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28/7/06 Jean-Paul Escande

Dopage : Nous avons l’ordre de nous taire !

Parce que l'on autorise à nos policiers intrépides et autres valeureux douaniers, ce que l’on interdit aux médecins rendus impuissants (à savoir faire leur métier), les dits policiers et douaniers obtiennent des aveux complets de dopage et apprennent tout, tout, tout sur l’expérimentation humaine. Dans le même temps, biologistes et disciples d'Hippocrate se voient contraints d'admettre, eux, que, ayant eu droit seulement à l'examen des urines mais pas à celui du client en chair et en os, ils n’ont rien vu du tout ! Les voilà, aurait dit La Fontaine, « honteux comme un renard qu'une poule aurait pris »!

En fait, eux aussi voient, en douce, et finissent par savoir pas si mal. Ils savent que les "centres méthadone" regorgent d'anciens sportifs devenus toxicomanes, ils s'émeuvent en apprenant la mort au moins prématurée de trop nombreuses anciennes gloires du sport qui avaient raccroché il n’y a pas si longtemps. Ils voient les dopés étaler leur dopage et tremblent pour leur santé future, et plaignent à l'avance leurs familles. Mais ils ne sont pas autorisés à le faire savoir ! Ce ne serait pas légal !

Alors - comédie des comédies récemment vécue - on met Madame en prison pendant que Monsieur fait du vélo. Juste un peu plus loin. De l'autre côté de la frontière. Avec des urines médicalement impeccables. En jurant ses grands dieux que quand l'incarcérée fait ses provisions de comprimés et d'ampoules, c'est pour belle maman ! Que fait-on alors crier au bon peuple ? « Justice est faite ! »

« Énorme! C'est simplement énorme! J'ai peine à vous croire. Comment tout de même les dopeurs s'y prennent-ils pour échapper si facilement aux questions embarrassantes qu'on devrait leur poser ?
- Comment ? Très simple ! En changeant de sujet et en se vautrant dans
l'hypocrisie !
- Comme un cochon se vautre dans la ... ?
- Pareil ! »

L’hypocrisie ! Saleté d'hypocrisie ! Elle a toujours au feu, toutes prêtes, ses manigances décalées. Toutes prêtes à faire disparaître commodément les interrogations embarrassantes qui ouvriraient le chemin à la vérité. Une vérité, fragile quand même, qu'elle, l'hypocrisie, redoute évidemment. Autant qu'un vampire redoute le lever du jour!

En l'occurrence, les hypocrites, quand on leur sert les embarrassantes réalités de l'imposture antidopage, ou quand on veut les faire se prononcer sur l'ordre infamant donné aux médecins de vouloir bien garder pour eux leurs diagnostics, ces hypocrites donc, la mine grave et l’air sérieux, font imperturbablement valoir, comme s'ils avaient pour nous, braves docteurs, énormément de peine, et, pour le public, une ardente obligation pédagogique : « Les dopeurs ont toujours une longueur d’avance sur les antidopeurs.... »

Et voilà ! Ah ! les fourbes, les fumelards, les sales mecs ! Et on les écoute !
Une loi sur la diffamation efficace devrait les faire condamner incontinent ces tartuffes, les empêcher de proférer pareilles obscénités. Menteurs, lâches, dégonflés ! Venez-y, un peu!

Et vous, gens des médias à qui on fait avaler trop vite ces couleuvres, dites-moi, quand même : pourquoi si aimablement acceptez-vous qu'on se moque de vous ?

« In Pipi Veritas »

Ne nous prenez pas pour des nouilles, nous médecins qui nous y
connaissons un tantinet. Dès que nous avons sous les yeux et entre les
mains un client bien chargé, très souvent figurez-vous, nous sommes
capables de repérer son dopage à cinquante pas, nous flairons les dealers environnants, nous subodorons les soigneurs crapuleux, nous savons assez bien à quelles expérimentations humaines on s'est livré sur lui... et nous n’avons vraiment pas la moindre longueur de retard.

Mais nous avons à conserver la bouche cousue. Au moment où le mot de « prévention » est revêtu d'un caractère presque sacré, nous, au nom de la loi, nous avons ordre de taire ce que nous voyons et que nous pressentons comme promesse de suites épouvantables. Nous, nous n’avons droit qu'à la contemplation pipiesque. Sinon: diffamation ! Et ça les fait rire, une telle situation, ces locdus de dopeurs ! Parce que, en plus, ils se foutent de nous en criant qu'on n'y voit rien, qu'on est des gros nuls! Ne riez pas avec eux !

Quitte à énerver par des répétitions lassantes, il faut ici taper à nouveau sur le clou.

Au nom de la loi, seul est dopé celui qui, dans ses urines, héberge un produit interdit figurant sur une liste officielle publiée par le journal du même nom. Pour connaître si un sportif est ou non dopé, les médecins n’ont pas le droit de l'examiner. Le pipi, rien que le pipi.

Non mais, chers lecteurs, étonnez vous après cela que les médecins antidopeurs renaudent méchant lorsqu'on leur serine qu'ils rament ridiculement avec quelques longueurs de retard sur les dopeurs ! Étonnez-vous de les voir devenir rouges, puis verts, puis blancs ! Puis de les voir, au grand soulagement des dopeurs, poser le fardeau et prendre la porte ?

Croyez-vous qu'il leur soit agréable de passer pour de superploucs ? On leur demande de gagner au foot mais il leur est interdit de toucher au ballon !

Comment voudriez-vous que votre très cher psy comprenne vos chaudes larmes si vous ne lui donnez à étudier qu'un mouchoir baigné de vos pleurs, tout en restant farouchement muet !

Malgré tout, l'hypocrisie a triomphé. Et l'on continue de proclamer, les yeux humblement tournés vers l'effigie d'Hippocrate : « In Pipi Veritas. » Et l'on se congratule chez les officiels : « Les contrôles renforcés montrent que le dopage recule, et, avec lui, le risque de voir menacée la santé de nos champions ; et celle aussi des moins champions ; et de nos chers enfants enfin qui copient les grands en tout. »

Personne n’est dopé : CQFD

Les finauds ont gagné, les salauds, n’en déplaise à San Antonio, ne vont pas tous en enfer. Et le reste a suivi. Of course au pas de course. La grande triche se déploie et les dopeurs ainsi protégés exhibent en paradant leurs malheureux cobayes humains, urinairement toujours plus transparents que le cristal le plus pur ! On joue à Elephant Man ou Freaks dans la plus totale impunité, mais en inversant la donne. On sort bien les phénomènes de foire, mais pour ceux-là, on insiste au contraire sur le fait qu'ils sont normaux puisqu'on vous dit que les urines sont claires ! Elle peut être fière d'elle, la société du progrès ! Elle couve le malheur. Elle couvre la supercherie.

Que pensez-vous, en effet, qu'il soit advenu ? Ceci, dont on espère que la révélation ne surprendra pas trop : les produits dopants interdits utilisés sont ceux qui ne s'éliminent pas par les urines. Ou ceux qu'on ne sait pas retrouver dans les urines. Ou ceux qui disparaissent très vite des urines mais continuent d'agir longtemps après avoir frappé. Un peu comme le poing que vous prenez dans la figure pour un court instant seulement, mais qui continue de longs jours à vous faire bénéficier de ses aimables suites au beurre noir. Vous auriez du mal à apporter au commissariat le poing qui vous a cogné comme preuve décisive de l'agression que vous venez de subir ! Lorsque l'on demande aux antidopeurs de retrouver chez un nouveau baraqué, qui vient de prendre dix kilos de muscle en un temps record, les produits de la gonflette, c'est du pareil au même : il y a belle lurette qu'ils ont disparu après avoir frappé ! Aussi le pipi est-il nickel, donc propre! Donc personne n’est dopé(e) : CQFD.

Ce n’est pas tout ce qu'utilisent les malins pour que les urines présentées aux contrôles soient irréprochables. Pour plus de sûreté on passe parfois à beaucoup plus fort encore. Si l'on peut dire !

La plus sage des précautions consiste, par exemple dans la perspective d'un contrôle possible, à conserver par devers soi un flacon d'urines impeccables émises auparavant par un sujet au dessus de tout soupçon : on n’est jamais assez précautionneux dans les affaires importantes!

Autre pratique : disposer soi-même d'appareils d'analyse pour, avant l'épreuve, s'assurer que tout est OK. Etc., etc. Vous avez compris ? Ou faut-il encore un dessin?

Ainsi, et pour toutes ces raisons éclairantes, un jeune et talentueux champion du monde de VTT pouvait-il, un jour heureux de colloque antidopage à Corte (un jour heureux du printemps 2001 où la langue de bois avait brûlé), faire défiler la liste impressionnante des produits surpuissants dont il s'était gavé des années durant, pour conclure en rigolant qu'il avait été contrôlé 50 fois « négatif ». Et voilà pourquoi votre fille est muette ! Vous pouvez visionner la bande si ça vous chante ! Les organisateurs la gardent bien au chaud!

Moi, relativement mis au parfum sur ce sujet et relativement sain de corps et d'esprit, professeur de médecine et étant en charge de la lutte antidopage pendant des années et sous six ministres, comment aurais-je pu cautionner pareille comédie ? Était-ce bien mon rôle que de fermer le bec aux médecins honnêtes et malheureux qui se désolaient à mes cotés de l'incapacité d'agir dans laquelle on nous maintenait ?

Pr Jean-Paul Escande

Extrait de Des cobayes, des médailles, des ministres (Max Milo Editions)

 

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