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5/1/09 Bernard Martoïa

Le capitalisme de copinage

Dans la lexicologie de Wall Street, "crony capitalism" ou capitalisme de copinage est un autre aspect de la crise de confiance qui ébranle le monde financier. L'affaire Madoff, du nom du banquier véreux qui a bâti une pyramide de Ponzi, est symptomatique du manque de confiance qu'inspirent, de nos jours, les autorités de contrôle du marché.

Dans son édition du 4 janvier 2009, le New York Times a donné la parole à Michael Lewis. Par hasard, j'ai pris hier un exemple tiré de son dernier livre à propos d'un humble Mexicain qui ramassait des fraises en Californie et à qui un margoulin avait proposé un prêt de 720.000 $ pour s'acheter la maison de ses rêves…

Fort du succès attendu en librairie de son dernier livre, Michael Lewis est l'invité d'honneur du grand quotidien new-yorkais. Il a résumé son point de vue de la crise à travers deux articles qui feront les délices des rares banquiers aimant l'autoflagellation. Les instants de vérité sont si rares que je suis submergé de travail. On assiste à une véritable avalanche de confessions dans le genre : "Ah, nous savions mais nous n'avions pas osé le dire." Dire la vérité exposait leurs auteurs à des sanctions. Il ne fallait pas gâcher la fête. Mais quand une bulle explose, les gens se lamentent. Aussi les honnêtes gens qui dénoncent ces turpitudes et apportent aussi leur solution sont isolés ou la risée des "insiders" : ceux qui tiennent les rênes du pouvoir, ceux qui s'y cramponnent même s'ils savent, au fond d'eux-mêmes, que leur politique ne peut que nous conduire au désastre. Il doit bien y avoir parmi les énarques des gens honnêtes ou lucides (sans doute rares), mais ils ne s'exprimeront pas car ils craignent des représailles. Saluons au passage Philippe Jaffré, un ancien inspecteur des finances décédé le 5 septembre 2007, qui avait écrit (après avoir quitté l’administration et s’être établi à Bruxelles), en compagnie du journaliste Philippe Riès, un livre qui compte : "Le jour où la France a fait faillite."

Personne ne demandera aux inspecteurs des finances pourquoi ils n'ont pas réagi pour éviter le naufrage du Titanic. C'est le drame de la France. Une autre caste s'installera à leur place et s'empressera d'effacer ce passé peu glorieux de la mémoire des Français. Les communistes ont pris le pouvoir en 1945 et se sont empressés de dénoncer le régime de Vichy comme si ce régime fantoche était la cause de la déroute militaire de 1940, de l'effondrement des valeurs morales de notre vielle nation… Il fallait trouver un bouc émissaire. Il fut tout trouvé en la personne d'un vieillard sénile de 89 ans, le maréchal Philippe Pétain, la gloire de Verdun, la mère de toutes les batailles. Dans un documentaire que j'ai eu la chance de voir au Grand-Duché du Luxembourg, on voyait une foule immense acclamer le maréchal Pétain, en février 1943, sur la place de la Concorde. Les Français sont primesautiers : ils foulent ce qu'ils ont adoré auparavant. Une nation qui ne veut pas analyser objectivement son histoire, est condamnée à revivre ces douloureux événements. (1)

En revanche, on assiste, en ce moment, en Amérique à des séances d'autoflagellation sans précédent. Lewis écrit : "La cupidité n'est pas une explication satisfaisante pour la crise financière actuelle. La cupidité était nécessaire mais insuffisante. En tout cas, nous ne sommes pas plus capables d'éliminer la cupidité de notre tempérament national que nous sommes prêts à nous priver de la luxure. Le problème à régler n'est pas la cupidité de quelques-uns mais les intérêts divergents de beaucoup."

William Cox, le président de la S.E.C, a été remercié pour son excès de franchise (confer mon article du 21 décembre 2008 : « D'une bulle à l'autre »). Il a osé dire le 17 décembre : "Je suis gravement préoccupé par les multiples manquements depuis au moins une décennie pour mener une investigation sur les activités de Madoff." Cox était au courant. Lewis vient de le confirmer.

Harry Markopolos est un ancien cadre de Rampart Investment Management à Boston. Neuf ans auparavant, il essaya d'expliquer à la S.E.C que Bernard Madoff ne pouvait être qu'un fraudeur. La performance financière de Madoff n'était pas simplement improbable, mais mathématiquement impossible. Dans une lettre dévastatrice de dix-sept pages, Markopolos envisagea deux scénarii. Dans le scénario "improbable", Madoff, qui agissait à la fois comme broker pour ses clients individuels et investisseur pour ses fonds, dupait ses clients individuels qui passaient des ordres de bourse. Par exemple, un client passe un ordre d'achat d'actions d'I.B.M à un prix donné. Le broker entre cet ordre pour son propre portefeuille. Si l'action monte, Madoff la garde pour lui. Si elle tombe, il la refile au pauvre client. Dans le "très probable" scenario, écrit Markopolos, "Madoff Securities est la plus grande pyramide Ponzi." On a appris depuis que c'est le deuxième scenario "très probable" qui était derrière la phénoménale régularité de Madoff. L'argent des entrants dans la pyramide permettait de lisser la performance du portefeuille de Madoff.

Markopolos envoya à la S.E.C sa lettre signée du 7 novembre 2005. Pas un coup de fil de la S.E.C pour l'interroger. Mais il avait tenté depuis 1999, excusez du peu, d'expliquer au gendarme de la Bourse la supercherie de Madoff. Il se défendit dans ses précédents courriers anonymes d'être un corbeau. Il n'avait aucun lien financier avec Madoff et il n'avait jamais travaillé pour lui. Il ne pouvait être animé d'un désir de vengeance. Il s'exprimait parce qu'il pensait que des milliers d'épargnants seraient fatalement ruinés un jour. Il avait gardé l'anonymat de peur qu'il arrive quelque chose à sa famille…Néanmoins, la S.E.C classa son dossier. Madoff était une célébrité de Wall Street qui avait beaucoup d'amis au Congrès.

La S.E.C a failli à sa mission pour une raison très simple. Elle a inversé son rôle. Censée protéger les petits porteurs des requins, elle a protégé les requins qui avaient des accointances politiques des petits porteurs. Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi. La Commission n'est qu'un tremplin pour des emplois autrement plus lucratifs à Wall Street. Tous les membres entrant à la Commission n'ont qu'une idée en tête : ne pas déplaire aux grands patrons de Wall Street. Le poste le plus sensible au sein de la Commission est celui de commissaire "exécuteur." Contrairement à l'Autorité des marchés financiers en France, la S.E.C n'a pas besoin de saisir la justice pour envoyer en taule un col blanc de Wall Street. Comme par hasard, le commissaire à ce poste sensible était le plus courtisé par les banquiers. Le dernier commissaire s'est vu offrir un poste en or de conseiller à la banque JP Morgan Chase : un poste bidon mais très lucratif. Son prédécesseur avait décroché la timbale chez Deutsche Bank. Le prédécesseur de son prédécesseur coule des jours heureux avec l'argent de la banque Crédit Suisse.

Dans ce capitalisme de copinage, toutes les grandes banques ont offert, à tour de rôle, un parachute doré à l'heureux commissaire exécuteur, et dans une moindre mesure, aux quatre autres membres de la Commission. Ces gendarmes n'avaient qu'une idée en tête : faire un mandat de cinq ans avant d'aller couler des jours heureux sur un terrain de golf en Floride pour le restant de leur vie avec l'argent des déposants des banques internationales.

Une raison supplémentaire pour demander la restauration en Amérique et l'instauration en Europe du Glass Steagall Act. Le Glass Steagall Act est à la finance ce que la séparation des pouvoirs est à la politique. Notre argent ne doit plus servir à engraisser les ripoux.

Bernard Martoïa

(1) Dominique Venner, Histoire de la Collaboration (éditions Pygmalion).


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