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" Ce formidable bordel "

7-3-03 Claude Reichman
Et voilà qu’à son tour le monde médiatique français explose ! Alors que Canal Plus n’en finit pas de perdre de l’argent et que sa maison mère, Vivendi, ne sait plus comment s’en débarrasser, alors que Suez, à la recherche aussi de numéraire, a décidé  de vendre M6, alors que la cession des droits de diffusion du championnat de France de football fait l’objet d’une compétition féroce - et qui fera des victimes - entre TF1 et Canal Plus, c’est au tour du journal Le Monde de se voir gravement mis en cause par un livre que viennent de publier deux journalistes… de gauche. Que reprochent les auteurs à ce journal qui s’est toujours voulu un " quotidien de référence " ? Des pratiques douteuses, voire même parfois carrément malhonnêtes, dans son traitement de l’information et dans sa gestion. Bref de ne pas respecter les principes qu’il met en avant pour fulminer des condamnations envers la terre entière, à la manière d’une papauté civile. Il n’est pas indifférent que ce soit deux autres journaux de gauche, Le Canard Enchaîné et L’Express (même si ce dernier vient d’entrer dans le giron du groupe éditeur du Figaro, dont Serge Dassault s’apprête à prendre le contrôle) qui aient publié les premiers extraits du livre, lançant ainsi une bataille qui s’annonce impitoyable, au point que Jean-Marie Colombani, le directeur du Monde, aurait déclaré : " Il faudra choisir son camp. On sera pour ou contre. Je n’admettrai pas qu’on soit neutre. "

En vérité, ce qui explose en France, c’est le " politiquement correct ", dont les différents médias que nous avons cités sont des vecteurs essentiels. Et s’ils en sont venus à cette curée, c’est qu’ils n’ont plus, ni les uns ni les autres, la confiance de leurs lecteurs ou spectateurs. Pour tenter de compenser la baisse de leur audience, dans un contexte de crise économique et de recul des investissements publicitaires, ils se lancent dans une recherche du sensationnel à tout prix, au risque de se déchirer entre eux à belles dents. On ne peut que se réjouir de ces évènements. D’abord parce que ces médias n’ont " rien fait pour mériter le respect " (pour reprendre l’expression de Mitterrand à l’égard de feue la Commission nationale de la communication et des libertés, accusée de ne pas favoriser les socialistes). Et ensuite parce que le grand chambardement médiatique est le préalable indispensable au rétablissement de la liberté de l’information dans notre pays.

Vers la mêlée politique

De nouveaux comportements de presse ne pourront naître que sur les décombres des journaux, radios et télévisions actuels. A eux tous, ils ont établi sur notre pays une chape de plomb que celui-ci n’avait pas eu à subir depuis l’occupation. Les pratiques reprochées au Monde, s’agissant du traitement de l’information, sont en fait celles de toute la presse française, avec bien entendu des nuances et à des degrés divers. Les Français doivent savoir - et d’ailleurs beaucoup le savent, tandis que tous s’en doutent - qu’il est absolument impossible d’obtenir des grands médias nationaux et régionaux la sortie du moindre dossier vraiment dérangeant pour le pouvoir, quel que soit celui-ci. Ce qui démontre tout d’abord qu’il y a, sous l’appellation de gauche et de droite, un seul pouvoir politique en France, et que celui-ci tient en sa main tous les grands moyens d’information.

C’est la raison pour laquelle la grande mêlée médiatique qui vient de s’engager va inévitablement devenir une mêlée politique. Surtout si l’on y ajoute les fractures que va provoquer dans l’opinion française et européenne l’intervention conjointe des Américains et des Anglais en Irak. Ce grand chambardement - pour ne pas dire " ce formidable bordel ", comme Eugène Ionesco avait intitulé une de ses pièces - va être en fait la conséquence du refus permanent des réalités dont la France, et à un moindre degré certains pays européens, donnent depuis beaucoup trop longtemps le pitoyable exemple. En une décennie, l’univers a complètement changé. Débarrassé du communisme par l’action déterminée des Etats-Unis, bien relayés par les Britanniques et par cet exceptionnel pape venu de l’Est, le monde affronte aujourd’hui l’islamisme. La menace n’est plus militaire mais terroriste. Les Américains ont décidé d’éradiquer, partout dans le monde, les foyers où cette nouvelle peste se nourrit et se développe. Pour autant, ils n’ont pas décidé de faire la guerre aux musulmans. Ces derniers ont tout à gagner à la mise au pas des " états voyous " qui entretiennent le terrorisme et menacent donc la paix du monde. Le cas de l’Irak ne peut être examiné en dehors de cette approche globale. Les diplomaties hostiles à la guerre ont raison de faire observer que ce pays ne constitue pas une réelle menace pour notre sécurité. Mais ils ont tort de vouloir ignorer que la destruction des régimes dictatoriaux est le préalable indispensable à la stérilisation de la poudrière qu’est devenu le Moyen-Orient. Les Américains vont, une fois de plus, faire le sale boulot. Et ce ne sont pas les dérisoires moulinets de Chirac qui les en empêcheront, pas plus qu’ils n’accroîtront la considération et le respect de nos alliés d’outre-Atlantique pour notre pays. Un ami, c’est quelqu’un qui a le droit de vous critiquer, mais qui ne doit pas se comporter objectivement en ennemi. Dans ce domaine comme en bien d’autres, Chirac a franchi la ligne jaune. La sanction ne tardera plus. Et elle sera administrée par les faits eux-mêmes. Qui comme chacun sait sont têtus.

Claude Reichman

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