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1/12/14 Charles Gave
    La baisse des taux va provoquer l’effondrement
                              de la croissance !

Sur les 12 derniers mois, une obligation longue du gouvernement américain (zéro coupon à 25 ans) est montée d’un tiers (+33%), tandis que le marché des actions le plus performant au monde, celui des Etats-Unis, grimpait quant à lui de 17 %, dividendes réinvestis. Il n’est pas très fréquent qu’une obligation d’Etat fasse 17 % de mieux sur une année que l’indice local des actions, et pourtant voila qui est parfaitement logique.

Deux facteurs expliquent cette remarquable performance.

Le premier, c’est bien entendu les tendances déflationnistes qui existent dans les économies mondiales, fort visibles aujourd’hui dans le prix du pétrole. Le grand gagnant quand la déflation s’installe, c’est bien sûr le détenteur d’une obligation longue garantie par un Etat qui ne fera pas faillite… Je crois en avoir parlé suffisamment dans ces chroniques et depuis des mois pour ne pas à avoir à revenir dessus.

Le deuxième a tout à voir avec la politique que semble vouloir suivre M. Draghi à la BCE. Que le lecteur se mette dans la peau d’un « trader » sur les marchés obligataires. Que lui dit M. Draghi ? Une chose toute simple : qu’à partir du début de l’année prochaine, la BCE va acheter pour 1 000 milliards (?) d’obligations émises par les Etats européens et que ces achats seront faits en proportion du PIB de chaque pays. Je peux me tromper, mais je ne pense pas que les déficits budgétaires cumulés de tous les pays de l’Eurozone atteignent ce chiffre pharamineux. La BCE va donc devoir acheter non seulement les déficits existants, mais aussi, sans doute, de la dette «ancienne» pour atteindre ses objectifs.

Qui plus est, le plus grand bénéficiaire de ces largesses va être l’Allemagne, puisque le PIB allemand est de loin le plus gros en Europe. Or le budget allemand est en équilibre, et il n’y aura donc pas de nouvelles émissions outre -Rhin. Toute la demande de la BCE pour les obligations allemandes va devoir être servie par du papier ancien. Les taux longs allemands vont donc devoir aller à zéro, où ils retrouveront les taux suisses (à 0,35 %) ou japonais (à 0,45%) pour les obligations d’Etat à 10 ans.

Que va faire mon trader?

- D’abord, il va se précipiter pour acheter des bunds (les obligations allemandes) pour essayer de les revendre quelque temps après et, il l’espère, beaucoup plus cher à la BCE.

- Ensuite, il va se dire qu’avec la BCE achetant quasiment tous les déficits français, italien, espagnol, portugais …le risque de difficultés de financement pour tous ces pays a quasiment disparu et que la probabilité que nous ayons une répétition de la crise de 2012 sur la dette des pays périphériques dans la zone euro est très faible. Il va donc se dire que les taux d’intérêt sur les 10 ans français, italien ou espagnol vont sans doute aussi …aller à zéro, et qu’il lui faut emprunter de l’argent toutes affaires cessantes à sa banque pour les acheter. Apres tout, si la BCE acquiert sans aucune discrimination toutes les obligations d’Etat européennes, il n’y a aucune raison logique pour que des pays bien gérés empruntent moins cher que des pays mal gérés. Ce qui compte est d’être un pays de la zone euro, pas d’être bien ou mal géré.

- Enfin, il va regarder les taux aux USA, qui sur les 10 ans sont encore à 2,2 %, et comprendre qu’il n’y a pas vraiment de raison pour que la France emprunte à moins de 1 % tandis que les Etats-Unis empruntent à 2,2%. Donc il va vendre les OAT à découvert et acheter des « treasuries » avec le produit de la vente des OAT et empocher la différence de rendement. Devant l’afflux de ces capitaux en provenance d’Europe, notre trader va sans doute garder sa position « short » en euro et sa position « long » en dollars, en espérant une hausse du dollar. Voilà qui devrait faire baisser le taux de change de l’euro tout en faisant baisser les taux d’intérêts aux USA, ce qui permettrait à mon trader de gagner sur tous les tableaux. Quand les deux 10 ans seront à zéro, il couvrira sa position short sur les OAT, en perte légère, il revendra ses treasuries en gain confortable, revendra ses dollars (plus haut) pour racheter des euros (plus bas, du moins il l’espère), et en attendant il n’a pas besoin de mettre le moindre capital en risque, la position short OAT finançant la position longue treasuries. L’idée lui viendra sûrement de prendre le levier le plus important possible pour vraiment s’enrichir. Youpee ! Kerviel est de retour. Voilà qui est quand même plus rigolo et plus facile que de bâtir une usine et d’embaucher des employés.

Ces manœuvres de la BCE appellent de ma part un certain nombre de remarques.

- Elles sont formellement interdites par les traités européens puisqu’à l’évidence il s’agit d’une mutualisation de la dette européenne. Nous avons donc affaire une fois encore à une sorte de coup d’Etat où les eurocrates prennent des décisions que rien ne les autorise à prendre, si ce n’est l’échec des politiques qu’ils ont suivies jusqu’ici. Que M. Draghi fasse des choses que la morale réprouve, voilà qui n’est pas nouveau. Que les autorités ou la Cour suprême allemande l’acceptent, voilà qui serait plus étrange. Le danger pour mon trader est donc que d’un seul coup les marchés se rendent compte que rien de ce que j’ai décrit plus haut ne se passera parce que la Bundesbank ou la Cour suprême allemande le refuse catégoriquement… Voilà qui serait sanglant.

- Elles vont mettre en difficultés sérieuses toute une partie de l’appareil financier européen. Que le lecteur songe aux caisses de retraite qui comptaient sur des rendements de 4 % sur les obligations d’Etat pour servir des retraites à leurs souscripteurs. A zéro, les retraites vont en prendre un bon coup. Ou qu’il songe aux compagnies d’assurance qui garantissaient les risques en achetant des obligations d’Etat qu’elles mettaient en réserve, pour couvrir leurs risques, et dont les intérêts servaient à payer leurs frais de fonctionnement. Les frais de fonctionnement vont rester les mêmes, leur rentabilité financière va disparaître. Leur rentabilité totale va donc s’écrouler, la différence viendra de leurs fonds propres qui vont fondre comme neige au soleil. Mauvaise nouvelle pour leurs actionnaires et pour les consommateurs. S’assurer va devenir de plus en plus cher. Pensons enfin aux banques à qui plus personne n’emprunte. Du coup, elles utilisent leurs dépôts, qu’elles ne rémunèrent plus, pour acheter des obligations longues de l’Etat local, les 2 % ou 3 % qu’elles touchaient leur servant à payer leurs frais de fonctionnement. Si maintenant elles touchent zéro, comment vont-elles payer leurs employés ?

- Elles sont en train de faire naître un risque gigantesque d’aléa moral (moral hazard en anglais). La pression que les marchés financiers exerçaient sur des pays comme la France ou l’Italie pour les forcer à se réformer disparaît complètement. Si les taux à 10 ans sont à zéro et si la BCE achète toute la dette française, on voit mal pourquoi M.Hollande devrait interrompre la passionnante expérience socialiste à laquelle le pays se livre. Comme l’a dit M. Hollande lors de sa dernière interview, l’argent existe, il suffit de l’emprunter… et s’il ne coûte rien, la demande devient infinie.

- Cette politique va amener à un effondrement de la croissance. Le taux d’intérêt, en bonne théorie économique, c’est ce qui permet d’arbitrer entre la consommation présente et la consommation future. La différence entre les deux s’appelle l’épargne, et sur le long terme, l’épargne est égale à l’investissement. Si l’on cesse de rémunérer l’épargne, elle va disparaître et donc l’investissement va s’écrouler aussi (ce qui a bien commencé), et avec lui la croissance économique. Bien entendu, le chômage va continuer à exploser à la hausse, avec les déficits budgétaires. Ce qui crée la croissance, c’est une épargne abondante et donc bien rémunérée, autorisée à s’investir selon le principe de la destruction créatrice dans le secteur privé. En fait, nous sommes rentrés dans le schéma soviétique. La destruction est rendue impossible, l’épargne n’est plus rémunérée et est remplacée par de la monnaie émise sans contrainte par la banque centrale pour financer les dépenses de l’Etat. On sait comment cela a fini.

- Enfin, ces pratiques sont en train de faire naître toute une série de « faux prix », en particulier dans les secteurs financiers. Un jour ou l’autre il faudra revenir aux vrais prix et là, beaucoup, beaucoup d’argent sera perdu.

Conclusion

Nous sommes gouvernés par des « desperados » qui sont prêts à tout pour masquer l’échec des politiques qu’ils suivent depuis des années, ce qui est un classique de la science politique. Je pense à l’Union soviétique envahissant l’Afghanistan pour masquer ses échecs intérieurs.

Je maintiens donc ce que j’ai dit depuis des mois. Je n’ai strictement aucune idée sur le « timing » du retour à des prix de marché. Tout cela a duré déjà beaucoup plus longtemps que ce à quoi je m’attendais.

Le lecteur doit avoir ses actifs en Asie, dans des sociétés de bonne qualité et qui n’ont rien à voir avec toutes ces imbécilités, en obligations longues US qui ne sont pas (encore) trop chères, et éviter toutes les financières, en particulier en Europe, ainsi que tous les marchés obligataires des pays européens. Il faut donc passer tout son temps sur la structure du portefeuille qui résistera le mieux à la crise et cesser de se croire capable de vendre la veille du jour où tout le monde va se rendre compte que le roi est nu. Ce portefeuille doit être concentré sur des positions en Asie, Chine comprise, des obligations longues US, des obligations courtes en yuan et des actions offrant de vrais produits ou services et ayant une comptabilité transparente.

Et attendre.

Charles Gave

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