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9/12/10 Thierry Desjardins
         Le « mal français » ? Nous allons finir par
                                    en crever !

Certains jours, la lecture de la presse est totalement décourageante. Non seulement elle nous apprend, comme d’habitude, de bien mauvaises nouvelles (augmentation du chômage, des prélèvements obligatoires, des déficits, des délocalisations, etc.) mais, pire et ce qui semble encore plus insupportable, elle nous répète, pour une énième fois, et nouvelles statistiques à l’appui, ce que nous savons depuis des années, que l’école française est pitoyable, que l’économie française n’est pas compétitive, qu’il y a des millions de Français qui sont mal logés, des centaines de milliers de Français qui vivent dans des quartiers de non-droit, que l’immigration clandestine ne fait qu’augmenter, etc.
Or, il s’agit là de la vie quotidienne des Français –la vraie vie- et de l’avenir du pays. C’est infiniment plus important que de savoir qui va l’emporter de Fillon ou de Copé, de Strauss-Kahn, Ségolène Royal ou Martine Aubry.

Cela fait des décennies que tous les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, nous jurent qu’ils vont s’attaquer à ces problèmes essentiels, qu’ils ont leurs « solutions » et qu’ils vont les résoudre. Mais rien ne change, ni à l’école, ni dans la vie des entreprises, ni pour la politique du logement ou celle de la sécurité ou celle de l’immigration. Rien ne change, ce qui veut dire que tout s’aggrave et que le pays s’enfonce, chaque année, chaque jour, davantage dans un déclin qui semble inexorable.

Sarkozy nous avait promis « la rupture » ce qui nous avait, un peu naïvement, fait rêver. Est-ce faire de l’anti-sarkozisme primaire, comme certains me le reprochent, que d’avouer… une certaine déception ?

Le Figaro, qu’on peut difficilement considérer comme violemment anti-sarkoziste, nous « apprend », en vrac, que notre système éducatif est médiocre, selon l’OCDE, que l’apprentissage est sous-estimé, selon Nadine Morano, que l’immigration clandestine pose un problème, selon Brice Hortefeux, que l’UMP est trop « caporaliste », selon Jean-Pierre Raffarin, et qu’il y a une trop grande concentration de la grande distribution, selon l’Autorité de la Concurrence.

Il y a trente ans, nous lisions exactement les mêmes cris d’alarme, poussés par d’autres, dans ce même quotidien. Il suffit de remplacer UMP par RPR. Mais pour le reste, c’est pareil ! Pire même.

L’OCDE vient de publier son fameux classement des systèmes éducatifs, le PISA, Programme International du Suivi des Acquis, qu’on peut lire dans Le Figaro. L’OCDE a, comme tous les trois ans, étudié les acquis en lecture, mathématiques et sciences de 470.000 élèves de 15 ans, dans 65 pays.

Le classement est sans appel. On trouve en tête Shanghai, la Corée du Sud, la Finlande, Hong-Kong, Singapour, le Canada, la Nouvelle Zélande, le Japon, l’Australie… Nous, nous arrivons en… 23ème position. Un scandale et, bien sûr, une catastrophe puisque tout - l’économie du pays, la vie quotidienne, l’avenir - dépend de l’éducation des jeunes.

Or, nous sommes l’un des pays qui consacrent le plus d’argent à l’éducation, qui ont le plus de fonctionnaires chargés de l’enseignement (plus d’un million de salariés du ministère de l’Education nationale) et depuis un demi-siècle les (innombrables) ministres qui se sont succédé rue de Grenelle ont, pratiquement, tous lancé une « grande réforme » de l’Education pour redresser la situation et sauver l’Ecole : réforme Berthoin, réforme Fouchet, loi Edgar Faure, réforme Haby, loi Savary, réforme de la décentralisation, loi d’orientation Chevènement, loi Monory, loi Jospin, contrat pour l’école de Bayrou, réforme Allègre, etc.. Tant d’argent, tant de personnel, tant de réformes… pour rien.

Il y a quinze ans, j’écrivais un petit bouquin intitulé « Le scandale de l’Education Nationale » avec comme sous-titre « Pourquoi et comment l’école est devenue une usine à chômeurs et à illettrés ». J’y dénonçais les idéologues délirants de la rue de Grenelle, les fameux « pédagogistes » (à ne pas confondre avec les pédagogues) qui voulaient que l’enseignement ne soit plus « la transmission des connaissances » mais « l’éveil des compétences », la dictature des syndicats qui s’amusent, comme à la foire, au jeu de massacre sur les têtes des ministres, le gigantisme du « Mammouth » (le ministère ignorait où se trouvaient plusieurs dizaines de milliers de ses salariés), le mépris pour l’enseignement technique et professionnel, et plus encore l’abandon des « fondamentaux » (plus de 20% des enfants entrant au collège ne sachant ni lire ni écrire).

Des années plus tard et quelques ministres étant passés par là, on peut refaire exactement le même procès, avec les mêmes accusés, les mêmes victimes. En pire d’ailleurs car l’étude de l’OCDE nous apprend que le fossé s’est encore creusé dans l’école française entre les enfants des classes « favorisées » et les autres. On savait depuis longtemps que l’avenir des élèves du lycée Henri IV était plus prometteur que celui des élèves de nos collèges de banlieue.

Or, l’enseignement est évidemment l’un des problèmes les plus importants pour un pays mais aussi, sans doute, l’un des plus « faciles » à régler puisqu’on ne peut évoquer ici ni une malédiction divine, ni la concurrence de l’Europe, de la mondialisation, des pays émergents, ni le vieillissement de la population, ni les crises économiques ou financières venues d’ailleurs. C’est un problème franco-français que nous avons à régler entre nous.

Il suffirait d’avoir une vue claire de l’avenir à quinze ou vingt ans, d’imaginer la place que la France pourrait y occuper, ce que sera alors notre économie et de former les jeunes pour qu’ils puissent y trouver leurs places. Sans tenir compte de Freud, de Dolto ou de Bourdieu et en préparant nos gosses à affronter la vie, c’est-à-dire à la compétition et à la mobilité. Et sans nier qu’il y a des différences entre un enfant de bourgeois et un fils d’immigré ni vouloir faire de tous les jeunes des Bac + 7.

Mais aucun gouvernement n’a eu, jusqu’à présent, le courage élémentaire de se demander ce que sera la France dans vingt ans et quels métiers embaucheront les jeunes débarquant sur le marché du travail. On continue à former des sociologues et on se plaint d’avoir besoin de plombiers polonais.

A ce propos, Nadine Morano qui a été reléguée au secrétariat d’Etat à l’Apprentissage et à la Formation professionnelle a, pour une fois, tout à fait raison quand elle déclare, dans ce même Figaro, qu’il faudrait « revaloriser l’image de l’enseignement professionnel ». C’est une évidence. Mais la première « Loi sur l’apprentissage, l’enseignement technologique et la formation professionnelle continue » date de… 1971. Nadine Morano avait alors 8 ans, je viens de vérifier. Cela va donc faire quarante ans qu’on nous dit qu’il faudrait revaloriser les formations qui ouvrent à l’emploi…

Quelques pages plus loin, c’est cette fois Brice Hortefeux qui déclare, péremptoirement, au même Figaro : « L’immigration illégale doit baisser et elle baissera ». Là encore, on a la très désagréable impression d’avoir déjà entendu çà des centaines de fois dans la bouche de tous les prédécesseurs d’Hortefeux, depuis Marcellin jusqu’à Sarkozy lui-même, en passant par Bonnet, Defferre, Pasqua, Quilès et autres Vaillant.

Il est sûrement plus difficile de fermer nos frontières à l’immigration clandestine que d’apprendre à lire et à écrire à nos enfants. Mais comment se fait-il tout de même que nos ministres soient à ce point incapables de s’attaquer aux vrais grands problèmes qui plombent la France depuis tant d’années ? Le… « Mal français » ? Nous allons finir par en crever.

Nous rabâchons nos malheurs. Il vaudrait mieux les traiter.

Thierry Desjardins



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