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9/9/14 Charles Gave

      C’est moi que je suis l’économiste qu’on vous
                                     a causé !

J’ai commencé dans ce qui est mon métier en 1971.

Les deux ou trois premières années furent tranquilles et puis arriva la crise pétrolière de 1973.

Et depuis, la France est en crise.

Je me suis beaucoup baladé dans le monde depuis quarante ans et je peux assurer le lecteur que la France est le seul pays au monde qui ait été en crise constante depuis 40 ans, du moins si l’on en croit les médias.

Les médecins de Molière ne cessent de s’écrier : « Les poumons, vous dis-je, les poumons ». Le journaliste économique de base, en France, quant à lui s’en va répétant à qui veut l’entendre, et ce depuis quarante ans : « La crise, vous dis-je, la crise », ce qui est bien pratique puisque cela dispense de toute réflexion et de tout travail personnel.

Reste une question: à quoi attribuer cette imprégnation de l’idée de crise dans les médias de notre beau pays ?

La première idée qui vient à l’esprit, c’est bien sûr la totale domination de la vulgate marxiste sur ce que Tocqueville appelait les distributeurs de culture, par opposition aux créateurs de culture et aux consommateurs de culture. Pour tout bon marxiste, le capitalisme ne peut être qu’en crise ou en train de rentrer dans une crise, mais il est hors de question qu’il ne soit pas en train d’agoniser. Et comme pour la classe des distributeurs de culture, le marxisme est l’horizon indépassable de la pensée humaine (Sartre), laisser croire au public que la crise est sur le point de s’arrêter serait faire œuvre impie. Et comme nous sommes en théocratie, faire œuvre impie serait dangereux.

Aussi curieux que cela paraisse, là où ce sentiment est le plus fort et exprimé le plus souvent c’est dans les journaux dits économiques, peuplés de gens pour qui l’horizon indépassable de la pensée économique est Keynes, fort apprécié par tout marxiste digne de ce nom. Dans le fonds, le keynésianisme est au marxisme ce que le coca light est au coca.

Je viens d’en avoir un nouvel exemple en parcourant un magazine qui s’appelle Challenges. Le keynésien de service nous explique doctement que d’après des graphiques de la Banque centrale américaine, les inégalités se sont accrues aux USA, depuis la crise et que donc Piketty a raison…Quand je me trouve devant un tel discours, je dois avouer que les bras m’en tombent.

Reprenons les arguments les uns après les autres, si le lecteur le veut bien, pour essayer de démonter le processus logique que le journaliste semble avoir suivi et qui n’est qu’une suite de non sequitur, c’est-à-dire de propositions logiques dont on essaye de vous faire croire qu’elles sont reliées les unes aux autres alors qu’il n’en est rien.

1. La crise serait bien entendu une crise du capitalisme, si ce n’est la crise du capitalisme, que tous les vrais croyants attendent depuis 1840. Dans la réalité, il ne s’agit en rien d’une crise du capitalisme, mais d’une crise d’incompétence crasse de la part des banquiers centraux en général et de la FED en particulier.

Dès que la banque centrale US a commencé à imposer des taux réels négatifs, suivant en cela les recommandations keynésiennes pour procéder à l’euthanasie du rentier, avec de nombreux autres économistes j’ai avancé l’idée qu’on ne pouvait faire tourner la machine capitaliste sans un coût du capital de marché, ce qui n’était pas une idée bien neuve.

Mettre les taux à zéro, c’est bloquer le prix de l’argent, ce qui est à peu près aussi idiot que de bloquer les loyers pour résoudre une crise du logement. Mme Duflot et Ben Bernanke, même combat… Quand une banque centrale traficote le coût de l’argent, elle n’obtient pas plus de croissance, mais beaucoup moins puisque le capital, ce bien rare entre tous, est investi au petit bonheur la chance, ce qui mène à de biens regrettables débordements du style de la crise des subprimes aux USA, créée de toutes pièces par le système politique local.

La crise dans laquelle nous sommes n’est en rien une crise du capitalisme, mais une crise créée par des banquiers centraux qui se croient plus malins que les marchés et qui continuent à le croire et à faire n’importe quoi.

2. Cette crise serait à l’origine de l’accroissement des inégalités. Là encore, voilà qui me donne envie de fermer le journal immédiatement.
Imaginons que dans la société nous ayons trois groupes d’individus : les gens « pauvres » qui vivent du produit de leur travail, les gens « riches » qui vivent de leurs rentes et qui possèdent de nombreux actifs (actions, obligations, œuvres d’art etc.), auxquels on peut ajouter les gens qui ne pourront jamais être virés de leur travail, et enfin les entrepreneurs, dont le rôle est d’imaginer et de produire les biens et les services dont les deux autres groupes auront besoin, en se mettant en risque.

Imaginons de plus qu’un banquier central idiot décide de mettre les taux d’intérêts à zéro. Qu’est-ce qui va se passer ? Eh bien c’est tout simple : les gens riches vont se mettre à emprunter auprès des banques en donnant leurs actifs en garantie pour s’acheter des actifs les uns aux autres, et le prix de ces actifs va monter très fortement.

Tous les prêts bancaires iront aux « riches », qui le deviendront de plus en plus, et les pauvres entrepreneurs ne trouveront plus personne pour leur prêter de l’argent, et donc la croissance commencera à baisser très fortement.

Et tout cela se terminera par un krach, puisque la richesse ne vient que des entrepreneurs et non pas du prix des actifs soufflé par une politique monétaire insensée.

Du coup, ceux qui vivent du produit de leur travail n’en trouvent plus et de pauvres qu’ils étaient, ils deviennent très pauvres, sans très bien comprendre pourquoi.

L’explication est cependant très simple.

La politique monétaire suivie par la banque centrale est faite au profit des riches, c’est-à-dire de ceux qui ont des actifs et un emploi garanti (les fonctionnaires), et au détriment des pauvres et des entrepreneurs.

Il faut bien que le lecteur se rende compte que ce qui a créé l’explosion des différences de richesse, ce n’est pas le capitalisme, mais une politique monétaire suivie par des banques centrales dont les instances dirigeantes ont été capturées par les « rentiers » et qui donc suivent des politiques favorables aux rentiers c’est-à-dire aux riches et aux fonctionnaires.

3. Le dernier élément qui me fait sauter en l’air, c’est la déclaration de principe, qui n’est même pas discutée et qui peut être résumée comme suit: « C’est vrai puisque la banque centrale américaine le dit. »

D’après Saint Thomas d’Aquin, l’argument d’autorité ne doit jamais être utilisé dans une controverse entre humains, sauf si le débat porte sur des points de religion, et dans ce cas la seule chose que l’on puisse utiliser sera les évangiles. Or le journaliste nous explique que la discussion est close puisque la FED l’a dit. Voilà l’argument d’autorité dans toute son insuffisance intellectuelle.

Je suis la FED depuis des années, et les économistes de cette noble institution n’ont jamais rien vu arriver. Ni krach financier, ni crise immobilière, ni récession, ni chômage. Rien.

Pour qui veut rire un bon coup, qu’il se penche sur les prévisions que la Fed publie pour l’économie américaine chaque année. Il n’y a guère que le FMI qui soit aussi mauvais.
Ces gens complètement incompétents à faire quelque prévision que ce soit ont de plus commis erreur sur erreur dans leur gestion monétaire, et ce depuis 1998 au moins.

Le dernier grand banquier central américain fut Paul Volcker, et il a été viré en 1988 par ce qu’il était démocrate, pour le remplacer par le regrettable Greenspan, qui lui était républicain, lequel fut remplacé par Ben Bernanke dont la charité m’oblige à ne rien dire.
Bref, soutenir que la FED serait l’arbitre de ce qui est vrai ou faux en économie, ou plus grave encore, soutenir que la FED (ou la BCE) serait gérée par des gens compétents relève de la plus haute fantaisie ou de la folie sauvage.

Et monsieur Piketty dans tout ça ?

Tous ses attendus étant faux, il n’y a pas lieu de tirer une conclusion. Monsieur Piketty confond rentabilité du capital et taux de croissance des profits dans tous ses calculs. Eût-il été mon étudiant, je lui aurais mis un zéro pointé.

Charles Gave





 
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