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8/4/15 Charles Gave
     
    M. Draghi est le digne successeur de John Law !

Partout où je vais, j’entends que l’expérience monétaire actuelle en Europe est « sans précédent », ce qui est bien entendu une ânerie. Soit ceux qui disent cela sont de mauvaise foi, soit ils n’ont pas étudié le passé, et comme le disait George Santayana, « ceux qui ne connaissent pas l’histoire sont condamnés à en répéter les erreurs ».

En réalité, une expérience tout à fait similaire eut lieu en France, pendant la Régence, au début du XVIIIème siècle.

Revenons au début de cette époque, en 1715, au moment où le Roi Soleil disparaît. La France est ruinée par les guerres incessantes qui ont marqué la fin du règne interminable de Louis XIV. Les impôts ne rentrent plus, le déficit budgétaire est abyssal et « la rente », l’équivalent de nos chères OAT, se traite à une énorme décote, ce qui ne facilite pas l’émission de dettes nouvelles, le taux d’intérêt sous jacent étant très supérieur au maigre taux de croissance de l’économie. Emettre des dettes à 6 % quand la masse imposable monte de 1 % par an est rarement une bonne idée.

Techniquement, la France est donc dans ce que Keynes appellera plus de deux siècles plus tard « une trappe à dette ».

Selon les bons vieux principes qui sont restés de mise depuis, les autorités dévaluent la monnaie, réduisent autoritairement de moitié les taux d’intérêts sur la dette existante et se lancent dans une chasse aux riches effrénée. Bien entendu, cela ne marche pas et la banqueroute de l’Etat français se profile à l’horizon.

C’est alors que débarque à Paris un aventurier Écossais, condamné pour meurtre en Grande-Bretagne, John Law. Cet homme a mis au point un « système » qui permettrait de résoudre toutes les difficultés financières du pays par un coup de baguette magique.

En voici l’idée centrale, et je simplifie pour rendre la démonstration plus claire.

La France dispose de territoires fort importants en Amérique du Nord, qu’il est convenu d’appeler la Louisiane. Cette Louisiane n’a rien à voir avec la Louisiane actuelle car elle recouvre un territoire qui va de la Nouvelle Orléans à ce qui est Chicago aujourd’hui.

L’idée de Law est simple : le problème est que l’économie française souffre d’un manque de numéraire.

Il faut donc créer une banque qui va émettre du papier monnaie, promettant que ce papier monnaie sera remboursable à tout moment en or, tout cela garanti par l’Etat français. L’abondance de liquidités ainsi créées ex nihilo n’allait pas manquer de « relancer » l’économie, ce qui ferait monter les recettes fiscales, et ainsi régler le problème. On voit que M. Draghi n’a rien inventé. La dite banque fut créée sous le nom de Banque Royale, qui fut en fait la première banque centrale de l’histoire.

Parallèlement, il fallait créer une « Compagnie des Indes », à qui l’on donnerait le monopole du commerce avec la Louisiane et les Colonies, et les actions de cette compagnie, au nominal de 500 livres, allaient être vendues au public et cotées ensuite. Cerise sur le gâteau, ces actions pouvaient être souscrites avec des titres de rente à leur valeur faciale. Or ces obligations souffraient d’une forte décote. On offrait donc au bon peuple d’acheter des actions de 500 livres avec des titres qui étaient cotés à 300 livres.

La bourgeoisie française est ainsi faite qu’elle ne peut pas résister à une mauvaise affaire pour peu qu’une occasion de s’enrichir sans prendre de risque lui soit offerte, et tout le monde de se précipiter.

Assez rapidement, la décote sur la rente disparaît et le cours des actions de la Compagnie des Indes s’envole pour passer en quelques années de 500 à 20 000. Et tous les problèmes de financement du royaume de France de disparaître. L’euphorie règne au Palais Royal.

Arrive à ce moment-là en France un Irlandais, Richard Cantillon, grand opérateur financier devant l’Éternel et qui comprend tout de suite trois choses.

Le système de Law ne crée aucune richesse supplémentaire, mais pousse à la hausse massivement le cours de ces actifs compte tenu de l’abondance de liquidités. Nous sommes dans un monde où il y a plus d’idiots que d’argent.

La quantité de biens produite par la France n’augmente en rien, malgré une hausse effrénée du prix des actifs de production, puisqu’il est bien plus rentable d’emprunter pour acheter des actifs anciens que d’en créer de nouveaux.

Les dividendes payés par la Compagnie des Indes ne sont versés que grâce aux nouvelles souscriptions et nous sommes installés dans un système à la Madoff / Ponzi (léger anachronisme) qui s’écroulera le jour où les actionnaires demanderont leur remboursement en or. Or dans les livres de la Banque Royale, le stock d’or représente à peine 5 % de la valeur des papiers émis.

Et notre homme de vendre à découvert la livre française contre la livre anglaise en attendant tranquillement que les premières demandes de remboursement en or fassent imploser le système. Ce qui se produit lorsque le Prince de Conti envoie quelques-unes des ses voitures pour se faire rembourser en or des titres qu’il détient.

Et Cantillon de vendre à découvert les titres de la compagnie des Indes, qui en un an passent de 20 000 à moins de 800, en attendant d’aller à zéro. Et notre homme de gagner de l’argent comme un bandit…irlandais bien sûr. Cantillon sera poursuivi en justice et gagnera à chaque fois.

A cette époque, la justice française était indépendante…

Assez rapidement, la bourgeoisie française se retrouve ruinée, ayant échangé des titres de rente qui ne valaient pas grand chose contre des actions qui ne valaient rien.

Et la déflation de s’installer.

Plus tard, Cantillon écrira en français un petit livre, « Traité sur la nature du commerce », qui d’après Schumpeter est le premier livre dans l’histoire où l’auteur fasse la différence entre la quantité de monnaie dans le système et la quantité de richesse produite, faisant remarquer qu’il n’y a aucun rapport entre les deux.

Confondre accroissement du prix des actifs avec enrichissement général avait toujours été jusque là l’erreur que tout un chacun faisait, et en premier lieu les mercantilistes et Colbert, ce grand homme qui a ruiné la France.

Il y mentionne aussi un phénomène supplémentaire que l’on a appelé par la suite « l’effet Cantillon », qui stipule qu’en cas de manipulation de la monnaie par les autorités étatiques, ceux qui gagnent sont ceux qui sont proches du pouvoir, ceux qui perdent sont ceux qui en sont loin.

Traduisons pour l’époque actuelle :

- Les gagnants sont Goldman-Sachs et l’Etat français.

- Les perdants l’entrepreneur et l’ouvrier français.

Passons à notre époque, remplaçons les guerres par les transferts sociaux, et l’Etat est à peu près aussi ruiné qu’il l’était en 1715.Où l’on voit qu’en trois siècles, la capacité de gestion par les élites de notre cher et vieux pays n’a guère évolué.

Allons plus loin.

Remplaçons le Régent par Hollande et John Law par M.Draghi, et nous retrouvons les mêmes idées à l’œuvre, toutes plus fausses les unes que les autres.

Première idée : faire monter le prix des actifs permet le développement économique, ce qui est une foutaise intégrale. Ce qui permet le développement, c’est l’augmentation du stock de capital et non pas la hausse de sa valeur.

Deuxième idée : un accroissement de la « liquidité » favorise l’activité. Cela n’a pas d’autre résultat que de favoriser la spéculation.

Troisième idée : faciliter le financement de l’Etat est une bonne idée. Autre foutaise, cela permet à l’Etat de ne pas se réformer et à ceux qui en sont proches de s’enrichir honteusement dans ce qu’il est convenu d’appeler le capitalisme de connivence, grande spécialité de notre pays.

Question cependant : qu’est-ce qui représente à l’heure actuelle la conversion or qui finit par faire sauter le système de Law?

Réponse : les balances allemandes.

Dans le système actuel, les producteurs allemands vendent des voitures aux Français, aux Italiens, aux Espagnols, aux Grecs etc. qui donnent en échange une promesse de payer cette voiture dans le futur.

Et ces papiers constituent une grosse partie de l’actif du système financier allemand, qui dans le fond offre un immense crédit fournisseur à tous ces mauvais clients européens.

Quand j’étais enfant, je lisais dans tous les magasins «la maison ne fait pas crédit». Eh bien, ce panneau n’existe pas en Allemagne et « krach » est un mot d’origine germanique. Ces effets à recevoir se montent à près de 1 000 milliards d’euros aujourd’hui et ne seront jamais remboursés.

Ces mille milliards correspondent exactement aux excédents allemands avec le reste de la zone euro depuis les débuts de l’euro, puisque toute balance des capitaux s’additionne à zéro. Et c’est même pour ça qu’on l’appelle une balance.

Les producteurs allemands auraient pu mettre leurs produits sur un bateau et couler le bateau au large de Hambourg, cela reviendrait au même.

Un jour (quand?), les Allemands vont demander à être payés « cash », voire demander à être remboursés (et c’est ce qui arrive à la Grèce), ce qui revient exactement au même que le Prince de Conti demandant son remboursement en or.

La réalité est donc que nous sommes en plein délire économique, où les élites confondent quantité de monnaie et stock de richesse, gérés que nous sommes par des incompétents notoires.

Il faut donc que le lecteur se mette dans la peau de Cantillon, en ne croyant pas un mot des bêtises que peut dire M.Draghi, et se prépare en gardant le moins possible de ses actifs en investissements liés à l’Etat français.

La solution est bien sûr de trouver des façons de vendre à découvert l’Etat français, la façon la plus simple étant bien sûr de ne rien avoir qui soit sous un régime juridique contrôlée par ce même Etat.

Et tant que le système dure, il ne faut avoir des actifs qu’en Allemagne, pour ceux qui sont obligés de rester en Europe, tandis que les autres doivent investir partout où ils le peuvent, sauf bien sûr dans la zone euro

Hier, nous étions au bord du gouffre.

Avec M. Draghi, nous avons fait un grand pas en avant.

Charles Gave


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