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14/5/10 Thierry Desjardins
         Sarkozy n’est pas Churchill !

Les sarkozystes reprennent du poil de la bête. Ils sont convaincus que leur grand homme a décidé de se représenter en 2012, que sa cote de popularité va remonter en flèche car les Français vont lui savoir gré d’avoir sauvé et l’euro et l’Europe, que les mesures « de responsabilité » qu’il vient de lancer vont lui permettre d’afficher, dans deux ans, un bilan très flatteur et que l’opposition –le PS- replonge dans ses querelles et ses contradictions.

Quelquefois, il n’en faut pas beaucoup pour qu’une situation se retourne ou du moins qu’on en ait l’impression.

En fait, personne, à commencer par Sarkozy lui même, ne sait aujourd’hui s’il sera, ou non, candidat en 2012. Deux ans, c’est long, surtout dans une période de folle instabilité comme celle dans laquelle nous venons d’entrer.

Les plus pessimistes affirment que, dans deux ans, l’Europe aura explosé et sera totalement ruinée avec, pour les Européens et y compris les Français, une économie dévastée, une récession effroyable, des revenus en chute libre, un chômage épouvantable. Ils nous prévoient l’Apocalypse. Les plus optimistes imaginent une Europe titubante, tentant bien difficilement de respecter les engagements de rigueur qu’elle a pris et qui lui ont fait perdre tout espoir de croissance. Une Europe s’accrochant toujours à un euro ayant perdu même sa petite valeur de symbole et où chacun aura, au milieu de la panique générale, pratiqué tant bien que mal le sauve-qui-peut et le chacun-pour-soi. Bref, pour les uns, le vieux continent sera mort et pratiquement enterré, pour les autres, il sera encore loin d’avoir entamé sa convalescence.

Une chose est sûre en tous les cas, l’Europe sera divisée en deux comme elle ne l’a jamais été, avec une Europe du Nord en bien meilleur état que l’Europe du Sud, celle que ceux du Nord appellent avec mépris, depuis longtemps déjà, « l’Europe Club Med » sous prétexte qu’il y fait peut-être bon vivre mais qu’il est impossible d’y travailler sérieusement. « L’Europe Club Med » c’est le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la Grèce et… la France.

Sarkozy attendra, évidemment, de voir dans quel état se trouvera la France avant de prendre sa décision. Mais recevant, il y a deux jours, une poignée de parlementaires UMP, il a vaguement évoqué ce que pourrait bien être son programme « au cas où » il se représenterait. Bien sûr, il n’évoquerait plus « la rupture », ni le « travailler plus pour gagner plus » mais le rassemblement indispensable, la sortie de crise, la lutte contre le chômage et quelques réformes encore à faire comme celles auxquelles il aura dû renoncer pendant son premier mandat (il vient d’abandonner discrètement la réforme de la justice).

Ce petit jeu des hypothèses n’engage à rien mais a mis du baume au cœur de ceux qui y ont assisté. Il fallait d’ailleurs, sous peine de perte de toute crédibilité, que Sarkozy mette un terme à la rumeur de plus en plus persistante qui affirmait qu’il avait déjà jeté l’éponge.

Les amis du président semblent bien optimistes en affirmant que les Français vont lui être éternellement reconnaissants d’avoir sauvé et l’euro et l’Europe. D’abord, parce que les Français ne sont pas tous convaincus que Sarkozy ait vraiment été le seul à la manœuvre. Même si nos chaînes de télévision et notre presse, aussi complaisantes les unes que l’autre, nous ont toujours présenté Sarkozy seul au premier rang de toutes les réunions de ces derniers temps, les Français savent parfaitement que Angela Merkel, Jean-Claude Trichet, Dominique Strauss-Kahn et quelques autres ont joué, eux aussi, un rôle important dans l’affaire. Les Français en ont d’ailleurs assez de cette propagande tant officielle qu’officieuse qui voudrait nous faire croire, depuis la crise de 2008, que Sarkozy est le maître du monde.

Ensuite, si les Français ont poussé un soupir de soulagement en apprenant qu’un plan de 750 milliards d’euros allait permettre d’éviter une faillite immédiate de l’Europe, ils se demandent tout de même où l’on va bien pouvoir trouver ces 750 milliards, qui va les prêter et combien çà va coûter au total.

Ils se demandent aussi si ces jeux d’écriture, ces promesses plus ou moins virtuelles, ces effets de manche et d’annonce vont être suffisants pour calmer les maux qui menacent de nous terrasser. 48 heures après l’annonce de ce plan de 750 milliards, les bourses ont recommencé à baisser et l’euro à dégringoler. Les Français, comme les autres Européens, savent parfaitement que cette crise qui nous frappe de plein fouet n’est pas seulement une crise financière mais qu’elle est, d’abord et avant tout, une crise économique. Si nous sommes endettés au-delà du supportable et si nos déficits augmentent d’année en année ce n’est pas seulement parce que nos dirigeants n’ont pas su gérer nos finances, c’est surtout parce que notre économie n’a pas su faire face à la mondialisation et que nous ne produisons plus de richesse tout en ayant gardé le train de vie auquel nous nous étions habitués quand nous dominions la planète.

Et puis, les Français ont compris que cette tentative de sauvetage in extremis allait obliger cette fois nos gouvernants à prendre les mesures d’austérité qui s’imposaient et qu’on retardait depuis si longtemps. Or, chacun sait qu’on ne peut s’attaquer aux déficits et à la dette qu’en période faste de croissance. Le moins qu’on puisse dire c’est que la crise actuelle n’est pas le moment le plus favorable pour devenir « raisonnable ».

Réduire les dépenses de l’Etat, le nombre des fonctionnaires, les salaires, les subventions, les allocations, les aides en toutes sortes est sûrement une bonne idée pour limiter les déficits mais cela signifie aussi qu’on réduit du même coup la consommation des ménages et les investissements des entreprises. Et donc la croissance. Et qu’on augmente le chômage, la précarité, la misère.

Si les sarkozystes sont persuadés que les Français finiront par admettre,intellectuellement,que le plan d’austérité qu’on va leur imposer est une nécessité, ils ne semblent pas comprendre que, dans les faits, ce plan sera, s’il est mis en œuvre, insupportable pour les Français. Sarkozy est désormais obligé de faire « le sale boulot ». La pire des choses en période préélectorale.

Mais, pour mieux se rassurer, les amis du président observent aussi l’opposition. Elle est bien silencieuse depuis le début de cette nouvelle crise. Martine Aubry, Ségolène Royal, Laurent Fabius, François Hollande ne disent rien comme s’ils étaient à court d’arguments ou que cette crise ne les concernait pas. S’en prendre au bouclier fiscal et répéter inlassablement que ce sont les plus défavorisés qui feront, une fois de plus, les frais des errements du gouvernement n’est pas suffisant. Même silence tétanisé à la gauche de la gauche.

S’en prendre au bouclier fiscal et répéter inlassablement que ce sont les plus défavorisés qui feront, une fois de plus, les frais des errements du gouvernement n’est pas suffisant.

Dominique Strauss-Kahn, le candidat de gauche préféré des Français (si ce n’est de la gauche elle même) se retrouve, lui, dans une situation impossible. Patron du FMI qui apporte 250 milliards dans le fameux plan, il va devenir, à son corps défendant, le principal responsable de tous les plans de rigueur. De plus, cette austérité décrétée par le gouvernement va, automatiquement, radicaliser, « gauchiser » davantage encore la gauche et donc totalement marginaliser DSK pour des primaires à gauche.

Cette hypothèse de l’élimination de Strauss-Kahn suscite, bien sûr, des vocations au centre. Si personne ne peut croire en une candidature d’Hervé Morin, le ministre de la Défense « inconnu au bataillon », la candidature de Jean-Louis Borloo reprend des couleurs.

Très naïvement, le numéro 2 du gouvernement semble persuadé que les Français pourraient lui savoir gré des Grenelles de l’Environnement pourtant déjà emportés par le vent des éoliennes. Il est désormais convaincu qu’il se retrouvera à Matignon en septembre prochain ce qui serait pour lui, pense-t-il, la meilleure rampe de lancement pour une candidature en 2012. Il oublie que tous les premiers ministres qui se sont présentés aux présidentielles ont été battus impitoyablement (Chirac en 1988, Balladur en 1995, Jospin en 2002, il est vrai qu’il s’agissait de premiers ministres de cohabitation).

On voit mal comment un premier ministre totalement associé au plan de rigueur pourrait faire acte de candidature contre son propre président et d’autant plus qu’il serait bien obligé, tout au cours de sa campagne, de rappeler que sa candidature a pour seul but de « ratisser plus large » pour le président sortant.

En vérité, contrairement à ce que pensent les sarkozystes, la crise est une catastrophe pour Sarkozy. Sarkozy n’est pas Churchill. Celui qui promettait aux Français de sauver la France en 2007 ne pourra pas, en 2012 ne leur promettre que « du sang et des larmes ».

Mais y aura-t-il, d’ici à 2012, un homme providentiel qui pourra faire croire qu’avec lui la rigueur (indispensable) n’entraînera pas la récession (mortelle) ? Certains – peu nombreux- attendent avec impatience l’appel… du 19 juin de Dominique de Villepin qui doit présenter ce jour-là son nouveau parti et son programme. Mais si Sarkozy n’est pas Churchill, Villepin n’est pas de Gaulle, même s’il est convaincu du contraire.

Thierry Desjardins


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