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9/9/10 Thierry Desjardins
         Sarkozy : L’Etat, c’est moi !

Eric Woerth commence sans doute à être fatigué. Sans s’apitoyer sur son sort, on le comprend. Cela fait quelques mois qu’il vit des jours un peu pénibles pour lui. Mais, hier, à la tribune de l’Assemblée, il a craqué. Ou du moins il a fait une gaffe impardonnable.

Annonçant aux députés les « amendements » que le gouvernement a décidé d’apporter au projet de réforme des retraites pour « répondre » aux grandes manifestations de protestation de mardi, le ministre du Travail a déclaré : « Le président de la République a décidé… ».

Ces quelques mots n’ont l’air de rien mais ils sont stupéfiants.

Notre Constitution est formelle. C’est le Parlement qui fait les lois. Ca s’appelle, d’ailleurs, le « pouvoir législatif ». Les députés présentent des « propositions de loi ». Le gouvernement, « pouvoir exécutif », peut, lui, présenter au Parlement des « projets de loi ». Mais le président de la République n’a rien à voir avec les débats parlementaires.

L’article 5 de la Constitution déclare : « Le président veille au respect de la Constitution et assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics » et l’article 20 précise bien que c’est : « Le gouvernement (qui) détermine et conduit la politique de la Nation ». Nulle part, il n’est laissé entendre que le chef de l’Etat peut « décider » des lois

On dira que c’est jouer sur les mots. Tout le monde sait que c’est le président qui nomme le premier ministre ainsi que les membres du gouvernement et que les projets de loi sont discutés (plus ou moins) au cours des Conseils des ministres qu’il préside.

Il est évident que, depuis les débuts de la Vème République, et sauf en période de cohabitation, tous les grands textes législatifs ont eu l’accord du chef de l’Etat quand ils n’avaient pas été écrits carrément à l’Elysée. Mais jamais jusqu’à présent un ministre n’avait osé déclarer à la représentation nationale que c’était le président de la République qui avait « décidé ».

Les mots, voire même les apparences ont de l’importance. La maladresse de Woerth officialise une situation de fait. L’hyper-président nous a fait basculer dans un régime hyper-présidentiel. C’est désormais le président qui « décide » des lois, des amendements et les ministres au garde-à-vous n’ont plus qu’à transmettre au Parlement ses « décisions » que les élus du peuple, le petit doigt sur la couture du pantalon, sont priés d’enregistrer.

On comprend que certains députés (y compris de la majorité) aient un peu « toussé » en entendant Woerth.

Certes, on savait –et il voulait qu’on le sache- que Sarkozy entendait faire de la réforme des retraites « sa » réforme, la grande réforme de son quinquennat et celle avec laquelle il allait mener sa campagne pour 2012 pour démontrer qu’il avait eu, lui, le courage de s’attaquer à un problème essentiel devant lequel tous ses prédécesseurs avaient capitulé (plus personne ne se souvient des réformes Balladur et Raffarin-Fillon).

Et on avait vu, avec le virage au tout-sécuritaire, qu’il n’hésitait pas à annoncer, lui-même, en détail, des textes législatifs et même à désavouer certains de ses ministres qui, voulant faire du zèle, en avaient rajouté. Hortefeux avait dû remettre dans sa poche son idée de déchoir de la nationalité française les polygames, et Estrosi avait dû en faire autant avec son idée de poursuivre les maires soupçonnés de laxisme dans leur politique sécuritaire. On obéit à la lettre à la voix de son maître, paroles d’Evangile, et il est interdit même d’y rajouter son grain de sel.

Sarkozy entend être le maître absolu, le seul à décider, l’unique. L’Etat c’est lui. Ses ministres, rabaissés au rang de courtisans et menacés en permanence de disgrâce, ne sont même plus des « collaborateurs » mais de simples figurants.
La monarchie a ses charmes pour le souverain mais elle a aussi ses risques dans un pays qui a déjà guillotiné un roi.

Sarkozy repart à la conquête de son électorat avec, dans sa musette, quelques têtes de Roms et une attitude inflexible sur les retraites. Mais dans un an et demi, quand il lui faudra battre de nouveau les tréteaux de la campagne, les Français s’apercevront, sans doute, que ses rodomontades sécuritaires n’ont guère fait baisser l’insécurité et que le recul de l’âge légal de la retraite à 62 ans ne fera baisser ni le chômage des plus de 55 ans ni celui des jeunes, sans pour autant, et malgré une augmentation des prélèvements, assurer l’équilibre de notre système de retraites. Le roi risque fort de se retrouver un peu nu.
Il nous avait promis une « République irréprochable ». Il a instauré une monarchie quasi absolue où il décide de tout selon son « bon plaisir ». Mais il a oublié que les monarques n’ont pas à affronter les dangers d’une réélection.

Thierry Desjardins


 

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