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3/6/13 Charles Gave
                          1940 est devant nous !

Extrait des mémoires de guerre de Charles de Gaulle :

« Enfin M. Albert Lebrun vint joindre à l’approbation générale celle du fantôme mélancolique de la IIIe République. Je le reçus le13 octobre. « J’ai toujours été, je suis, me déclara le président, en plein accord avec ce que vous faites. Sans vous, tout était perdu. Grâce à vous, tout peut être sauvé. Personnellement, je ne saurais me manifester d’aucune manière, sauf toutefois par cette visite que je vous prie de faire publier. Il est vrai que, formellement, je n’ai jamais donné ma démission. A qui, d’ailleurs, l’aurais-je remise, puisqu’il n’existait plus d’Assemblée nationale qualifiée pour me remplacer ? Mais je tiens à vous attester que je vous suis tout acquis » [...]. Le président Lebrun prit congé. Je lui serrai la main avec compassion et cordialité. Au fond, comme chef de l’Etat, deux choses lui avaient manqué : qu’il fût un chef, qu’il y eût un Etat »

Quelle phase terrifiante : « Qu’il fût un chef, qu’il y eût un Etat. »

Et pourtant le président Lebrun était sorti premier de Polytechnique, tandis que le général Gamelin, ex chef d’état major du vainqueur de 1918, le maréchal Foch, était, lui, sorti premier de Saint Cyr. Donc la France en 1940 était « dirigée » par celui qui était sorti premier de Polytechnique, tandis que son armée l’était par celui qui était sorti premier de Saint Cyr.

Le résultat ne se fit pas attendre : un effondrement comme nous en avons peu connu dans notre histoire.

Je soutiens que cela est normal, et je vais m’en expliquer en commençant par une petite anecdote.

Il y a bien des années, alors que j’avais vingt sept ans, j’étais étudiant dans une business school aux Etats-Unis tout en étant professeur assistant dans le département d’économie, pour payer mes études.

Pendant un cours, l’un des professeurs les plus admirés nous posa cette question: « Pourquoi, selon vous, les sociétés qui vous interviewent en ce moment cherchent-elles à vous embaucher? » Question idiote s’il en fut, tant la réponse était évidente ! « Bien sûr, pensions-nous in petto, parce que nous sommes les meilleurs ! » La réponse du professeur (à sa propre question) a changé ma vie : « Ces sociétés cherchent à vous embaucher parce qu’à vingt sept ou trente ans, vous êtes encore en train d’étudier et que donc vous montrez que vous n’avez aucun caractère et qu’elles cherchent de la chair à canon. Auriez-vous le moindre caractère, vous auriez déjà créé votre propre entreprise il y a cinq ans au moins. » Cette phrase me frappa comme si j’avais été touché par la foudre, tant cette vérité me parut indiscutable.

Nous étions tous des bons garçons (pas de femmes à l’époque en business school, en tout cas dans la mienne), suivant de notre mieux un cursus universitaire solidement balisé et qui devait nous assurer à tous une vie à tout le moins confortable jusqu’à notre retraite. Dans le fond, nous détestions le risque et nous étions à la recherche d’une rente. Nous voulions en fait profiter du capitalisme sans en payer le prix, qui est la possibilité de connaître l’échec.

C’est en grande partie grâce à ce professeur que toute ma vie j’ai essayé de créer (ou d’aider à créer) des entreprises, avec plus ou moins de bonheur. Ces tentatives de création se sont soldées par beaucoup d’échecs, fort douloureux, et quelques succès encore plus inquiétants tant je savais à quel point ils étaient éphémères. Le destin de l’entrepreneur est de vivre dans l’angoisse ou dans les regrets.

Quel rapport avec la France ? me dira le lecteur.

Plus qu’il n’y paraît.

Notre système d’éducation a été créé par l’Etat, et non par le secteur privé comme aux USA, pour sélectionner les bons serviteurs de ce même Etat. Et l’Etat, comme les grandes sociétés US a besoin de chair à canon, de bons exécutants entraînés à obéir. Le but essentiel du processus de sélection est donc de trier les gens en fonction de leur total manque d’originalité et de leur capacité à apprendre et à répéter des enseignements dont personne en dehors d’eux ne peut comprendre l’intérêt. Voilà qui est absolument nécessaire quand on veut choisir des gens sans originalité qui devront suivre des règles établies en dehors d’eux, sans poser de questions.

Pour arriver à ce résultat, la France a donc toujours suivi deux principes de base dans la sélection de son élite administrative.

1. Premier principe : ceux qui sont le plus à même d’apprendre « par cœur » des choses inintéressantes seront sélectionnés, ce qui est logique. En conclure que ce sont les plus intelligents ne l’est pas. Voilà un non sequitur d’anthologie : un non sequitur se produit lorsque la première partie d’une phrase se termine par « donc » et qu’il n’y a pas de lien logique avec la deuxième partie de la même phrase. Un bon exemple serait: « Il a plu hier, donc il va faire beau aujourd’hui ». Le non sequitur de base en France est : « Je suis sorti premier de l’ENA, donc je suis plus intelligent que vous, qui n’avez pas fait d’études », ce qui est loin d’être certain. Pendant mon service militaire, je me faisais régulièrement plumer au poker par un garçon qui était « plombier-coiffeur » dans un petit village du pays basque, qui n’avait fait aucune étude, et je n’étais pas le seul, loin de là. Les rapports entre l’intelligence et les études sont loin d’être simples.

2. Ces « élites » aussi soigneusement sélectionnées seraient les plus à même de « prendre des décisions ». En terme simples, les personnes qui ont passé les meilleurs diplômes seraient les plus capables de prendre les meilleures décisions…euh… En fait, c’est exactement le contraire : leur mode de sélection a été choisi justement pour favoriser l’émergence d’élites administratives (et non pas entrepreneuriales) à l’esprit complètement routinier et donc complètement incapables de prendre la moindre décision, en particulier si la solution se trouve en dehors de la boîte à outils qu’on leur a demandé de mémoriser.

M. Giscard d’Estaing, le plus diplômé de nos présidents, a passé sa vie à acheter au plus haut et à vendre au plus bas (voir l’emprunt 7 %, dit Giscard), à stimuler quand il fallait freiner, à freiner quand il fallait stimuler, à tout réglementer (contrôle des changes, contrôle des prix, contrôle du crédit, politique industrielle etc.), et le libéralisme en France ne s’est jamais remis de sa posture de « libéral avancé », tandis que M.Bérégovoy, petit syndicaliste d’EDF, a pris beaucoup de bonnes décisions, ce qui l’a amené à se suicider de deux balles dans la tête (!), qui lui ont été tirées à bout portant selon la formule du Canard enchaîné au moment de l’affaire Stavisky.

Cette deuxième proposition est donc encore plus fausse que la précédente. Les gens soi-disant intelligents parce qu’ils ont passé les bons diplômes sont plus que tout autre enclins à ne pas changer d’avis lorsqu’ils prennent une décision désastreuse et à s’y tenir coûte que coûte, le raisonnement de base étant toujours le même : je ne peux pas avoir fait une erreur puisque j’étais le premier de la classe. En fait, le dirigeant de qualité se reconnaît à un critère et à un seul : non pas sa capacité à prendre une décision, mais son habileté à changer de cap quand il se rend compte qu’il s’est trompé.

Et donc, le problème en France est tout simple : ceux qui cherchent avant tout à se bâtir des rentes ont pris le contrôle de l’Etat français - cela date de 1974 - et ce contrôle n’a cessé de se renforcer depuis. Pour la première fois dans l’histoire de France, pas un membre du gouvernement actuel n’a exercé la moindre activité dans le secteur privé et donc n’a jamais pris le moindre risque. Les rentiers sont au pouvoir… On en voit le résultat tous les jours !

Et donc il n’y a plus d’Etat qui représenterait l’intérêt général, mais juste un instrument de contrainte pour dépouiller le secteur privé « légalement » au profit de petits intérêts sectoriels ou syndicaux représentés par nos nouveaux rentiers.

Le rôle du chef de l’Etat n’est plus que d’être le représentant de ces lobbys, son seul travail est en fait d’essayer d’équilibrer le poids des différentes factions qui l’ont amené au pouvoir pour répartir les prébendes au mieux de l’intérêt de ces supporters.

Quand le président dit à l’un des ces sbires : « Qui t’a fait duc? », la réponse revient, à chaque fois la même : « Qui t’a fait Roi ? » Dans le fond, rien ne change jamais. M. Hollande est certes chef de l’Etat. L’ennui, pour paraphraser De Gaulle, est que ce n’est pas un chef et qu’il n’y a plus d’Etat.

Et que 1940 n’est pas derrière nous, mais devant nous !

Charles Gave

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