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14/12/12 Stephen Fidler
        L’Europe est loin d’avoir gagné la guerre !

L’accord créant un seul policier chargé de superviser les banques dans l’union monétaire a couronné une année difficile pour les gouvernements de la zone euro. Néanmoins, ils ont réussi à garder leur zone monétaire intacte face à des prédictions disant qu'ils perdraient au moins un de leurs membres.

«Ces Cassandre avaient tort", a déclaré Olli Rehn, le commissaire chargé des questions économiques au sein de l'Union européenne, en réponse à ceux qui prévoyaient une sortie grecque de l'union, (et peut-être en oubliant que Cassandre, prophétesse de l'ancienne Troie, avait toujours raison).

Pourtant, la bataille pour sauver l'euro n'est pas encore gagnée, et l’espoir que 2013 sera une année plus facile est susceptible d’apporter des désillusions pour les gestionnaires de la zone euro. C’est ce que semble admettre Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances : «Dire que tout est fini maintenant serait une erreur, en dépit de Noël », a-t-il dit aux journalistes à Bruxelles.

Les risques pour l'année prochaine sont multiples.

Le premier est d'ordre politique. Les marchés financiers sont méfiants à l’égard des prochaines élections législatives en Italie, comme le démontre la hausse des rendements des emprunts publics italiens, cette semaine, en réaction à la réapparition de l’ancien Premier ministre Silvio Berlusconi sur la scène politique. Même si une certaine continuité dans la politique économique de ce pays semble probable, une résurgence du populisme pourrait s'avérer très déstabilisante.

Le risque suivant est allemand. Ce n'est pas que les élections allemandes de l'automne vont bouleverser l'ordre établi : la chancelière Angela Merkel est la grande favorite pour rester à son poste. Mais l'Allemagne dicte le rythme de l'action de la zone euro et l'appétit de Berlin pour faire davantage va faiblir à l'approche de ces élections.

Un autre risque est technique. Les investisseurs et les analystes conviennent que le calme relatif qui s'est installé sur les marchés obligataires de la zone euro est principalement dû à l'engagement de la Banque centrale européenne d’intervenir pour soutenir les prix de ces obligations en contrepartie des réformes structurelles entreprises par les Etats en difficulté. Les besoins énormes dont a besoin le gouvernement espagnol pour l'année prochaine suggèrent à de nombreux analystes qu'il ne peut pas continuer sans une certaine forme d'aide officielle. En fait, la détente sur les marchés obligataires reflète l’anticipation que Madrid va demander une aide.

La capacité de la B.C.E. d’intervenir sur les marchés n'a pas encore été testée. Bien que l’intervention soit potentiellement illimitée, le gouvernement bénéficiaire doit satisfaire à des conditions économiques. Ce qui soulève la question de ce qui peut se passer s’il renâcle à le faire. L'OMT (1) dépend aussi de la capacité de ce gouvernement d'avoir accès aux marchés obligataires. Que va-t-il se passer si l'accès est perdu ?

Le risque suivant est hellénique. La Grèce est dans une spirale infernale. Ce qui encourage un Cassandre comme Willem Buiter, le chef économiste de Citigroup, de prédire que ce pays sera obligé de quitter la zone euro en 2013.

Certains experts disent même que le minuscule Etat de Chypre pourrait créer des difficultés. Ce pays a besoin d'un plan de sauvetage de 18 milliards d’euros. Cela représente une demande proche de 100 % des dépenses annuelles du pays. On estime que 10 milliards d’euros seront nécessaires pour restaurer la solvabilité de ses banques.

Une des leçons que le Fonds monétaire international a retenues de la Grèce, c’est qu’un programme de sauvetage ne permet que de reporter les coûts pour les prêteurs. En partie à cause de cela, la probabilité que Chypre obtienne le crédit total demandé sans que les créanciers soient lésés est égale à zéro.

Il semble de plus en plus probable que, pour la première fois dans un plan de sauvetage bancaire de la zone euro, les prêteurs au sommet de la hiérarchie vont prendre un coup.

Certains experts pensent que Chypre est un bon indicateur. Il est petit et comme la BCE fournit également des financements à long terme pour les banques, la réaction du marché sera mise en sourdine. Mais la question reste ouverte.

Le dernier risque pour la zone euro est peut être le plus important. Les prévisions de croissance officielles de la Commission européenne sont considérées comme très optimistes. Cela signifie que toutes les prévisions qui touchent les déficits budgétaires de ces pays sont également trop optimistes. La Commission prévoit une croissance dérisoire de 0,1% en 2013 dans la zone euro, mais les prévisions les plus réalistes d’instituts privés suggèrent que la croissance au cœur de l’Europe va se contracter comme en France.

Il y a fort à parier qu’avec un grand nombre d’objectifs budgétaires ratés, les journalistes économiques seront fort occupés l'an prochain, sans parler des conséquences imprévisibles que la récession entraînera sur les gouvernements nationaux et sur les politiques multilatérales complexes en Europe. (2)

Stephen Fidler

Notes du traducteur

(1) Le sigle OMT se superpose à celui de l’Organisation mondiale du travail. Il s’agit de l’« outright monetary transactions », créé le 6 septembre dernier. Après l'EFSF (European financial stability facility), les eurocrates ont inventé ce machin pour colmater les brèches du Titanic.

(2) Cela nous ramène à un article du lucide Austan Goolsbee, que j’avais traduit le 29 novembre 2011 : « La route de l’Euro ne mène nulle part. » On ne peut en dire autant des membres du jury du prix Nobel de la paix qui l’ont décerné à l’Union Européenne pour « six décennies qui ont contribué à la promotion de la paix, de la réconciliation, de la démocratie et des droits de l’homme en Europe. » Jamais dans l’histoire le décalage entre les peuples européens et leurs élites n’a été aussi grand et démenti par les faits. Il ne faut pas s’étonner des scores impressionnants que réalisent les partis extrémistes qui surfent sur la vague du mécontentement. L’Europe est toujours malade du socialisme comme en 1933, mais elle ne le sait pas encore.

 

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