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Claude Reichman

Sarkozy, l'homme qui ne sait pas gouverner

Chapitre 2

Une plongée dans l’aquarium

Nicolas Sarkozy incompétent ? La question étonne et interpelle forcément l’électeur et le citoyen. Comment un homme parvenu au pouvoir après trente ans d’efforts incessants, de rivalités vaincues, de suffrages engrangés peut-il être incompétent ? Le principe de Peter apporte l’explication. Sarkozy a fait preuve d’assez de compétence tout au long de son parcours pour devenir président de la République. Mais arrivé à ce dernier poste, il s’avère qu’il n’a pas la compétence requise. Cela signifie simplement que le processus actuel de sélection d’un président de la République française qualifie le meilleur candidat, mais pas le meilleur président. Et qu’il n’y a souvent aucun rapport entre les deux.

La vie politique en France peut se comparer avec la vie d’un grand aquarium où évoluent plusieurs espèces de poissons. Celles-ci se disputent constamment la nourriture et, bien sûr, ce sont les poissons les plus vigoureux et les mieux armés qui mangent le plus, se renforcent et deviennent dominateurs. A intervalles réguliers - qu’on appelle « élections » - un poisson dominant s’impose à tous les autres. La durée de son règne est normalement fixée par une règle biologique appelée « Constitution », mais il peut arriver que des perturbations dans la vie de l’aquarium surviennent, s’épanouissent en conflits, dégénèrent et finissent par écourter le règne. Après quoi un nouveau poisson dominant finit par se dégager et le cycle reprend.

Tout cela se déroule sous le regard d’individus appelés « citoyens ». Leur seul droit consiste à observer l’aquarium, à applaudir la nage des poissons et à se laisser vider les poches par des employés zélés de l’entreprise piscicole - appelés « fonctionnaires des impôts » - afin d’acheter la nourriture nécessaire aux acteurs de la vie aquatique. Les citoyens peuvent aussi s’amuser à parier sur la victoire de tel ou tel poisson dominant, et cela s’appelle une « campagne électorale ».

Le problème est que le poisson dominant a pour responsabilité principale, outre le fait de s’assurer constamment la nourriture la meilleure et la plus abondante, de diriger la vie non seulement du peuple de l’aquarium - son accession au rang suprême le qualifie automatiquement pour ce rôle - mais aussi celle des citoyens-spectateurs. Or il n’a aucune connaissance de ce milieu, auquel il est même totalement étranger. Il n’empêche que ses diktats ont force de loi pour la foule immense des citoyens et que le pays dont ils sont les habitants ne cesse d’être tiré à hue et à dia par des décisions le plus souvent inadaptées, voire carrément nocives ou même dévastatrices, et qui le conduisent lentement mais sûrement à l’abîme.

Sortons à présent de l’aquarium et de la parabole et revenons au grand air afin de permettre au lecteur de retrouver les personnages de la vie politique sous un aspect plus familier. Nicolas Sarkozy est entré en politique à l’âge de vingt ans et n’en est plus jamais sorti. Il a connu, comme tout un chacun dans ce monde, des hauts et des bas, mais finalement les hauts l’ont emporté et il est parvenu à se faire élire président de la République. Ses qualités et ses défauts sont bien connus de tous. Il est très actif, intelligent, audacieux, aussi prompt à l’agression qu’à la plus basse flagornerie, prêt à trahir pour arriver, excellent orateur tout en laissant transparaître les grosses ficelles de ses démonstrations et affaiblissant par là-même son message, et finalement assez peu sympathique. Tout au long de sa carrière, il n’a jamais été vraiment aimé, sauf au cours de son ascension finale, de 2002 à 2007, où il n’a pas été aimé mais fanatiquement idolâtré par une partie des Français.

C’est cette période d’ultime ascension qui doit retenir toute notre attention. Nicolas Sarkozy y a été presque constamment ministre de l’Intérieur, sauf pendant un bref passage de quelques mois aux Finances. C’est en tant que ministre de la sécurité qu’il a forgé sa réputation. Non parce qu’il aurait fait reculer l’insécurité (celle-ci n’a jamais cessé d’augmenter sous son règne), mais parce qu’il a su se mettre en scène constamment au moyen d’une méthode intitulée « Un évènement médiatique par jour ». La technique est des plus simples. Elle ne nécessite qu’un peu d’organisation et une formidable docilité de la presse. Ainsi qu’une incroyable passivité de son principal adversaire pendant cette période, le président de la République, Jacques Chirac.

L’évènement peut prendre la forme d’une inauguration, d’un déplacement thématique, d’une cérémonie, d’une prise de parole, d’une remise de décoration. Compte tenu de l’organisation de la vie publique en France, il est très facile à un ministre de l’Intérieur de trouver 365 occasions par an de se mettre en scène. Son service de presse n’a qu’à convoquer les journalistes, qui ne manquent jamais d’accourir, et le tour est joué. L’impression produite est celle d’un ministre actif et décidé, porteur d’une parole forte, et dont personne ne se soucie de mettre les actes en regard avec les propos. Si quelque média s’y risque, sa direction est aussitôt assaillie de protestations du ministre et de son entourage et sommée de mieux apprécier la situation, faute de quoi …Les menaces sont le plus souvent sous-jacentes, mais parfois très clairement formulées. On découvre ici l’un des procédés de base de la méthode Sarkozy : l’intimidation. Et cela marche très bien avec la presse la moins indépendante et la plus soumise du monde civilisé.

Ce qu’on ne s’explique pas, c’est l’apathie de Jacques Chirac. Certes il a été désarçonné par la condamnation judiciaire d’Alain Juppé dans l’affaire des emplois fictifs du RPR. C’est à Juppé que Chirac avait confié la direction de l’UMP, créée après sa victoire présidentielle de 2002. Juppé contraint de démissionner après sa condamnation, le président n’a pas su s’opposer à la prise de son parti par Nicolas Sarkozy et c’est à partir de là que ses malheurs ont vraiment commencé. Il faut dire que la méthode Chirac est directement responsable de ce hold-up. Le seul véritable talent de Jacques Chirac a consisté dans sa capacité à éliminer tout rival existant ou potentiel. Ayant fait le vide autour de lui, il ne bénéficiait plus, Juppé étant hors course, du moindre joker crédible pour s’opposer aux ambitions de Sarkozy. Il n’empêche qu’étant président de la République et disposant donc d’un des pouvoirs les plus absolus que la France ait comptés au cours de son histoire, il pouvait facilement « tuer » Sarkozy, ne fut-ce qu’en le privant de toute fonction ministérielle et donc des facilités médiatiques qui vont avec. Il ne l’a pas fait. Pourquoi ? Pas par affection pour Sarkozy, qui l’avait trahi en 1993 au profit de Balladur et qui avait en outre pénétré son intimité familiale, ce qui rendait la trahison encore plus douloureuse. Il n’y a pas d’autre explication que la fatigue et la faiblesse qui l’accompagne. En 2002, Chirac a derrière lui trente-cinq ans de vie politique, d’incessantes campagnes, de coups tordus appliqués ou reçus, de drames personnels, de repas pantagruéliques, de nuits écourtées, d’excitations et d’abattements … Bref, il n’en peut plus et son commentaire, à toute occasion, est le plus souvent : « Si vous saviez à quel point je m’en fous ! » A l’ombre du vieux lion fatigué, le petit fauve Sarkozy s’enhardit de plus en plus, même s’il sait qu’à tout moment un coup de patte magistral peut le renvoyer au néant. Le coup de patte ne viendra jamais.

Ce qui se dégage de cette période décisive dans l’ascension de Nicolas Sarkozy, c’est qu’elle n’apporte aucune information sur ses éventuelles qualités d’homme d’Etat. Etre ministre d’un gouvernement ne signifie nullement qu’on est apte à la fonction suprême. De même, ferrailler, souvent victorieusement, avec le détenteur du pouvoir ne veut pas dire qu’on peut rivaliser avec lui pour la conduite de l’Etat. Nous reviendrons ultérieurement sur la compétence ou l’incompétence de Jacques Chirac à son poste de président de la République. Contentons-nous pour l’instant de dire qu’il n’est pas sorti vainqueur, entre 2002 et 2007, de son affrontement, avec Nicolas Sarkozy, dont l’enjeu était la candidature du président à un troisième mandat, à laquelle, au début de 2007, il n’avait toujours pas renoncé. Mais d’avoir contraint Chirac à ne pas se représenter – d’autres raisons y ont aussi fortement contribué, notamment l’échec du référendum de mai 2005 sur la Constitution européenne – ne vaut pas, pour Nicolas Sarkozy, brevet de compétence pour la fonction présidentielle, puisqu’à aucun moment son affrontement avec le président en exercice ne s’est fait sur des questions mettant en cause des aspects essentiels de la politique du pays auxquels Sarkozy aurait pu apporter des réponses convaincantes.

Bien entendu, on ne peut pas pour autant affirmer, jusqu’au 6 mai 2007, date de son élection à la présidence de la République, que Nicolas Sarkozy n’est pas apte à la fonction suprême. Bien des hommes ont révélé des qualités insoupçonnées au moment - et seulement à ce moment - où ils ont été élevés au pavois. On a coutume de dire que la fonction peut transfigurer l’individu, ce qui oblige à la plus grande prudence concernant les jugements qu’on porte sur les impétrants. Force est donc de se référer aux actes de Nicolas Sarkozy depuis qu’il est devenu président de la République. Et là, c’est à un véritable feu d’artifice d’erreurs et de fautes graves qu’on va assister.


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