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3/2/09 Nicolas Marquès

Retraites : la capitalisation enterrera la répartition

"Le résultat de mes études et de mes recherches a été que les souffrances de la société, bien loin d’avoir leur origine dans le principe de la propriété, proviennent au contraire d’atteintes directement ou indirectement portées à ce principe." Gustave de Molinari, préface aux « Soirées de la rue Saint-Lazare »(1849).

La crise financière donne des ailes aux contempteurs des fonds de pensions et aux partisans des retraites par répartition. Les pertes des fonds de retraite privés de la zone OCDE sont estimées à 20 % des capitaux entre janvier et octobre 2008 et la tendance pourrait se poursuivre. Naturellement les pays ayant massivement recours à la capitalisation, tels les Pays-Bas, la Suisse, l’Australie, le Royaume-Uni ou les États-Unis sont les plus touchés.

Certains en viennent ainsi à présenter la répartition comme un garde-fou par rapport à des marchés financiers volatiles et à envier la situation de pays comme la France, ayant très peu recours à la capitalisation. En 2007, les actifs des fonds de pension y représentaient moins de 2 % du PIB. Peut-être que ce que certains qualifieraient d’imprévoyance était in fine une marque de clairvoyance ?

Pour autant, une telle analyse est trompeuse car la situation des plans de retraite par capitalisation n’est pas désespérée, alors que celle de la retraite par répartition sera tributaire d’évolutions conjoncturelles et structurelles irrémédiablement défavorables.

D’abord, il est inexact de penser que la baisse des marchés boursiers se traduit par une baisse similaire des pensions de ceux qui s’apprêtent à partir à la retraite. Certes des épargnants ont pu mettre en danger leur épargne, en gardant leurs économies sous forme d’actions en dépit de l’arrivée prochaine de leur retraite. Pour autant ces situations individuelles ne constituent pas une généralité.

Les gestionnaires institutionnels, tels les fonds de pensions, n’investissent sur les marchés des actions qu’une part de l’épargne retraite qu’ils gèrent. Cette part est d’autant moins importante que leurs cotisants se rapprochent de la retraite, c'est-à-dire du moment où ils cesseront d’épargner et toucheront leur pension.

Il en va de même dans nombre de plans à cotisations définies. Un grand nombre de ces plans permettent d’opter pour une gestion automatique privilégiant les investissements en actions quand on est loin de la retraite, afin de profiter de leur potentiel de rentabilité à long terme. A contrario, ces plans privilégient des actifs moins volatiles lorsque les épargnants se rapprochent de la retraite, pour mettre leur épargne à l’abri des fluctuations des marchés. Cela explique que nombre d’épargnants, ayant épargné régulièrement depuis des années, continuent de réaliser des gains. Ceux qui enregistrent des pertes sont fréquemment des épargnants jeunes, ayant commencé à épargner récemment. Pour autant ils ne concrétiseront pas ces moins-values car, loin de la retraite, ils ne sont pas en situation de vendre. Ils vont même pouvoir bénéficier des opportunités résultant de la baisse des cours. Les versements qu’ils vont faire leur permettront d’acheter plus d’actions, moins chères, et les mettront en situation de profiter de la reprise des marchés à moyen ou long terme.

Ce serait donc une erreur de juger la rentabilité de la capitalisation à l’aune des rendements à court terme des marchés des actions. L’épargne retraite est, par essence, une pratique dont les fruits doivent être jugés sur la longue période. Les épargnants retraite sont des investisseurs à long terme. Achetant régulièrement des actifs, ils sont en situation d’amortir les chocs boursiers et ont peu de raisons de s’inquiéter des baisses à court terme.

Enfin, l’idée que les régimes de retraite par répartition sont à l’abri de la conjoncture est fausse. Leurs ressources proviennent majoritairement de cotisations sociales, prélevées sur le travail des actifs. Si ces derniers sont moins nombreux, par exemple du fait d’un ralentissement de l’économie, leurs recettes s’amenuisent mécaniquement.

C’est exactement ce qui est en train de se produire en France à cause de l’impact de la crise sur l’activité des entreprises. Le chômage vient d’y repasser au-dessus des 2 millions, niveau qu'il n'avait pas atteint depuis avril 2007, et la tendance risque de se poursuivre dans les années à venir. Cette remontée laissera des traces dans les comptes de l’assurance chômage et dans toutes les branches de la sécurité sociale, dont la Caisse nationale de l’assurance vieillesse (CNAV). Les comptes de cette dernière seront d’autant plus dégradés qu’elle ne dispose pas de réserves.

La CNAV, directement tributaire des aléas à court terme, doit aussi faire face à des déséquilibres structurels, liés au vieillissement et au contrechoc du baby boom. Le nombre de départs à la retraite est passé d’environ 500 000 par an au début de la décennie à 750 000 en 2007 et 2008. Conséquence, le déficit se creusera chaque année un peu plus. Le Conseil d’orientation des retraites (COR) considère – même dans l’hypothèse très optimiste de plein emploi en 2015 – que les pertes annuelles des régimes de retraite français devraient passer de 4,2 milliards d’euros en 2006 à 24,8 milliards en 2020 et à 68,8 milliards d’euros en 2050.

Cumulés, les déficits annuels de la répartition représentent proportionnellement des masses nettement plus inquiétantes que les moins-values potentielles enregistrées à ce jour par les fonds de pensions. À titre d’illustration l’Institut national de la statistique français (INSEE) estimait en 2006 que la « dette implicite ex ante » des systèmes de retraite français représentait 105 % du PIB, soit près de 1 700 milliards d’euros. Faute d’avoir provisionné ces sommes, il sera impossible de maintenir le pouvoir d’achat des retraités français et de ceux qui financent leur retraite.

Il est donc urgent de relativiser les discours opposant une retraite par capitalisation risquée à une retraite par répartition gage de sécurité. La situation des pays où les retraites sont quasi intégralement financées par la répartition, tels la France, est loin d’être aussi confortable que celle de la Suisse et des autres pays de l’OCDE ayant fait le choix de recourir massivement à la capitalisation.

Nicolas Marquès


 

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