du Seigneur. Et là, il s’agit d’une toute autre affaire. Le but n’est pas de reconnaître qu’un changement a eu lieu et de l’entériner dans le droit, mais de changer le droit pour forcer à un changement, parfois brutal, du corps social. Et donc on assiste souvent à une tentative de changer la nature humaine pour faire naître un « homme nouveau », ce qui n’est pas du tout la même chose. Nous avons affaire, de fait, à un viol.

Dans la réalité, le processus que suivent les Oints du Seigneur pour capturer une part plus importante du pouvoir politique et de la rente que cette capture permet est toujours le même. Il a été décrit avec une précision merveilleuse par Thomas Sowell, intellectuel noir, issu du Sud profond où il est né dans une cabane sans électricité, ancien « marine » américain et plus tard professeur d’économie dans les plus prestigieuses universités des États-Unis.

Tout commence par la recherche d’une position leur donnant une espèce de supériorité «morale» sur les autres intervenants dans le débat public. Prenons l’exemple de l’écologie, qui semble être très à la mode à Paris en ce moment, ce qui va empêcher tout un chacun de circuler dans la capitale pendant 15 jours au moins. Nos écologistes, qui ne représentent qu’une part minuscule de l’électorat, essaient de nous faire croire depuis des années qu’ils sont les seuls à se préoccuper du futur de la planète, menacée par les plus gaves dangers.

Ce point étant acquis avec la complicité des médias, vient l’étape suivante. Et elle est toujours la même. Il est urgent de mettre en œuvre des solutions qui toutes limiteront notre liberté individuelle en s’appuyant sur un pouvoir accru qui leur sera délégué par l’État.

Les solutions qu’ils proposent ayant été acceptées, vient le temps des résultats. Et surprise, surprise, elles ne marchent pas du tout ou aboutissent au résultat inverse de celui recherché. On en a eu un exemple merveilleux avec Mme Merkel fermant toutes les centrales nucléaires allemandes pour rouvrir les gisements de charbon infiniment plus polluants.

Mais, heureusement, les Oints du Seigneur ont (à nouveau) une solution au problème qu’ils ont créé et qui souvent n’existait pas avant eux. Ils ont une (nouvelle) solution au (nouveau) problème, qui bien entendu suppose de leur donner à nouveau plus de pouvoir à eux et donc d’augmenter le pouvoir de l’État pour mieux fausser le marché libre. Dans leur monde, la liberté est toujours coupable.

Et ainsi de suite, jusqu’au moment où les citoyens ruinés et exaspérés décident de les virer à grands coups de pompes.

Chacun aura reconnu le processus intellectuel religieux qui sous-tend toujours leurs démarches.

Le citoyen de base a commis de gros péchés.

Ces péchés vont sans nul doute entraîner sa damnation.

Heureusement, une classe cléricale qui est en contact avec la Divinité (Gaïa dans notre exemple) peut servir d’intermédiaire pour atténuer la colère du Tout Puissant. Cela implique de les payer grassement et peut être d’égorger quelques boucs émissaires comme au temps jadis (merci René Girard), mais hélas tout cela est nécessaire. Et si les solutions ne marchent pas, eh bien cela veut dire que le Dieu est encore plus fâché qu’on ne le pensait et qu’il faut revenir au début du raisonnement et sacrifier quelques vierges de plus.

Ces individus font donc disparaître la différence essentielle qu’Abélard avait introduite dans l’Occident chrétien, je veux dire la différence entre le péché et le crime. Pécher relève du rapport que chacun entretient avec Dieu, et la justice civile n’a rien à dire quand un péché est commis par un individu.

Par contre, enfreindre volontairement la loi existante est un crime.

C’est reconnaître dans l’ordre civil la différence qui existe entre Dieu et César. Et c’est sur cette reconnaissance - que la religion musulmane n’a jamais intégrée - que toutes nos sociétés laïques se sont construites depuis le XIIème siècle.

Et ce que font les Oints du Seigneur, c’est bien sûr de gommer cette différence essentielle pour qu’on leur donne à eux le pouvoir de condamner et d’excommunier qui a été retiré aux Eglises établies depuis bien longtemps. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder ce qu’a fait France Télévision, qui vient de virer son spécialiste météorologique pour blasphème contre les adorateurs de Gaïa. Voilà qui me paraît aussi grave que les massacres à Charlie Hebdo mais qui n’a pas encore amené des millions de personnes dans les rues, à ma connaissance. Nos Oints du Seigneur n’ont en fait que peu, très peu de considération pour la liberté d’expression, comme le prouvent à l’évidence toutes les lois mémorielles.

Hayek appelait le processus mental qui mène à cette autre forme de changement « la présomption fatale », et c’est elle qui a toujours mené à tous les génocides et à tous les crimes contre l’humanité.

Ces points étant acquis, revenons à notre antinomie libéral-conservateur.

Il me semble tout à fait évident que le premier devoir de cet individu rarissime que serait un libéral conservateur est sans doute de lutter sans cesse pour que chacun puisse s’exprimer, y compris bien sûr les Oints du Seigneur.

Par contre, toute tentative de museler des opinions, qu’elles soient ou non les miennes, en s’appuyant sur la capture de l’État et sur le monopole de la violence légitime dont il dispose, est inacceptable et l’on doit y résister au besoin par la force. Après tout, le premier amendement à la constitution américaine précise que « le Congrès des États-Unis ne fera pas de lois pour limiter la liberté d’expression», ce qui est extrêmement clair.

De plus, il me semble tout à fait évident également que mon libéral-conservateur, après avoir combattu pour une liberté d’expression totale, doit suivre avec beaucoup de sympathie la montée des changements qui viennent des entrailles de la collectivité.
Ayant eu un frère homosexuel, toute mesure qui cherche à faire reculer l’opprobre dont ces pauvres gens souffraient me paraît une bonne chose. Et ce, bien que je sois catholique.

Ayant deux filles et cinq petites filles, je me vois mal protester avec vigueur contre les changements dont les femmes ont bénéficié depuis cent ans, tant cela me paraîtrait stupide et surtout injuste.

Je veux dire par là que tout bon libéral - conservateur doit accepter avec bonheur tout changement qui réduit les injustices ici sans les accroître ailleurs.

Mais quand j’arrive aux changements préconisés par mes Oints du Seigneur de nos jours, alors là, je vois rouge plus souvent qu’à mon tour.

Prenons un exemple, la GPA

Il ne peut pas y avoir de droit à l’enfant, puisque personne ne peut avoir de droits sur une autre personne.

De même, soutenir qu’une femme peut louer son ventre (alors que les mêmes veulent interdire la prostitution) n’est qu’une forme moderne d’esclavage, et l’esclavage est une abomination qui hélas n’a disparu pour l’instant que dans les sociétés chrétiennes (voir le sort des petites filles au Népal ou des travailleurs immigrés dans le Golfe persique, par exemple)

Je prends un exemple concret.

En Thaïlande récemment, un couple d’Australiens avait «loué» les services d’une jeune femme censée leur faire un enfant. A la naissance, le bébé se révéla être mongolien (syndrome de Down). Les « parents » australiens disparurent précipitamment, et le petit être fut autorisé à mourir dans un orphelinat. Je voudrais bien savoir ce que ce drame a à voir avec la liberté individuelle et comment quiconque peut justifier une telle abomination. Et si quelqu’un me propose un raisonnement qui justifierait cela, je le refuserai avec horreur. Écouter les idées folles des autres ne veut pas dire les accepter et le relativisme est une abomination.

Et donc pour moi, être un libéral-conservateur, c’est être quelqu’un qui résistera autant qu’il le pourra à toutes les idées tordues émises par les Oints du Seigneur, mais qui acceptera avec bonne humeur les changements de société pour peu qu’ils fassent diminuer la somme des injustices.

On peut donc être libéral et conservateur à la fois.

Et c’est sans doute ce que je suis.

Charles Gave


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