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21/2/09 Bernard Martoïa

La descente aux enfers du système financier mondial

« Les grandes masses absorbent mieux les énormes mensonges que les petits. » Joseph Goebbels, ministre de la propagande du régime national socialiste allemand.

Le Dow Jones Industrial Average (DJIA), qui a clôturé la semaine dernière à 7896 points, a poursuivi sa dégringolade. Il termine cette semaine à 7365 points. Cela représente une baisse conséquente de 6 %. Depuis le vote par le Congrès américain du plan de relance d’Obama, l’indice vedette de Wall Street a perdu 10 %. Plus grave, il a cassé son support à 7383 points, qui avait été établi le 27 mai 1997. Douze années de capitalisation ont d’ores et déjà été perdues dans les limbes des supbrimes. Depuis le zénith du 9 octobre 2007 à 14164 points, l’indice vedette a perdu 48 % de sa valeur. Difficile de faire pire…

Sur un plan chartiste, le déroulement de la crise actuelle ressemble à celle de 1929. En avril 1930, l’indice Dow Jones avait rebondi à 294 points après le krach d’octobre 1929 (230 points). Puis il avait commencé sa longue descente aux enfers. Le nadir ne fut touché que le 8 juillet 1932 lorsque l’indice clôtura à 43 points. Par rapport au pic du marché atteint le 3 septembre 1929, cela représentait une perte colossale de 89 %. Si nous n’en sommes pas encore là, il y a néanmoins tout lieu de s’alarmer. Alors qu’il avait fallu attendre 34 mois pour que l’indice perde 89 % de sa valeur, il a d’ores et déjà perdu 48 % de sa valeur en l’espace de 16 mois seulement. En lissant la courbe, cela représente une baisse mensuelle moyenne de 3 % qui est en tout point comparable à celle de la Grande Dépression. La prochaine ligne de support pour le Dow Jones est à 6400 points ; c’est une vieille ligne établie en avril 1997.

Après l’élection d’Obama, j’anticipais un rebond du marché (deat cat bounce, le rebond de l’animal blessé à mort) avec l’annonce de son plan de relance keynésien. Il ne s’est pas produit pour les raisons suivantes.

La très forte défiance du marché à l’égard des politiciens

Le marché ne ferait-il pas confiance à la signature du plan de relance par le président Obama à Denver dans le Colorado ? C’est évident, mais un autre souci hante les actionnaires : la proposition faite par le Maestro d’une nationalisation des grandes banques américaines. Dans un entretien accordé, le 18 février, au Financial Times, Alan Greenspan, l’ancien gouverneur de la Fed, a déclaré : « Il est peut être nécessaire de nationaliser temporairement quelques banques pour faciliter une restructuration rapide et ordonnée. Je comprends qu’une fois par siècle, c’est ce que vous faites. » Il a expliqué pourquoi c’est devenu nécessaire : « Une nationalisation temporaire permettrait au gouvernement de transférer des produits toxiques d’une mauvaise banque sans avoir le problème de leur évaluation. » En clair, les produits toxiques ne trouvent plus preneurs ; leur valeur est quasi nulle sur le marché. Pour relancer le crédit interbancaire qui est la clé de voûte du système, il n’y aurait donc pas d’autre solution qu’une nationalisation partielle et temporaire des grandes banques américaines qui sont les plus intoxiquées. Cela fait référence implicitement à la chaîne alimentaire. La concentration de mercure (subprime) augmente avec la taille du poisson (requin de la finance).

La déclaration du Maestro, dont la crédibilité a été passablement écornée par la crise, serait passée inaperçue si elle n’était elle-même une caution apportée au grand architecte de la dérégulation bancaire des années quatre-vingt dix. Lindsey Graham, le sénateur de la Caroline du Sud, a déclaré à ce même journal : « Nous ne pouvons continuer à verser de la bonne monnaie après de la mauvaise monnaie. Si la nationalisation est ce qui marche, alors nous devons la faire. »

Il ne fallait pas être grand clerc pour envisager l’inéluctable. Dans un article du 24 novembre 2008, j’écrivais ceci : « A terme, le secteur bancaire américain sera entièrement nationalisé car il ne peut se sauver lui-même. La facture laissée au contribuable américain sera sans commune mesure avec celle de 150 milliards de dollars après la faillite des Savings & Loan dans les années 90. » Vous pouvez vérifier mes dires sur ce site où mon article figure sous le titre « Ceux qu’on sauve, ceux qu’on ne veut pas sauver… »

L’aveuglement de l’administration et de la Fed

Les Keynésiens ne s’intéressent qu’aux hélicoptères déversant des dollars sur l’économie (helicopter drop) et à la fabrication d’échelles de pompiers encore plus hautes et plus performantes pour éteindre l’incendie à Wall Street. Ils vont donc continuer à déverser des milliards de dollars pour réamorcer la pompe.

Mais ils n’y parviendront pas. Affirmation d’un illuminé de l’école autrichienne ? Pas vraiment. Paul Krugman, le gourou des Keynésiens, est à son tour pris de doute. Voici ce qu’il écrit dans son papier du 20 février 2009 : « Maintenant, nous sommes en plein dans une crise qui a une troublante et étrange ressemblance avec le déclenchement de la Grande Dépression. Les taux d’intérêts sont presque à zéro et l’économie continue de plonger. Comment et quand cela se terminera-t-il ? »

Au risque de me répéter, les plans de relance keynésiens ne font que prolonger la dépression. La purge à laquelle nous assistons, est une réaction saine du marché. L’excès d’endettement a conduit à de mauvais investissements comme les piscines de particuliers en Californie (voir mon article du 29 décembre 2008 intitulé « Des millions de piscines converties en patinoires par la faute des Keynésiens »). Il faut attendre tout simplement que l’épargne des ménages et des entreprises se reconstitue (lentement, à la différence de l’économie de l’endettement) et que la confiance revienne sur les marchés. Mais le calendrier électoral est beaucoup plus court que la période nécessaire de redressement. D’où l’activisme forcené des Keynésiens…

La faillite du système actuel tient à la disparition de l’aléa moral.

Bernanke et Paulson ont voulu le restaurer, avec le succès que l’on connaît, lorsqu’ils ont voulu faire un exemple avec la banque d’investissement Lehman Brothers. Alexis de Tocqueville disait : «Le moment le plus dangereux pour un mauvais gouvernement est d’ordinaire celui où il commence à se réformer. »

Sur l’excellent site de Jean-Pierre Chevalier, j’ai découvert avec effarement que le total des dettes de la banque Paribas s’élève à 2017 milliards d’euros à la fin de l’année 2008 et que ses fonds propres ne sont que de 59 milliards d’euros. Cela donne un ratio de seulement 2,9 %, qui est très inférieur à la norme de 8 % imposée par la Banque des Règlements Internationaux (ratio Cooke). Comme la Fed, la banque Paribas se rapproche dangereusement du seuil d’insolvabilité. A titre de comparaison, la dette publique de l’Etat français est de 1323 milliards d’euros. Nous sommes donc à la merci d’une banqueroute de cette banque ou d’une autre qui a défrayé la chronique. La Société Générale n’ose même plus publier ses ratios (lire l’article de Chevalier intitulé « Les mécanos de la Générale Potemkine »).

La solution autrichienne

Pour les tenants de l’école autrichienne, il faudrait abolir les banques centrales qui ne font qu’accentuer la formation de bulles toujours plus grosses, supprimer le système fractionnel de réserves et revenir à un ratio de 100 % de fonds propres des banques commerciales (celles qui gèrent les dépôts des particuliers). En revanche, il ne faudrait pas imposer cette rigueur aux banques d’investissement. Il est normal qu’elles continuent à bénéficier d’un effet de levier dans le cadre de leurs activités. Le ratio Cooke de 8 % ne devrait s’appliquer qu’aux banques d’investissement.

La responsabilité particulière des Européens dans la crise actuelle

Mais voilà, il n’y a plus de banques d’investissement à travers le monde, à l’exception de Nomura au Japon. On a fait sauter le fusible du Glass Steagall Act en Amérique à la fin de la présidence Clinton. Et il n’y en a jamais eu en Europe pour nous prémunir de ce danger mortel. A la place, nous avons un politicien démagogue qui s’est empressé de désigner à la vindicte publique un bouc émissaire : « Le laissez-faire du marché. » C’est plutôt le «laissez-faire » des politiciens européens qui est à l’origine de la crise actuelle.
Lorsque les gorilles européens (Deutsche Bank, UBS, Paribas et consorts) sont venus dans la cage des chimpanzés de Wall Street, ces derniers ont paniqué. Le Congrès américain s’est empressé de leur venir en aide en faisant sauter le fusible du Glass Steagall Act.

Voici ce que j’écrivais le 15 novembre dernier, dans un article prémonitoire : « C'est pour faire face à la concurrence internationale que le Glass Steagall Act a été abrogé aux États-Unis. Dans cette compétition biaisée entre banques commerciales et banques d'investissement, l'avantage a tourné en faveur des premières qui bénéficient des fonds propres de leurs déposants. Les banques d'investissement comme Bear Stearns, Lehman Brothers et Merryl Lynch ont accru le levier et pris de gros risques. Pour un dollar de fonds propres, elles avaient plus de trente dollars investis dans des opérations à haut risque. Il ne reste plus aujourd'hui qu'une seule banque d'investissement dans le monde : Nomura au Japon. »

Les déposants de la Société Générale et de Paribas devraient se faire du souci. Contrairement en Amérique, il n’existe pas en France de FDIC (Federal Deposit Insurance Company) pour garantir leurs dépôts à hauteur de 100.000 $ en cas de faillite de leur banque.

Bernard Martoïa

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