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Claude Reichman

Sarkozy, l'homme qui ne sait pas gouverner


 

Chapitre 7

Gagner plus ou dépenser moins ?

 

Si les Français ont cru à la rupture que leur proposait Sarkozy, c’est parce qu’elle était - et reste – vitale pour notre pays. La France est mal - très mal - gouvernée depuis trente-six ans. En 1974, quand le président Pompidou décède sans avoir terminé son septennat, la France n’a ni déficit budgétaire ni dette. Aujourd’hui, elle est affligée d’une dette de 1500 milliards d’euros, constituée au fil des déficits annuels constants de l’Etat et des organismes sociaux. Et c’est sans compter avec les 900 milliards d’euros que représentent les engagements de retraite de l’Etat envers ses fonctionnaires. De quelque côté que l’on se tourne, tout va mal. Pendant des années, des décennies même, d’excellents esprits, tout à fait conscients pourtant des mauvais chiffres qui s’accumulaient, se rassuraient en disant que le système pouvait encore tenir, puisqu’il avait tenu jusque là. Curieux raisonnement. Ce n’est pas parce qu’un tissu ne s’est pas rompu sous la traction qu’il résistera indéfiniment. Et ce n’est pas parce que « jusqu’ici ça va », comme le dit, dans une histoire fort connue, le type qui tombe d’un gratte-ciel, qu’il ne finira pas par s’écraser au sol.

En réalité, ceux qui se refusent à croire à une issue dramatique subissent mentalement ce que Milton Friedman a appelé « la tyrannie du statu quo ». Il est difficile de s’imaginer que tout ou presque va changer, que ce soit dans la vie privée ou dans l’organisation de la société. C’est moins une question d’intelligence que d’imagination et de fermeté. Au fond, tout le monde craint le changement. Parce que même si l’on en attend d’heureux effets, il dérange. Alors les quelques vrais penseurs que compte une société n’ont pas tellement envie de lui annoncer les bouleversements qu’ils pressentent, et ils abandonnent à la foule des faux penseurs la mission prédictive, qui est finalement la seule véritable responsabilité des intellectuels. Il n’est pas difficile dès lors de comprendre qu’en fait de prédictions, les faux penseurs vont multiplier les images du passé projetées dans ce qu’ils appellent « l’avenir » et qui n’est que du présent repeint à gros traits et sans la moindre esquisse de perspective. Le peuple a lui aussi, bien entendu, toutes les peines du monde à imaginer un avenir différent, car il ne dispose pas des outils d’analyse nécessaires. Mais il sent parfaitement que la situation est très mauvaise, qu’elle s’aggrave de jour en jour et que, comme de plus en plus de gens le disent, « ça va péter ! ».

Dans son numéro daté du 20 février 2008, le journal Le Monde a fait état d’une information qui, dans un pays normalement éveillé - ce qui n’est plus le cas de la France depuis longtemps, anesthésiée qu’elle est par la politique d’assistance et les jeux télévisés -, aurait fait sursauter tout le monde. Dans un article non signé intitulé « La grogne sur les salaires s’amplifie dans le secteur privé » et publié à la une, le quotidien écrit : «Une part croissante des ressources des ménages les plus modestes est affectée à des dépenses que l’on dit “contraintes”, comme le logement ou l’alimentation. Selon l’INSEE, celles-ci représentent désormais 75 % de leur budget, contre un peu moins de la moitié en 2001.» Autrement dit, un ménage disposant de 100 euros pouvait, en 2001, en consacrer 50 à ce qui n’était pas « contraint », et, six ans plus tard, n’a plus que 25 euros pour ce faire. En d’autres termes, ce ménage a perdu la moitié de son pouvoir d’achat « non contraint ». Pas étonnant, dans ces conditions, que le pouvoir d’achat soit devenu la première préoccupation des Français.

Sarkozy avait imaginé, pour se faire élire, le slogan « Travailler plus pour gagner plus ». Preuve qu’il avait au moins compris que les gens manquaient d’argent. Mais preuve aussi que ses notions d’économie et de gestion étaient fort sommaires, ce qui, pour le futur président d’un Etat de l’importance de la France, ne laisse pas d’inquiéter. Car enfin il y a une autre façon de gagner plus, c’est de dépenser moins. Pas question, naturellement, d’espérer se restreindre sur les dépenses personnelles, qu’elles soient « contraintes » ou « non contraintes ». On a vu plus haut qu’il n’existe à ce niveau aucune marge de manœuvre. Mais il y a un poste de dépenses sur lequel on peut faire d’énormes économies : les dépenses publiques, celles que l’Etat fait au nom de l’ensemble des citoyens et des contribuables. Elles se montent à 54 % du produit intérieur brut, un record mondial. Si tous les pays de la planète parviennent à dépenser moins que la France, c’est bien qu’il est possible de le faire et que notre pays n’a aucune raison valable de ne pas réaliser d’économies. Or pendant toute sa campagne électorale et au cours des mois écoulés depuis son élection, Sarkozy n’a jamais évoqué cette hypothèse. Pire même : il a mis une quinzaine de milliards d’euros de dépenses supplémentaires sur la table, espérant ainsi remettre en route la machine économique, ce qui s’est évidemment avéré vain puisque la France ne souffre pas d’un déficit de consommation mais de production. L’urgence, pour le nouveau président, était donc de mettre en œuvre un plan ambitieux de réduction de la dépense publique, tant au niveau de l’Etat qu’à celui des régimes sociaux, et de diminuer d’autant la pression fiscale et sociale sur les entreprises et les particuliers.

Il faut reconnaître que cette politique n’est pas simple à mener en raison de la léthargie de l’économie française. Diminuer fortement les dépenses publiques risque donc de porter un coup fatal au mince filet de croissance qui irrigue pauvrement notre pays et de plonger celui-ci dans une grave dépression économique. La solution en pareil cas, c’est d’accepter un déficit budgétaire en attendant que l’augmentation des recettes fiscales, qui résulte toujours d’une baisse des impositions, apporte les ressources nécessaires pour rétablir l’équilibre des finances publiques. Oui, mais voilà : quand on a toutes les peines du monde à maintenir le déficit sous les 3 % du PIB requis par nos engagements européens, que nos partenaires de la zone euro sont pratiquement tous à l’équilibre et nous regardent d’un sale œil parce que nous, nous n’y parvenons pas et que nous n’en prenons même pas le chemin, on ne peut pas songer à accroître notre déficit budgétaire. Sauf si …

Sauf si nous le faisons avec l’accord de nos partenaires européens et dans des conditions établies en concertation avec eux. Il y a deux sortes de déficit : celui qui résulte de l’accroissement non financé des dépenses de fonctionnement, et celui qui tient à une baisse de la pression fiscale destinée à améliorer la compétitivité des entreprises et leur capacité d’investissement. Le premier déficit est catastrophique et doit être exclu catégoriquement. C’est hélas celui qu’a pratiqué la France depuis plus de trente ans et qui l’a mise dans le triste état qu’on sait. Le second peut être accepté s’il n’y a pas d’autre moyen de remettre l’économie d’un pays sur de bons rails. Bien entendu, il doit s’accompagner de mesures énergiques de rationalisation et d’optimisation de la dépense publique, en attendant que le rétablissement économique permette de pratiquer des coupes claires dans la dépense sans priver les ménages de ressources.

Aussi extraordinaire que cela puisse paraître, Sarkozy a réussi à se faire élire président de la République sans avoir jamais réfléchi à une stratégie économique sérieuse. Il a même eu l’incroyable inconscience de l’avouer dans une allocution prononcée à Lyon le 29 juin 2007. « Inutile de réinventer le fil à couper le beurre, a-t-il déclaré, toutes ces théories économiques, moi-même, parfois, je suis un peu perdu. Ce que je veux, c’est que les choses marchent. » A cette aune, l’unanimité est garantie : tout le monde veut « que les choses marchent ». Malheureusement, c’est sur les moyens d’y parvenir que l’on achoppe. La gauche préconise toujours l’augmentation de la dépense publique, prétendant que l’injection d’argent dans l’économie est la seule façon de la relancer, la droite est le plus souvent favorable à la diminution de la dépense publique, de façon à rendre des marges aux entreprises et des ressources aux particuliers et à redonner ainsi du nerf à la croissance. Sarkozy, lui, veut « que les choses marchent ». Nous voilà bien avancés ! En fait, le nouveau président de la République a délibérément mis en œuvre une politique économique de gauche, puisqu’il a augmenté la dépense publique d’une quinzaine de milliards d’euros en année pleine et n’a pas diminué d’un centime la dépense publique, sauf, en principe, en ne remplaçant pas tous les fonctionnaires qui partent à la retraite, mais l’économie ainsi réalisée reste marginale, d’autant que le gouvernement s’est engagé, pour faire passer la pilule, à consacrer une bonne partie des sommes épargnées à l’amélioration des traitements de la fonction publique.

Dans ces conditions, l’échec économique est garanti, et l’échec politique aussi, puisque Sarkozy est attendu pour l’essentiel sur la relance du pouvoir d’achat et que celui-ci va continuer à stagner et risque même de se réduire, la persistance des déficits rendant inéluctable une hausse de la fiscalité. On est confondu face à un tel comportement de la part d’un homme qui se destinait depuis des décennies à la magistrature suprême et qui s’y trouve installé avec pour tout bagage quelques formules toutes faites et une complète ignorance des mécanismes économiques. Il a d’autant moins d’excuses que les rapports et les études ont abondé, depuis des années, concluant tous à la nécessité pour la France de réduire sa dépense publique, et que les contacts ne lui ont pas manqué avec des chefs de gouvernement étrangers ayant tous réussi à ramener leur budget à l’équilibre. On se demande vraiment dans quelle bulle a bien pu vivre le député, le ministre, le candidat Sarkozy pour arriver dans un tel état d’ignorance et d’incompétence au palais de l’Elysée.

S’il avait un peu réfléchi à la situation et aux mesures à prendre dès son arrivée au pouvoir, il aurait adopté une stratégie qui, curieusement, n’aurait pas été très différente, géographiquement parlant, de celle qu’il a choisie. Oui, il fallait aussitôt aller voir la chancelière Angela Merkel, car le couple franco-allemand reste l’élément essentiel de toute politique européenne. Oui, il fallait aller s’entretenir avec Jose Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, car aucune démarche isolée n’est possible en matière économique quand l’exécutif européen détient d’aussi redoutables pouvoirs de pression et de contrainte. Mais il ne fallait pas y aller avec la seule idée de relancer la construction européenne après l’échec du référendum français de mai 2005 et d’en retirer une gloire assez largement usurpée tant le mérite doit en être partagé avec la chancelière allemande, présidente en fonction de l’Union et qui n’a pas ménagé ses efforts pour sortir celle-ci de l’ornière constitutionnelle. La relance de l’Europe aurait été donnée par surcroît au président Sarkozy s’il s’était rendu à ces entretiens en étant porteur de propositions et de demandes visant à permettre à la France de respecter au plus vite ses obligations communautaires et d’être au rendez-vous de l’équilibre budgétaire en 2010, comme notre pays s’y était engagé par la voix du gouvernement précédent, auquel appartenait M. Sarkozy.

Ce que nous venons d’écrire peut être considéré comme le b-a-ba de tout aspirant au pouvoir en France et en Europe. Et comme le simple énoncé des méthodes de gouvernement qui sont à l’œuvre dans la totalité des pays développés. Force est de constater que l’homme appelé, en ce mois de mai de 2007, à présider aux destinées de la France ignore tout de ce qui fait le quotidien de ces hommes d’Etat dont il est désormais l’égal et le partenaire. Une fois de plus, l’exception française a frappé. Et elle va faire mal, très mal ! Car nous avons confié la barre de notre grand vaisseau à un pilote incompétent, au moment même où se lèvent de terribles tempêtes et où il va falloir un œil acéré et une main sûre pour le faire échapper au naufrage.

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