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Claude Reichman

Sarkozy, l'homme qui ne sait pas gouverner


 

Chapitre 8

Vertige


 

Un malheur n’arrive jamais seul. La conférence de presse du 8 janvier 2008 n’a pas fini de produire ses effets désastreux que la commission Attali rend public son rapport. M. Sarkozy a chargé l’ancien « sherpa » du président Mitterrand de présider un groupe de travail avec pour mission de proposer des mesures « pour la libération de la croissance française ». Riche idée ! Il faut vraiment n’avoir aucune connaissance de l’art de gouverner pour être allé chercher un tel personnage et lui conférer une telle importance. Car il ne s’agit pas d’une simple commission, comme il en existe des dizaines, sans compter les « hautes autorités », les « hauts comités » et les « hauts conseils ». Il y a tellement de hauteur et de prétention dans tous ces machins qu’on finirait par penser du bien du « sous-commandant Marcos », en raison de la modestie de son titre. Bref, Attali.

Le personnage est connu pour être un polygraphe fumeux, dont aucune idée n’a jamais prospéré, sauf sur le papier des gazettes, et qui fait hausser les épaules avec mépris à toute personne votant à droite. Vraiment l’homme idoine pour l’électorat de Sarkozy. Le nouveau président a encore aggravé son cas en promettant, le 30 août 2007 à l’Elysée, lors de l’installation de la commission, que « ce que vous proposerez, nous le ferons ». Il faut vraiment être inconscient et surtout incompétent pour faire une telle promesse. De même qu’il s’est engagé, le soir de son élection, place de la Concorde, à ne pas décevoir ni trahir ceux qui l’ont élu, alors qu’aucun homme d’Etat, fut-ce le plus sérieux, le plus rigoureux, le plus sincère, le plus pénétré de sa mission, ne peut ainsi s’exprimer sans prendre de grands risques, de même le président de la République se met follement dans la main d’un aréopage d’une quarantaine de personnalités, certes estimables mais qui ne sont ni représentatives ni élues, présidé par un ludion que personne en France ne prend vraiment au sérieux.

Alors quand Attali rend son rapport au président, le 23 janvier 2008, c’est presque une parole d’évangile qui tombe du ciel sur la nation rassemblée. Attali s’est tellement pris au sérieux, que les propositions de sa commission sont baptisées « décisions », comme si elles avaient force de loi. Que voulez-vous, ce n’est pas de sa faute, au pauvre homme : le président s’était engagé à appliquer ses propositions, du coup elles acquéraient valeur exécutive et méritaient bien le nom de « décisions ». ! Le problème, c’est que le bon peuple, dûment informé par les médias, sait parfaitement l’importance que Sarkozy est censé attacher aux « décisions » de la commission Attali. Du coup, chacune d’elles apparaît aux yeux des citoyens comme un élément du programme gouvernemental qui n’attend plus que sa promulgation.

Le rapport Attali est un « fout tout », comme on dit en Afrique, d’inspiration plutôt libérale mais fortement mâtiné d’étatisme et de constructivisme, et qui n’apporte rien de neuf par rapport aux dizaines d’autres rapports ou livres blancs qui l’ont précédé. Il réclame évidemment, comme tout le monde, une réduction des dépenses publiques, mais prend position pour une TVA sociale au lieu de préconiser l’application effective des directives européennes - et des lois françaises – qui ont supprimé le monopole de la sécurité sociale. Le résultat d’une telle recommandation ne peut être que la hausse des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires, surtout quand on sait que les dépenses sociales pèsent deux fois plus lourd que celles de l’Etat et que ce n’est pas sur ces dernières qu’on peut obtenir rapidement des résultats.

Mais surtout le rapport Attali « décide » de faciliter l’immigration, alors que l’électorat de Nicolas Sarkozy veut qu’on y donne un sérieux coup de frein, et d’ouvrir à la concurrence les professions réglementées, telles que les taxis, les pharmaciens, les vétérinaires, les coiffeurs, les notaires … Qu’il faille songer à supprimer des réglementations d’un autre âge, nul n’en disconvient. Mais cela doit s’inscrire dans un vaste mouvement de libéralisation de la société française qui verra disparaître ses derniers monopoles ainsi que les privilèges de certaines catégories de fonctionnaires, et notamment des énarques, dont les prébendes insensées sont une véritable insulte au principe d’égalité entre les citoyens. Si bien que le rapport Attali, qui ne s’attaque qu’aux avantages de certaines professions indépendantes, sans même faire allusion à tous ceux que collectionne la fonction publique, apparaît à l’opinion comme ce qu’il est, c’est-à-dire une agression de plus de la noblesse d’Etat contre tout ce qui lui résiste encore, fut-ce à l’abri de statuts protégés.

Ce sont les taxis parisiens qui vont sonner le tocsin. Leur statut date de 1937 et ne correspond plus aux nécessités d’une capitale internationale. Mais la licence qu’ils doivent acheter à prix d’or est en général leur seul bien et sa revente leur seul viatique au moment de la retraite. C’est dire qu’ils n’ont pas la moindre intention de se laisser faire. La solution, face à un tel problème, est évidemment d’indemniser les détenteurs de licence si on veut la supprimer ou la diluer en délivrant des autorisations supplémentaires. Mais pour cela, il faut un Etat moins impécunieux que le nôtre. Les taxis ont donc parfaitement compris que les princes qui nous gouvernent sont résolus à les spolier. C’est aussitôt la mobilisation. A Paris, mais aussi en province, ils forment des cortèges avec leurs automobiles et bloquent sans aucune difficulté la circulation, paralysant toutes les grandes villes de France.

Face à des adversaires aussi décidés et organisés, le gouvernement de M. Sarkozy baisse aussitôt pavillon. Pour la réforme des taxis, on verra plus tard. Et pour le rapport Attali, la meilleure destination semble devoir être maintenant la corbeille à papier. C’est une nouvelle catastrophe pour le président de la République. Il s’est ridiculisé en s’engageant à appliquer un rapport inapplicable sans une réforme d’ensemble de la société, et a cédé au premier choc comme tous ses prédécesseurs depuis des décennies, eux dont il n’avait cessé, pendant sa campagne présidentielle, de stigmatiser les reculades au nom de la rupture et de l’ère nouvelle qu’allait marquer son entrée à l’Elysée.

Dès ce moment, la crédibilité de Sarkozy est en loques. N’importe quel chef d’Etat digne de ce nom, c’est-à-dire compétent, sait que, dans un mandat, c’est le premier affrontement qui compte et qu’il faut s’y préparer avec lucidité, sérieux et détermination. Margaret Thatcher avait ainsi décidé de ne pas céder devant les mineurs d’Arthur Scargill, dont elle savait pertinemment qu’ils se dresseraient sur sa route, et avait constitué des réserves de charbon avant l’affrontement, et Ronald Reagan n’avait rien cédé aux contrôleurs de la navigation aérienne en grève dure, les licenciant et les remplaçant par des contrôleurs militaires. Thatcher et Reagan avaient résisté et vaincu, ils pouvaient désormais gouverner.

Naturellement l’affrontement avec les taxis n’était pas celui que Nicolas Sarkozy devait rechercher pour établir son pouvoir. Il y a été contraint par son insigne maladresse, qui a consisté à se mettre entre les mains d’un comité Théodule et à devoir gérer les conséquences de ses « décisions » incohérentes. A partir de là, le mal était fait et les Français avaient compris que Sarkozy n’était en rien meilleur que Mitterrand et Chirac et que son quinquennat allait s’inscrire à la suite d’une pitoyable dérive, celle que la société française accomplit comme un chien crevé au fil de l’eau sur le sinistre fleuve de son destin.

Il ne faut pas chercher plus loin les causes de la vertigineuse chute de Nicolas Sarkozy dans les sondages. Le contraste était trop saisissant entre les promesses du candidat et les actes du président pour qu’une cristallisation dramatiquement négative ne s’opérât pas au détriment de ce dernier. D’autant que les promesses et les actes n’étaient séparés que de quelques mois, huit exactement entre l’élection et la conférence de presse du 8 janvier, et que personne en France n’avait oublié les premières si peu de temps après qu’elles avaient été faites. Sarkozy apparaît alors aux yeux de l’opinion comme un hâbleur impénitent - ce qui était son image avant 2002 – et son élection comme une imposture, ainsi que l’indique alors, dans son commentaire, le directeur d’un institut de sondages.

En fait, les Français en veulent moins à Sarkozy des difficultés qu’il rencontre et des échecs qu’il subit que d’avoir voulu incarner quelqu’un qu’il n’était pas, et donc de les avoir gravement trompés. Mais ils s’en veulent aussi à eux-mêmes de s’être laissé tromper, et il n’est pas de motif de détestation plus puissant envers celui qui a provoqué ce sentiment délétère chez ses anciens adorateurs. Dès lors la chute ne peut que se poursuivre sans fin , et nombre d’observateurs, français et étrangers, en arrivent à se demander publiquement si le président de la République pourra finir son quinquennat.

D’autant que Nicolas Sarkozy, au lieu de se mettre à l’abri, pousse les feux dans toutes les directions, répondant à la critique par une surexposition permanente. Là encore, il faut invoquer son incompétence. Certains mettent en cause son tempérament dans cette spirale de l’échec, et ils ont sûrement raison. Mais un chef d’Etat ne doit-il pas être, par excellence, celui qui sait maîtriser sa nature et ses sentiments au bénéfice de son action publique, quoi qu’il puisse lui en coûter ? Sarkozy non seulement n’y parvient pas, mais il refuse, au moins pour le moment, de s’y essayer.

On touche ici du doigt la singulière histoire de son ascension. Devenir président de la République, il l’a maintes fois confié, a toujours été le but de sa vie. Au point que cet objectif a éclipsé tout le reste, et notamment la conception de son action quand il serait président ainsi que la définition des moyens à mettre en œuvre pour la mener. Il en résulte, alors que la victoire paraît désormais acquise, un sentiment de vide qu’un témoin privilégié de sa campagne, l’écrivain Yasmina Reza, rapporte ainsi : « Je vais me retrouver avec un palais à Paris, un château à Rambouillet, un fort à Brégançon. C’est la vie. » (Note 1 : Yasmina Reza, « L’aube le soir ou la nuit », Flammarion).

Le but de sa vie atteint, il ne sait plus que faire de sa présidence. Alors, face au vertige qui l’envahit, il se lance à corps perdu dans un tourbillon de déplacements, de déclarations et d’initiatives non préparées qui, rapidement, donne le tournis à la presse et à l’opinion publique. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, Nicolas Sarkozy ne s’est jamais posé cette question : « Quand je serai président, quelle politique mènerai-je face aux graves problèmes de la France ? » Une fois de plus on est dans l’obligation de parler à son sujet d’inconscience et surtout d’incompétence. Car enfin un inconscient est vite ramené aux réalités dès que celles-ci lui sautent au visage. S’il est normalement compétent, il ira chercher dans le tréfonds de son intelligence, de sa formation, de son expérience les moyens de faire face aux circonstances. Dans sa besace intime, Sarkozy n’a rien trouvé de tel, sauf de vieux trucs d’éternel candidat qui ne feront illusion que l’espace de quelques instants, trente-quatre semaines exactement.

Or les élections municipales approchent. Avant sa chute dans les sondages, Sarkozy avait décidé de s’y investir, afin de consolider sa victoire et celle de son camp au printemps précédent. Très vite, l’effondrement de sa cote de popularité va l’en dissuader. Ne l’eût-il pas été d’ailleurs que les candidats de l’UMP s’en seraient chargés. C’est à qui évitera le plus de se réclamer de lui. En neuf mois, Sarkozy a perdu tout son crédit auprès de ses soutiens les plus proches : les députés qu’il a fait élire en juin 2007. Et ceux-ci se sont donnés un nouveau demi-dieu, le Premier ministre, François Fillon. La raison de cette pulsion ne tient pas qu’à la relative popularité de celui-ci et à ses bons sondages d’opinion.

Sans le dire - et parfois sans vraiment le comprendre - les parlementaires reconnaissent en Fillon un vrai professionnel de l’art de gouverner, même s’il ne s’est jamais illustré que dans la gestion prudente du statu quo et dans quelques réformes, comme celle des retraites, qui ne changeaient rien à l’architecture du système, celle qu’il faudrait précisément modifier de fond en comble pour faire face à la faillite inéluctable du système par répartition, en raison du déséquilibre croissant entre le nombre des cotisants et celui des allocataires et de la mise en concurrence européenne de tous les régimes de retraite.

Avec Fillon, pas d’annonces aussi vite retirées que proférées, pas d’agitation permanente, pas d’écarts de vocabulaire, pas de vie privée désordonnée et tapageuse. Fillon, c’est la raison et la sobriété incarnées, tout le contraire de Sarkozy. Et les éditorialistes parisiens d’imaginer déjà le coup de poignard que, nouveau Brutus, le Premier ministre va infliger au César de l’Elysée. Commencé dans le clinquant et l’allégresse, le nouveau quinquennat finira-t-il dans le meurtre politique et dans le drame ?

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